Shazam, Siri, Beats… toutes ces technologies ont un point commun – elles ont été achetées par Apple. Souvent qualifié d’inventeur hors pair, Apple s’illustre tout aussi bien dans d’autres domaines et son équipe M&A n’y échappe pas. Même si la marque fondée par Steve Jobs a toujours prôné la discrétion concernant ses opérations financières, elle a, ces dernières années, multiplié les rachats. Zoom sur les acquisitions marquantes qui ont fait le succès d’Apple.
Les années 90 : une stratégie orientée vers la vidéo et le montage
Après plusieurs années sans la moindre acquisition, Apple a initié sa croissance externe en achetant à partir de la fin des années 80 plusieurs entreprises (Network Innovations, Orion Network Systems) qui facilitaient la connexion de ses ordinateurs aux serveurs. Les années 90 sont marquées par la volonté de devenir un champion de la vidéo et du montage, que ce soit pour les professionnels ou les particuliers. La demande émane principalement de l’industrie cinématographique qui, consciente des progrès de la technologie, a besoin de logiciels dédiés aux effets spéciaux.
Pour répondre à cette demande, Apple rachète notamment un logiciel nommé Final Cut pour 7 millions de dollars. Après plusieurs autres acquisitions destinées à améliorer ce logiciel, Apple présente en avril 1999 une version plus aboutie sous le nom de Final Cut Pro, l’un des deux logiciels d’édition vidéo les plus utilisés aujourd’hui. Le logiciel est même récompensé par un Emmy Award trois ans après sa sortie du fait de son impact sur l’industrie audiovisuelle. En octobre 1999, Apple propose à ses clients iMovie, une version grand public de Final Cut Pro qui reprenait les mêmes fonctionnalités mais proposant une interface simplifiée.
Les années 2000 : entre musique et lancement du premier iPhone
Au début des années 2000, le marché des baladeurs numériques explose. C’est tout naturellement qu’après la vidéo, Apple se tourne vers la musique et rachète SoundJam en 2000. Ce logiciel donne naissance quelques mois plus tard à iTunes, qui permet la lecture de musiques et la gestion d’une bibliothèque multimédia numérique. En parallèle, Apple sort son tout premier baladeur numérique – l’iPod – dont on ne peut télécharger la musique uniquement via… iTunes. En 2002, l’entreprise californienne continue sa série d’acquisitions et rachète Emagic. A partir de cette technologie, la marque à la pomme développe deux logiciels destinés aux professionnels de la musique : Logic Pro 6 et Logic Express 6, ainsi qu’un logiciel pour le grand public : Garage Band.
A chaque transaction, Apple intègre ses acquisitions au sein de son écosystème pour en faire des services ou des produits utilisés par le monde entier. Ces rachats, en plus d’enrichir l’offre, lui permettent de se distinguer de ses concurrents. En 2005, Apple rachète les brevets de FingerWorks, entreprise américaine spécialisée dans le multi-touch (technologie relative à l’utilisation de plusieurs doigts sur une surface sensible pour commander un ordinateur). On doit notamment à ces brevets le tout premier iPhone (dont le développement a commencé à la même période que cette acquisition), et des gestes clés de notre quotidien comme zoomer sur une image avec deux doigts. Google ne proposera le multi-touch sur Android qu’en 2010.
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La fin des années 2000 : l’enjeu des cartes géographiques
A la fin des années 2000, Apple se voit largement devancée par Google en ce qui concerne les cartes géographiques numériques interactives. Il est pourtant crucial pour la firme de Cupertino de se doter d’une base géographique de qualité. Les GPS sur smartphone deviennent la norme et l’iPhone, produit phare d’Apple, se doit d’être au niveau. De plus, d’autres enjeux comme la publicité ciblée requièrent une très bonne base géographique. Cette nécessité de rattraper le retard se concrétise par une série d’acquisitions : Placebase (concurrent de Google Maps), Poly9 (autre concurrent de Google Maps) et C3 Technologies (intégration de données 3D dans des cartographies). Les équipes de ces sociétés, lors de leur intégration chez Apple, ont été réunies au sein d’une même Business Unit nommée « Sputnik », faisant référence à la crise traversée par les Etats-Unis lors de la mise en orbite du premier satellite russe. Ces acquisitions donnent naissance en 2012 à Apple Maps. Toutefois, la qualité du service n’est pas au rendez-vous et les utilisateurs se plaignent de bugs constants. Apple continue donc les acquisitions pour être à la hauteur des demandes de ses clients avec le rachat de HopSpot.com (une application similaire à Waze) permettant à Apple Maps d’informer ses utilisateurs du trafic en temps réel ou Embark (une application dédiée aux transports publics) permettant d’offrir un service d’itinéraire via les transports en commun, entre autres.
