C’est un paradoxe comme on en trouve peu dans les manuels d’économie : l’année 2017, annoncée comme la moins touchée par les défaillances d’entreprises depuis la crise de 2008, promet aussi d’être l’un des millésimes les plus actifs pour le secteur du restructuring en France. Le nombre de redressements et liquidations judiciaires est repassé sous le seuil symbolique de 60,000 par an. Et pourtant, les fameuses Entreprises de Taille Intermédiaire, qui nourrissent le tissu économique français, sont toujours en proie à une sinistralité élevée. 135 sociétés de plus de 100 salariés ont fait l’objet d’une procédure collective en 2016, conséquence notamment de la faiblesse de la consommation et la lenteur de la reprise économique. Alors que les remèdes à apporter à ce mal qui ronge depuis bientôt dix ans l’économie française ont été tristement ignorés lors des débats de la dernière campagne présidentielle, un passage en revue des plus gros dossiers actuels de restructuring s’impose.

 

Vivarte : Puy et Lazard à la barre

Le cas Vivarte aurait très légitimement pu apparaître dans la série des plus gros échecs du LBO. Le groupe qui fait régulièrement la une de la presse économique pour ses crises successives, et qui n’emploie plus que 16,000 personnes contre 22,000 en 2014, est aujourd’hui au bord de l’abîme.

L’origine des difficultés de Vivarte, une nouvelle fois confrontée à une restructuration de sa dette – la troisième –, provient du LBO tertiaire dont la société a fait l’objet en 2007 : la sortie de PAI (qui avait délisté la société trois ans plus tôt) pour 3,5Mds€ incluant une dette de plus de 6 fois l’EBITDA de l’année antérieure. Le fonds entrant, Charterhouse, procèdera par la suite à d’innombrables build-ups, destinés à doper la croissance du groupe et à faire face à la montée d’acteurs internationaux comme H&M et Zara. Mais l’effondrement brutal de la consommation des français lors de la crise économique de 2008, et l’accélération féroce de la concurrence du e-commerce frappent le groupe de plein fouet. Contraint à une première restructuration en 2014, Vivarte voit entrer à son capital ses créanciers : les fonds Alcentra, Babson, GoldenTree et Oaktree.

Aujourd’hui confié au manager de transition Patrick Puy, le groupe a dû renégocier sa dette (800M€ de dette effacée et 572M€ de dette convertie en options), ce qui fera dire au nouveau dirigeant du groupe – le sixième en cinq ans – que « la question de la dette de Vivarte est définitivement réglée ». En parallèle à ce premier succès, dont l’épilogue devrait arriver avant la fin de l’année, Lazard orchestre la recomposition de la firme et six enseignes sont actuellement en cours de cession : Pataugas, Chevignon, Kookaï, André, Merkal et Naf Naf. Pour sauver ce qui reste de ce groupe centenaire, le cap est mis sur l’international, le recentrage sur un portefeuille resserré de 6 marques, et l’assainissement de la situation financière, afin de permettre dans les prochains mois la sortie des actionnaires financiers. Affaire à suivre…

LA4Lire aussi : Lazard, histoire d’une maison pas comme les autres

 

Tati : la fin d’un symbole

L’une des enseignes à bas prix du groupe Eram, est un autre symbole emblématique de la fragilité des entreprises françaises – et à plus large échelle du secteur de la distribution textile. Fondée en 1948 par Jules Ouaki, l’enseigne au vichy rose a incarné le développement des quartiers populaires de Paris, puis leur déclin. Aujourd’hui, Agora (la holding détentrice de Tati, qui inclut deux autres marques discount du groupe Eram), génère 350M€ de chiffre d’affaires, et un EBITDA négatif de 65M€.

L’analyse de cette déroute est simple : la rude concurrence face aux acteurs du « fast fashion low cost » comme H&M et Primark est venue à bout d’enseignes vieillies, trop peu internationales (bien que des boutiques Tati aient été ouvertes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord sous l’impulsion d’Eram). D’où l’intention de Philippe Ginestet, fondateur et propriétaire du distributeur de meubles et électroménagers Gifi (1,2Mds€), de reprendre le groupe et une partie de ses 130 magasins, dans l’optique de redynamiser le réseau et générer des synergies avec Trafic, l’enseigne belge de prêt-à-porter dont l’entrepreneur iconoclaste est actionnaire.

