Fintechs : la Finance disruptive
Internet a renouvelé le fonctionnement de nombreuses industries : de la distribution (Amazon) à la location (Airbnb) en passant par le transport (Uber, Blablacar) pour créer des interactions nouvelles entre les consommateurs et les entreprises, des comportements sociaux différents et un affaiblissement des intermédiaires. Aujourd’hui portée par les Fintechs, cette vague nouvelle apparue dans les années 2000 change la finance.
L’expression Fintech, fusion des termes « finance » et « technologie », désigne une startup qui utilise la technologie pour repenser les services financiers et bancaires. Suite à la crise économique de 2008, de nombreux banquiers et traders ont quitté les grands centres financiers de la planète et se sont lancés dans des aventures entrepreneuriales pour repenser le modèle de la finance grâce à l’innovation technologique. Leur modèle : rendre la finance plus simple et plus accessible, en proposant des services de meilleure qualité et moins coûteux. Les Fintechs se développent dans tous les domaines : de la gestion d’épargne au prêt pour les particuliers, en passant par le trading, le financement des entreprises ou le paiement en ligne.
Quand la crise financière a détérioré la réputation des banques, les consommateurs se sont montrés critiques vis-à-vis des services que celles-ci proposaient. Cette crise a mis à l’écart du crédit bancaire nombre de particuliers et de PME qui se sont alors plaints de l’attitude des banques peu enclines à accepter le risque du prêt du fait d’un resserrement de la régulation bancaire et d’une dégradation de l’économie. Parallèlement, les consommateurs ont adopté les services en ligne qui se sont multipliés à une vitesse déconcertante et une nouvelle génération de technologies a vu le jour dans l’industrie financière.
Les Fintechs changent la banque d’investissement
Les banques de financement et d’investissement suivent le chemin de la révolution numérique afin de palier la baisse de leur retour sur fonds propre : 7 % aujourd’hui, contre 12 % il y a trois ou quatre ans selon le BCG. Pour beaucoup, les banques ont en effet épuisé tous les leviers de réduction des coûts. Réduire les salaires, les effectifs et le train de vie des équipes ne suffit plus. Elles continuent de s’acquitter d’amendes très lourdes pour leurs errements passés, alors que les frais de compliance s’accumulent. Entre 2010 et 2014, les coûts estimés d’une dizaine de grandes banques d’investissement ont été réduits de 3 points de pourcentage seulement. Entre 2013 et 2014, les frais pour litiges ont grimpé de 10 points de pourcentage. Au final, depuis 2010, le coefficient d’exploitation des banques d’investissement s’est ainsi dégradé de 7 points de pourcentage, à 72 % toujours selon le BCG.
En outre, malgré les efforts fournis par les banques pour réduire leurs bilans, les contraintes de Bâle III imposent de mobiliser toujours plus de capital. Et après un recul sensible entre 2011 et 2014 des actifs pondérés des risques à 3,937 milliards de dollars de 17 banques dans le monde, ceux-ci devraient augmenter de 11 % d’ici à deux ans, à 4,360 milliards de dollars, a calculé le BCG.
Le rôle d’intermédiaire des banques d’investissement est attaqué : le rapport de force s’est inversé en faveur des clients. En 2009-2010, les banques bénéficiaient d’une dissymétrie d’information, toutes les données de marché étaient entre leurs mains. Ce n’est plus le cas pour les produits de flux standards comme pour les produits plus sophistiqués. Des hedge funds ou des gestionnaires d’actifs se passent déjà des services de banques d’investissement en passant par leur propre plateforme. Résultat : au-delà des choix de produits et de clients qui s’imposent, la seule issue des banques serait d’accélérer leur révolution digitale.
Selon le BCG, sur l’ensemble des startups dédiées à la banque d’investissement, qui vont de la distribution de produits à la compliance, en passant par les services de recherche ; 49 % d’entre elles, spécialisées dans les services mobiles, les réseaux sociaux et le Big Data, peuvent changer le paradigme des banques d’investissement. 38 % de ces startups offrent des services à valeur ajoutée autour du CRM (gestion de la relation client), encore mal exploité, mais aussi de la détection de fraudes d’employés ou des cyber-risques. La dernière catégorie de ces jeunes entreprises regroupe les fournisseurs de données et d’analyses qui permettent des valorisations indépendantes de produits structurés, et qui aident donc les investisseurs à se passer des banques. Pour l’heure minoritaires (13 %), ils sont les plus menaçants pour l’industrie bancaire. D’autant que ces entreprises sont souvent lancées par d’anciens banquiers qui connaissent les points faibles de leurs anciens employeurs.