Après 2010 : une stratégie axée sur l’intelligence artificielle et la musique
En 2010, Apple rachète l’assistant vocal Siri créé par le français Luc Julia. A l’origine nommé The Assistant, il était uniquement disponible en téléchargement sur l’App Store. Le rachat de cette technologie par Apple permet à Siri de passer de 180 000 à 300 millions d’utilisateurs quotidiens. Apple l’intègre à ses appareils en octobre 2011 (en version beta jusqu’en septembre 2013) et ne cesse depuis de l’améliorer avec par exemple, l’acquisition de Novauris Technologies, une technologie de reconnaissance vocale. Ce rachat intervient notamment deux jours après l’annonce de Cortana, l’assistant vocal de Windows. L’année 2012 est marquée par le rachat pour 350 millions de dollars d’AuthenTec, une entreprise proposant plusieurs services dont la reconnaissance d’empreinte. Plus tard, ce service deviendra Touch ID et on le retrouve à partir de 2013 sur les iPhones et 2016 sur les iMacs.
En 2014, Apple effectue sa plus grosse acquisition et achète Beats pour 3 milliards de dollars, une entreprise vendant des casques et des écouteurs haut de gamme et proposant des services de streaming de musique. Pour la première fois, Apple n’intègre pas Beats qui reste une marque à part entière et conserve son logo ainsi que sa culture. Si certains analystes sont sceptiques quant à la capacité de Beats à croître sur un marché qu’il domine déjà (Beats détenait déjà deux tiers des parts du marché des casques haut de gamme), d’autres voient ce rachat comme un moyen de proposer un nouveau service. En achetant Beats, Apple a non seulement mis la main sur les casques et les écouteurs mais aussi sur l’application Beats Music, un service de streaming de musique sur abonnement. Quelques mois plus tard, ce service devient Apple Music, aujourd’hui deuxième plateforme de streaming de musique avec 15% des parts du marché derrière Spotify (31% des parts du marché).
Fin 2015, Apple se penche sur des technologies utilisant l’intelligence artificielle pour détecter et reconnaître les visages sur les photos et les vidéos. L’entreprise californienne achète dans un premier temps FaceShift et sa technologie « Motion Capture » qui est intégrée à l’iPhone X. Elle permet notamment de communiquer avec des Animojis, des messages animés personnalisés qui utilisent la voix des utilisateurs tout en reflétant leurs expressions faciales. En 2017, Apple acquiert RealFace, une start-up israélienne spécialiste de l’intelligence artificielle afin de proposer un service de déverrouillage de l’iPhone par la reconnaissance faciale. Ce service, plus connu sous le nom de Face ID, est disponible fin 2017 sur l’iPhone X.
Toujours dans l’optique d’être le leader du marché des services de streaming de musique, Apple entreprend en 2018 le rachat de l’entreprise britannique Shazam (application reconnaissant en temps réel la musique ambiante) pour une somme avoisinant les 400 millions de dollars. Cette acquisition permet d’intégrer Shazam directement à l’iPhone et de rediriger ses utilisateurs vers Apple Music mais également d’analyser les goûts musicaux des usagers afin d’améliorer les propositions de musiques de l’algorithme. Ce rachat a pour objectif d’augmenter les parts de marché d’Apple dans le secteur des plateformes de streaming de musique – ce qui fut un succès puisqu’Apple est passé de 40 millions d’utilisateurs en 2018 à 50 millions en 2019.
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Que retenir de la stratégie M&A d’Apple ?
Les consommateurs veulent en permanence de la nouveauté mais ne veulent surtout pas apprendre de nouvelles choses. Apple l’a bien compris en fondant sa stratégie sur l’innovation incrémentale, c’est-à-dire en fournissant une série de petites améliorations à un produit déjà existant. Via ces acquisitions qui améliorent chaque année ses produits phares, Apple satisfait toujours mieux les besoins précis de ses clients.
Aujourd’hui, on recense une centaine d’acquisitions faites par Apple. Pourtant, selon Tim Cook (l‘actuel CEO de la firme de Cupertino) Apple rachèterait une entreprise « toutes les deux à trois semaines ». On constate donc que la majorité de ces rachats ne sont pas médiatisés. Ces acquisitions reflètent les ambitions d’Apple – les mettre en avant donnerait trop d’informations à la concurrence à propos de la stratégie mise en place. La firme californienne est même connue pour sa culture du secret à propos de ses acquisitions et ne cherche absolument pas à le cacher. Kristin Huget (VP Worldwide Communications) avait même déclaré il y a quelques années : « Apple achète de temps en temps des plus petites compagnies, et en général, nous ne discutons jamais de nos plans ».
Il est intéressant de remarquer qu’un nombre considérable de technologies proposées par Apple n’ont pas été conçues par la marque à la pomme directement : Apple Music, iTunes, Siri, Apple Maps, Face ID, Touch ID, Garage Band… Toutes sont issues de différentes acquisitions. Apple a su cibler les bonnes entreprises, les intégrer à son écosystème et tirer le meilleur de leurs technologies afin de proposer des services que l’on ne présente plus. D’une certaine manière, cette stratégie n’est que le reflet du fondateur d’Apple, Steve Jobs, décrit comme « un visionnaire qui ne comprenait pas forcément la technologie mais qui comprenait l’utilisation de la technologie ». Luc Julia (fondateur de Siri)
Ben Vincent, étudiant à l’ESCP et contributeur du blog AlumnEye
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