Comme souvent dans des dossiers similaires, l’entreprise n’en est pas à ses premières difficultés : le groupe s’était déjà retrouvé en cessation de paiement, un processus de cession ayant été initié en vain en 2015. C’est aujourd’hui Oddo qui est en charge de la vente d’Agora, un dossier pour le moins délicat, car il s’agira de s’assurer que le projet de reprise sélectionné n’entraîne pas un démantèlement du réseau, comme ce fut le cas de Bata il y a quelques mois.

LA4Lire aussi : Le capital-retournement, un nouvel acteur dans le paysage économique français

 

Turenne Lafayette : en route vers le démantèlement

Turenne Lafayette, le groupe exploitant les marques alimentaires William Saurin et Madrange, est un autre dossier chaud du moment, qui occupe à temps plein les spécialistes du retournement. Ce cas mérite d’être analysé en détail car il est particulièrement riche en enseignements ; tant par ses causes, ses potentielles conséquences extérieures que son dénouement.

C’est une histoire atypique que celle qui se déroule depuis novembre dernier et le décès de Monique Piffaut, directrice générale et unique actionnaire de la Financière Turenne Lafayette (TFL). Le groupe, employant plus de 3,200 salariés sur 21 sites industriels, et générant un chiffre d’affaires proche du milliard d’euros, a été contraint de révéler à ses contreparties (fournisseurs, banques, salariés…) une tromperie massive dans les comptes financiers depuis plusieurs années. Une dette lourde pour une entité de cette taille (350M€) avait été masquée à la suite des acquisitions successives auxquelles le groupe dirigé par Monique Piffaut avait procédé.

La première question essentielle que soulève cet évènement rare, sinon inédit, concerne la responsabilité des auditeurs face aux fraudes comptables. PwC et Mazars, qui validaient les comptes de l’entreprise depuis plusieurs exercices, ont certainement dû frémir au souvenir d’Arthur Andersen, disparu dans la tempête Enron en 2001. Et les conséquences de l’« affaire TFL » pour ces deux cabinets de référence seront certainement aussi lourdes que les explications ont été vagues : « Dans le cadre de leur mission d’audit pour le groupe Financière Turenne Lafayette, Mazars et PwC ont constaté des tensions de trésorerie depuis quelques mois. Ceci les a conduits à mettre en œuvre les procédures prévues dans ce cas de figure. »

Concernant les issues possibles de ce scandale, Rothschild a été chargé de la vente du groupe, dont la survie a été rendue possible par un prêt d’urgence de 700M€ accordé conjointement par l’Etat et un pool bancaire intégrant notamment Natixis et Crédit Agricole. La division charcuterie (480M€ de chiffre d’affaires, soit approximativement la moitié du groupe TFL) a d’ores et déjà trouvé repreneur ; cédée en location-gérance à Cooperl, l’une des plus importantes coopératives porcines de France. Pour la branche plats cuisinés (William Saurin et ses 1,300 emplois), deux options sont à ce jour sur la table : un trade-sale (rachat par un acquéreur stratégique), avec Cofigeo pour principal candidat – exploitant des marques Raynal & Roquelaure et Zapetti – intéressé par les activités charcuterie de TFL ; ou un rachat partiel via LBO (LBO France serait en lice). L’objectif est d’obtenir 100M€ et des garanties concernant le maintien des emplois pour cette division, afin de parvenir à un démantèlement complet du groupe dont les pertes annuelles sont estimées à 25M€. L’issue des négociations en cours (les offres fermes seraient attendues pour le lundi 15 mai) est d’autant plus décisive que c’est toute la filière porcine qui dépend de TFL ; l’entreprise contrôlant 30% des ventes de jambon cuit en France, dont 55% via des marques de distributeurs.

 

Ces premiers portraits d’entreprises en difficultés ne peuvent à eux seuls occulter l’innombrable liste de sociétés en cours de redressement ou liquidation, et on ne saurait oublier MIM (250 boutiques de prêt-à-porter pour lesquelles une reprise sous forme de coopérative se profile), Gibert Jeunes (170 employés et 24M€ de chiffre d’affaires pour les fameuses librairies parisiennes) ; entre autres. Si ces quelques exemples s’expliquent par une concurrence accrue dans les secteurs concernés (H&M ou Zara dans le retail de produits de mode, Fnac-Darty ou Amazon dans la distribution culturelle), il semble clair que la véritable racine du mal des défaillances est plus globale.

Anatole Lizee, étudiant à l’ESCP-Europe et contributeur du blog AlumnEye