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Un secteur en expansion
Ce qui change véritablement désormais, c’est le choix donné aux consommateurs sur la façon de gérer leur argent. Le marché se centre, depuis les années 2000, sur un client avide de mobilité, de produits plus compétitifs, de plus de transparence et demandant un accès instantané aux services de sa banque. C’est ce nouveau client qui fait de la banque l’un des secteurs les plus soumis au risque de disruption dans les années à venir selon le Millenial Disruption Index. 73% des personnes interrogées se déclarent plus enclines à considérer des offres financières de géants du web comme Google, Amazon, Apple, PayPal ou Square plutôt que celles de leurs propres banques.
La banque Number26, « conçue pour le 21ème siècle », donne la liste suivante de possibilités aux clients :
- Créer un compte instantanément peu importe votre position géographique au lieu de se déplacer avec un grand nombre de documents.
- S’affranchir des frais de gestions obscurs que les banques facturent souvent sans avertissements.
- Suivre une transaction en temps réel.
- Gérer votre argent grâce à des actualisations automatiques des données concernant vos dépenses.
- Bloquer et débloquer votre carte à n’importe quel moment au lieu d’attendre une semaine une nouvelle carte.
- Un accès simple et des options transparentes.
- Un accès facilité à des offres partenaires comme TransferWise pour effectuer des transferts à l’international.
Number26 n’est pas un cas isolé. Depuis 2008, les investissements dans le secteur des Fintechs ont triplé, passant de 928 millions de dollars à 3 milliards de dollars aujourd’hui. Le secteur pourrait atteindre les 8 milliards de dollars d’ici 2018. De nombreux services sont concernés : la banque mobile, le P2P lending, le crowfunding, les monnaies digitales, les objets connectés, les transferts financiers, le wealth management…
Les banques réagissent à ce nouveau paradigme en développant des stratégies « multichannels ». Celles-ci consistent à interagir avec des clients potentiels via des plateformes très hétéroclites : smartphones, services en ligne… Elles réagissent également en faisant l’acquisition de ces startups concurrentes et innovantes. C’est le cas par exemple du Crédit Mutuel Arkéa qui a fait l’acquisition de Leetchi en septembre 2015 pour un montant qui s’élèverait à plus de 50 millions d’euros. Cette startup Fintech française est un spécialiste des paiements en ligne dont le produit phare est une cagnotte en ligne. D’autres développent leurs propres projets innovants à l’image de Deutsche Bank et de son service de paiement vocal ou encore BPCE et son paiement par tweet.
Les Fintechs en France
Le 11 juin 2015, 36 entreprises se sont regroupées pour former l’association France FinTech afin « d’accueillir l’ensemble des entreprises utilisant des modèles opérationnels, technologiques ou économiques innovants et disruptifs, visant à traiter des problématiques existantes ou émergentes de l’industrie des services financiers. »
Les acteurs de la Fintech française ont été regroupés dans les deux tableaux ci-dessous. Cette cartographie a bien sûr de fortes chances d’évoluer de manière significative au cours des prochains mois. En pleine ébullition actuellement, le secteur des Fintechs accueillera à coup sûr de nouvelles entreprises innovantes, s’attaquant à des marchés encore inexploités.
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Les services financiers aux particuliers
La gamme de services proposés aux particuliers par les Fintechs françaises se montre déjà assez large, allant de la gestion multicomptes bancaires via une appli mobile à des solutions de paiement ou de gestion d’argent (cagnottes), en passant par des offres de crédits « participatifs ». Mais c’est le domaine de l’épargne qui semble le plus convoité – ou en tout cas investi par le plus grand nombre de startups. Deux grandes familles ont ainsi pu être identifiées sur cette thématique : l’épargne « assistée », regroupant des entreprises ayant pour ambition de proposer des solutions de pilotage d’épargne plus ou moins robotisées (à base d’algorithmes d’allocation). Et l’épargne « participative », proposant aux particuliers de prêter de l’argent à des entreprises suivant différentes modalités. Baptisée « crowdlending », c’est cette catégorie qui est aujourd’hui la plus représentée dans l’univers des Fintechs.
A noter que ces plateformes de crowdlending se retrouvent aussi répertoriées dans la liste des services aux entreprises. Car, outre le fait de recruter des particuliers souhaitant prêter de l’argent contre rémunération, ces plateformes s’adressent aussi aux entreprises en recherche de financement.
