Médiatiques et critiqués, les fonds vautours – appelés aussi vulture funds – se distinguent par une méthode qui leur est propre pour obtenir des retours sur investissements très élevés. Si la notoriété de certains d’entre eux a été dopée par leur comportement fortement médiatisé vis-à-vis de la dette argentine, leur existence est loin d’être nouvelle. Qui sont-ils et comment agissent-ils ? Leur réputation et leur dénomination péjorative sont-elles légitimes ? Nous allons donner dans cet article des éléments de réponse.
Qu’est-ce qu’un fonds vautour ?
On peut tout d’abord donner une définition basique d’un fonds vautour : c’est un fonds d’investissement spécialisé dans l’achat de valeurs mobilières, bien souvent des titres de créances d’entreprises ou d’Etats qui sont en grande difficulté financière, très fréquemment proches du défaut de paiement. Leur stratégie d’investissement consiste à racheter ces titres à vil prix lorsque leur valeur de marché s’est effondrée puis à obtenir un remboursement plus important négocié lors de la restructuration et à réclamer en justice le règlement de leur valeur faciale largement supérieure et majorée des intérêts.
Ainsi dans la majorité des cas concernant le remboursement d’obligations souveraines, les fonds vautours s’opposent à toute restructuration ou négociation avec les gouvernements et préfèrent directement s’adresser aux tribunaux. C’est là un des points sur lesquels ces acteurs sont très souvent critiqués. Alors que ces dettes peuvent être émises par des pays dont les populations sont en grande difficulté, l’action en justice ralentit le redressement économique du pays et de cette manière les conditions de vie de ses habitants.
Pour des entreprises, la situation peut être légèrement différente. Prenons le cas d’un rachat de titres de dettes à des établissements de crédit ou d’un achat d’obligations à haut rendement d’entreprises en situation de défaut de paiement après avoir connu un scandale ayant fait chuter dramatiquement leurs ventes. Un fonds peut souscrire à ces obligations à haut rendement en sachant que l’entreprise dispose de brevets ayant une haute valeur technologique et qui pourront bénéficier à des acteurs d’autres secteurs et permettre à l’entreprise de se relever et d’honorer ses engagements. En agissant ainsi, le fonds peut revendre ses titres à un prix supérieur.
Si le procédé peut sembler aller à l’encontre de toute logique financière, les vulture funds ont la plupart du temps le droit avec eux. En effet, alors que généralement l’intérêt d’un créancier est de voir son débiteur prospérer afin de garantir le remboursement de sa créance, les fonds vautours profitent des difficultés d’entités dont ils sont devenus les débiteurs. Dans la plus grande majorité des cas, les fonds vautours gagnent leurs procès. Hasard ou non, Paul Singer, le fondateur d’Eliott Management dont nous reparlerons plus tard, est avocat de formation. Les fonds d’investissement savent s’entourer des meilleurs juristes pour obtenir gain de cause.
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Quelques chiffres
La Banque africaine de développement (BAD), agissant dans un continent sur lequel les fonds vautours ont une présence ancienne, estime que le rendement d’un investissement réalisé par un tel fonds peut aller de 300 à 2000% hors frais de justice, soit une multiplication de l’investissement initial allant de 4 à 21 (1) ! Beaucoup de pays africains ont eu affaire à ces fonds et selon la BAD, plus de 20 pays d’Afrique ont été concernés par des procès intentés par des fonds d’investissement depuis 1999 : la Sierra Leone (par Greganti Secondo et ARCADE), la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso (par Industrie Biscoti) mais encore l’Angola, le Cameroun, le Congo, la République démocratique du Congo, l’Éthiopie, le Liberia, Madagascar, le Mozambique, le Niger, São Tomé-et-Principe, la Tanzanie et l’Ouganda. Ces pays sont parmi les plus pauvres du monde. Le règlement de l’action intentée en justice par ces fonds dure généralement de 3 à 10 ans et les frais de justice sont supportés par l’Etat condamné. L’institution africaine estime que la durée moyenne du recouvrement est de 6 ans ce qui donne un rendement annuel de 50 à 333% pour une telle durée. La BAD cite également un rapport du FMI selon lequel les procès de ce genre ont pu coûter jusqu’à 13% du PIB de certains pays.
