En trustant la place de conseil vendeur lors du rachat de LinkedIn par Microsoft, Allen & Co. et Qatalyst Partners remettent en cause l’hégémonie du Fat Four : Goldman Sachs, Morgan Stanley, JP Morgan et Bank of America Merrill Lynch. Ces géants de la banque d’affaires n’hésitent pas à venir marcher sur les plates-bandes de leurs consœurs spécialisées dans les mid caps. En réponse, certaines de ces boutiques choisissent l’attaque et parviennent à se mettre sous la dent des fusions acquisitions d’envergure. Développant discrètement leur expertise sectorielle au cœur de la Silicon Valley, une poignée de banquiers d’affaire entend bouleverser les codes.
Le deal Microsoft / LinkedIn : pleins feux sur Allen & Co et Qatalyst Partners
Alors que Microsoft a choisi Morgan Stanley pour la conseiller lors de l’acquisition de LinkedIn, la firme de Jeff Weiner a, elle, privilégié des boutiques avec un fort ancrage dans le secteur des TMT (Technologies Médias et Télécommunications). Elles se nomment Allen & Co. et Qatalyst Partners et leurs noms ne vous disent peut-être rien. Elles sont pourtant à l’origine de l’un des
plus gros deals TMT de l’histoire. En acquérant la firme au fameux logo bleu et blanc – et aux 443 millions d’utilisateurs – pour 26,2 milliards de dollars, Microsoft renforce stratégiquement son offre à destination des professionnels. Le groupe américain aux 102,6 milliards de dollars en trésorerie avant l’opération, dispose des moyens de son ambition, et réalise avec Linkedin sa plus grosse acquisition.
Microsoft avait multiplié les rachats ces dernières années : la société Mojang (l’éditeur du jeu de briques Minecraft) en 2014, la division mobile de Nokia en 2013, le réseau social d’entreprise Yammer en 2012, ou encore Skype en 2011, pour un montant total de 17,7 milliards de dollars. Depuis la prise de fonction de Satya Nadella – ancien vice-président de la branche Cloud & Entreprise – au poste de CEO de Microsoft en 2014, la stratégie du groupe est claire : « Cloud first and mobile first ». Avec LinkedIn, dont 60% du trafic provient de l’interface mobile, le groupe Microsoft se donne les moyens d’intégrer sa suite Office aux réseaux professionnels. De fait, il a accepté de payer le prix fort en offrant une prime de 49,5% sur les 131,08$ prévalant à la clôture le 10 juin dernier. Convaincant Microsoft de rétribuer 196$ par action aux actionnaires de LinkedIn, Allen & Co et Qatalyst Partners se partageront une commission de 40 à 45 millions de dollars.
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Une réussite en toute discrétion
Créée en 1922 par les trois frères Allen – Charles Robert, Harold et Herbert – Allen & Co est tout sauf une nouvelle venue dans le paysage M&A. La boutique aujourd’hui dirigée par le petit-fils d’Herbert, demeure pour autant relativement méconnue du grand public. Dans le secteur très concurrentiel de la banque d’affaires – marqué par les concentrations depuis le siècle dernier – demeurer une entreprise familiale relève aujourd’hui de l’exploit. Sa réussite, Allen & Co la doit notamment à sa discrétion et aux relations de confiance que ses dirigeants nouent avec les grands patrons. L’entreprise cultive des relations privilégiées avec les grands de ce monde : Facebook, Google, Twitter, Ferrari, comme LinkedIn ont fait appel à elle pour leur introduction en bourse. En 2014, Airbnb a également sollicité les services de la boutique afin de finaliser une levée de fonds de 500 millions de dollars.
S’ils sont discrets, les collaborateurs de la banque sont dotés d’un carnet d’adresses fourni – citons notamment sa Managing Director & Executive Vice President Nancy Peretsman – et c’est là la clé de son succès. Dans ses rangs figurent ainsi Donald Keough (ancien président de Coca-Cola) George Tenet – qui fut l’un des patrons de la CIA – comme l’ancien joueur de basket et ex-sénateur Bill Bradley. C’est dire la sélectivité du recrutement chez Allen & Co. Autre originalité de la boutique : ses collaborateurs restent en poste 15 ans en moyenne, quand la plupart des banques d’affaires affichent un turn-over élevé.