Catégories | Entreprises B2C |
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Paiements | Slimpay (prélèvement SEPA 100% en ligne) Lydia (application de paiement mobile) Paymium (solutions de paiement fondées sur le protocole Bitcoin) |
Transferts d’argent | Leetchi (collecte et gestion d’argent à plusieurs – cagnotte en ligne) Ledger Wallet (portefeuille de stockage et de transactions pour Bitcoin) Payname (plateforme de paiement de pair à pair) Paytop (transfert d’argent, change et livraison de devises à domicile) |
Gestion de compte | Bankin’ (application pour gérer plusieurs comptes bancaires) Fluo (application de vérification des assurances cartes bancaires) Linxo (application de gestion de budget) |
Crédits | Prêt d’Union Evollis (solution de location avec option d’achat de biens d’équipements) |
Epargne participative | Plateforme de prêt aux entreprises (crowdlending) : Prexem Lendix Bolden Credit.fr Lendosphere |
Epargne assistée | Yomoni (gestion de fortune en ligne pour le grand public) Fundshop (robot-advisor pour gérer son portefeuille d’assurance-vie en ligne) Advize (offre d’épargne en ligne) Anatec |
Les services aux entreprises
Le côté B2B des Fintechs n’est pas en reste, avec de nombreuses sociétés se positionnant tantôt sur des marchés « de niche » (comme la traduction automatique de contenus financiers avec Lingua Custodia ou le troc de biens et de services entre entreprises chez France Barter), tantôt sur de plus larges domaines comme la gestion de trésorerie ou le crédit (avec les plateformes de crowdlending). Autre segment relativement développé : le financement en capital (equity crowdfunding), permettant aux entreprises d’élargir le cercle des investisseurs pour leurs levées de fonds.
Catégories | Entreprises B2B |
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Gestion de trésorerie | Pandat (courtage en placements de trésorerie) Kantox (plateforme d’échange de devises en peer to peer) Finexkap (financement non-bancaire de la trésorerie pour les entreprises) |
Financement en capital (equity) | Smartangels (financement participatif de jeunes entreprises à fort potentiel) EOS Venture (broker en equity crowdfunding) Alternativa (plateforme d’investissement dans des PME) |
Autres services | Lingua Custodia (logiciels de traduction automatique sur mesure dans le domaine financier) Slimpay (prélèvement SEPA 100% en ligne) EOS Venture (broker en equity crowdfunding) France Barter (échanges de biens et services entre entreprises) Alphametry (place de marché sur l’analyse financière) Early Metrics (agence de notation de start-ups) The Assets (place de marché d’actifs d’entreprises) Finance Active (solutions financières en mode SaaS) Paymium (solutions de paiement fondées sur le protocole Bitcoin) Ledger Wallet (portefeuille de stockage et de transactions pour Bitcoin) |
Concurrence pour les banques… Vraiment ?
Le monopole des banques est-il vraiment menacé ? Pour les banques françaises, ces « pure players » sont aussi un sujet de préoccupation, puisqu’ils cherchent à convaincre leurs clients de se tourner vers leurs plateformes, plus ergonomiques et plus souples. Toutefois, les grands groupes français affichent officiellement une certaine sérénité. Si leur place d’intermédiaire est remise en cause par ces nouvelles plateformes qui mettent directement en relation les particuliers entre eux, peu de startups Fintechs concurrencent réellement les banques. En fait, il s’agit souvent de services complémentaires à l’offre traditionnelle, qui forcent les banques à innover. Face à la multiplication des solutions de paiement nées hors du giron bancaire, le patron d’une grande banque française interviewé dans Les Echos fait valoir que « les moyens de paiement, ce n’est pas de la banque ».« Ce que cherche Apple avec sa solution Apple Pay, c’est avoir plus d’informations sur ses clients. Des entreprises peuvent délivrer du service de type moyens de paiement, mais, au bout de la chaîne, il y a bien un compte, et ce compte est dans une banque. »
De leurs rôles dominants, les banques se voient davantage en position de choisir avec quelles startups elles pourront nouer un partenariat, ou quelle entreprise Fintech elles auront intérêt à avaler. Pour profiter de la technologie utilisée par la startup américaine Simple, la banque BBVA l’a racheté pour 117 millions de dollars en mars 2004. En France, la banque en ligne de la Société Générale, Boursorama, annonçait fin mars le rachat de la startup Fintech spécialisée dans l’agrégation de comptes en banques, Fiduceo tandis que BNP Paribas a lancé début 2015 son projet Innov&Connect.
Les grands établissements estiment donc à ce stade que le coeur du métier de banquier n’est pas menacé, en raison des barrières à l’entrée, avec en premier lieu les exigences très fortes en matière de conformité. Mais aussi, parce que, selon la profession, « la banque est considérée comme un partenaire de confiance, un coffre-fort qui sait garder les informations qu’on lui donne ». Un atout à cultiver précieusement à l’heure du Big data.
Néanmoins, les Fintechs apportent aux consommateurs des changements aussi importants que fantastiques. Ce n’est donc peut-être qu’une question de temps avant que la Fintech ait révolutionné son secteur, comme l’ont fait Uber et Airbnb – à condition que les législations lui en laissent la possibilité, un problème que rencontrent aujourd’hui ces deux acteurs majeurs des VTC et du tourisme.
Vincent Lavie, étudiant à Centrale Lyon et Contributeur du blog AlumnEye
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