Quelques fonds vautours célèbres : Elliott Management et Aurelius Management
Elliott Management Corporation est la société gérant Elliott Associates L.P. et Elliott International Limited. Le fonds a été créé en 1977 par Paul Singer. Ce dernier est né en 1944 aux Etats-Unis et a obtenu un Juris Doctor de la Harvard Law School avant de travailler durant trois ans en tant que juriste dans une banque d’affaires américaine nommée Donaldson, Lufkin & Jarend. Elliott Associates est fondée en 1977 avec 1,3 million de dollars provenant d’amis et de membres de sa famille. La société se spécialise dans l’achat d’obligations convertibles et de titres de créances d’entreprises en grande difficulté en profitant des grandes restructurations de l’époque dont celle de Chrysler notamment.
Le fonds de Paul Singer affiche une rentabilité régulièrement plus importante que les valeurs du S&P 500 et sa volatilité est faible. Paul Singer est aujourd’hui milliardaire et reconnu comme le pionnier des fonds vautours alors que lui-même préfère se définir comme un investisseur activiste. Il est actif dans la vie politique américaine en soutenant de manière importante le parti Républicain mais il milite pour des causes comme le mariage gay ou la réforme de l’immigration. Il soutient pour la course présidentielle de 2016 le sénateur de Floride Marco Rubio.
C’est dans les années 1990 qu’Elliott Management acquiert une grande notoriété en s’attaquant à l’Etat péruvien. Après avoir acheté pour plus de 10 millions de dollars de titres de dette péruvienne après le défaut du Pérou en 1996, Elliott obtient un remboursement de 58 millions de dollars en 1998. Le fonds intervient également au Congo. Mais c’est la crise argentine qui est l’affaire la plus médiatisée et la plus longue à laquelle Elliott a pris part jusqu’à présent. Aux côtés d’Aurelius Management, Elliott s’oppose par l’intermédiaire de l’une de ses filiales basée aux Îles Caïmans (NML Capital Limited) à la négociation portant sur la restructuration de la dette de l’Argentine après le défaut de 2001. 7% des créanciers, dont les deux fonds, exigent un remboursement intégral de la valeur nominale de leurs titres de créance. Alors que NML avait acquis des titres de dette argentine pour 48 millions de dollars, Paul Singer affirme que l’Argentine doit au fonds 2,3 milliards de dollars en incluant les intérêts. Les fonds poursuivent avec vigueur leur action en justice et obtiennent la saisie d’actifs détenus par l’Etat argentin à l’étranger. Le juge américain confirme une nouvelle saisie en juillet 2015 avant que l’Argentine ne gagne en appel en septembre dernier. La longue procédure judiciaire qui oppose l’Argentine à ses créanciers récalcitrants marque une rupture dans le traitement de la restructuration de dettes souveraines. Désormais, beaucoup d’émissions de dettes souveraines prévoient une clause collective selon laquelle les créanciers doivent s’accorder à l’unanimité pour que l’un d’eux conteste la restructuration. C’est ce qui semble s’appliquer pour Aurelius qui détiendrait selon des journalistes spécialisés des titres de dette ukrainienne sans pouvoir forcément réclamer un remboursement plus élevé (2).
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En conclusion, nous pouvons expliquer les critiques exercées à l’encontre des fonds vautours. En spéculant sur la dette d’Etats en crise, ils ignorent les enjeux humanitaires causés par de graves récessions et le bien-être des populations. De plus, cette pratique crée des effets pervers de la part des pays endettés qui auront tendance à dissimuler une partie de leurs actifs afin d’éviter leur saisie.
Les défendeurs des fonds peuvent rétorquer que ces derniers incitent les autres Etats à maîtriser leur finances publiques mais ce débat est loin d’être résolu. D’autres affirment que ces fonds permettent à des entreprises de survivre là où d’autres acteurs n’ont pas confiance en leur solvabilité.
En attendant, la lutte entre les fonds vautours et les Etats se poursuit. Près de 15 ans plus tard, le conflit entre l’Argentine et ses créanciers est loin d’être terminé et les Etats s’équipent juridiquement. Ainsi, la Belgique a récemment voté une loi prévoyant que les fonds déterminés comme « vautours » ne pourront être remboursés que de la valeur à laquelle ils auront acquis les titres de dette publique (3).
Jean-Baptiste Bourbier, étudiant à l’ESCP et contributeur du blog AlumnEye
Sources :
(1) http://www.afdb.org/fr/topics-and-sectors/initiatives-partnerships/african-legal-support-facility/vulture-funds-in-the-sovereign-debt-context
(2) http://uk.reuters.com/article/2015/09/18/uk-ukraine-aurelius-exclusive-idUKKCN0RI1T320150918
(3) http://www.liberation.fr/planete/2015/07/01/la-belgique-adopte-une-loi-pour-lutter-contre-les-fonds-vautour_1341375
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15 mars, 2023