La Sun Valley Conference : le rendez-vous des puissants
Ces relations avec les grands patrons, Allen & Co les noue notamment dans le cadre de la Sun Valley conference. A l’heure du tout-numérique, les rencontres physiques gardent ainsi toute leur pertinence. Evénement organisé chaque été depuis 1982 et interdit aux médias, la conférence réunit le gratin de la finance, des technologies et des médias. C’est notamment l’occasion pour la boutique de décrocher des mandats de fusions et acquisitions.
Cette année encore, la réunion s’est tenue au début du mois de juillet. Les sujets abordés n’ont alors pas manqué : entre le Brexit, les accords de libre-échange, l’intelligence artificielle, et l’élection présidentielle américaine. Les participants ont également eu de quoi faire avec la consolidation du secteur des médias suite au deal The Lions Gate-Starz – dans la lignée de celui entre Charter Communications et Time Warner Cable, et du rachat par Altice de Cablevision et Suddenlink.
La force d’Allen & Co est de réunir des investisseurs influents (Warren Buffet, Andreas Halvorsen pour le Hedge Fund Viking Global Investors), des poids lourds de l’économie américaine (Bill Gates, Jeff Bezos , Michael R. Bloomberg ou encore Tim Cook pour Apple), d’éminents acteurs de la Silicon Valley (Elon Musk pour Tesla Motors et SpaceX, Mark Zuckerberg, Larry Page d’Alphabet, Reid Hoffman pour LinkedIn), comme des pépites de la tech : Evan Spiegel pour Snapchat, Brian Chesky d’Airbnb et Drew Houston pour Dropbox.
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Qatalyst Partners, la jeune ambitieuse
Fondée en Mars 2008 par Frank Quattrone, Adrian Dollard, et Jonathan Turner – trois ex cadres de haut vol de Crédit Suisse – Qatalyst Partners s’est rapidement spécialisées dans les opérations M&A en TMT. Basée à San Francisco, dotée d’un bureau à Londres, son PDG Frank Quattrone a été nommé « Dealmaker financier de l’année 2012 » par le San Francisco Business Journal. Quattrone aurait conseillé plus de 90 transactions – parmi lesquelles 42 dépassant le milliard – totalisant ainsi plus de 165 milliards de dollars en valeur.
Qatalyst a réussi en ciblant des transactions large cap sur des secteurs porteurs et généreux en termes de rémunération, comme le high-tech. Les startups prometteuses fleurissent dans la Silicon Valley et constituent donc un vivier de potentiels clients pour Qatalyst qui tente de nouer des liens privilégiés avec ces jeunes pousses. Le plus souvent, les boutiques se concentrent sur les transactions small cap. Les dirigeants de Qatalyst ont, eux, choisi de chasser sur les terres des banques d’affaire classiques comme Morgan Stanley et Goldman Sachs.
En seulement huit années d’activité, la banque s’est forgée une puissante réputation ; rien d’étonnant lorsqu’on jette un œil à son portefeuille clients. Les équipes de Qatalyst Partners ont participé à plusieurs opérations ayant fait la une de la presse. Parmi elles, on inclut l’acquisition de Tumblr par Yahoo pour 1,1 milliards de dollars, le rachat de Nicira par VMWare pour 1,3 milliards de dollars, ou encore le deal entre Google et Motorola pour un montant de 12,5 milliards de dollars. En Europe, Qatalyst Partners a récemment fait parler d’elle en œuvrant pour le rapprochement entre le finlandais Nokia et le français Withings.
Allen & Co, Qatalyst, et plus généralement les boutiques de conseils M&A, n’ont pas fini de faire parler d’elles. Afin de conserver leur position dominante sur le marché, les mastodontes de la tech cherchent désormais à se positionner pour capter des technologies de rupture et misent sur une stratégie de croissance externe. À la tête de près de 391,4 milliards de cash au 31 Mai 2016 – selon Moody’s Investors Service – le trio Apple, Microsoft, Alphabet dispose des capacités financières pour asseoir ses ambitions. Les boutiques apparaissent comme des partenaires de choix pour accompagner de prochaines opérations, et font valoir leur fiabilité, l’indépendance de leur conseil, comme l’absence de conflits d’intérêts.
Paul Morvannic, étudiant à Kedge Business School et contributeur du blog AlumnEye
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8 février, 2017