La propagation du nouveau coronavirus au niveau mondial depuis mars 2020 a lancé la course aux vaccins et aux traitements pouvant freiner la maladie. En annonçant – le 9 novembre 2020 – avoir trouvé un vaccin efficace à 90%, les laboratoires Pfizer et BioNTech ont mis les marchés financiers en ébullition : une hausse de 2,95% pour le Dow Jones ; 7,57% pour la Bourse de Paris ; 4,67% pour Londres ; ou encore 5,43% pour Milan. Bien que le doute persiste toujours quant à son efficacité sur le long-terme, le vaccin promis par Pfizer incarne une vague d’optimisme nouvelle et démontre l’influence du secteur des biotechnologies sur la finance.
En vérité, la bataille fait encore rage entre les entreprises spécialisées dans la recherche médicale. Johnson & Johnson, Sanofi ou encore Pfizer – pour ne citer que les principales – cherchent activement la solution miracle. Mais ces entreprises ne sont pas seules à mener la course. Derrière ces géants se cachent des sociétés de biotechnologies cotées et moins connues par le grand public telles que Novacyt pour la recherche de tests de dépistage de la COVID-19 ou Regeneron, pour un traitement contre cette maladie respiratoire, et donc BioNTech pour parler de l’actualité récente. Ces dernières ont d’ailleurs profité de la vague anxiogène autour de la pandémie pour voir leurs cours de bourse bondir. On peut par exemple mentionner Eurobio Scientific qui a gagné près de 170% entre le mois de mars et le mois d’avril 2020 grâce à ses avancées sur un automate capable d’analyser 120 tests par heure. Ainsi, les sociétés de biotechnologies médicales entrent aujourd’hui progressivement sous les projecteurs.
Qu’est-ce qu’une société de biotechnologie médicale ?
Selon l’OCDE, une société de biotechnologie désigne « L’application de la science et de la technologie à des organismes vivants, de même qu’à ses composantes, produits et modélisations, pour modifier des matériaux vivants ou non-vivants aux fins de la production de connaissances, de biens et de services. » La biotechnologie ne s’applique pas uniquement au médical mais à différents domaines comme l’agroalimentaire, la cosmétique ou la chimie verte. On peut ainsi classer les sociétés de biotechnologie médicale comme un sous-segment de la Health Tech qui est composée des biotech, des medtech et des digital health tech. La France se place parmi les leaders des biotechnologies de santé au niveau européen et compte plus de 700 start-up dans ce secteur.
Investir dans une société de biotechnologie médicale
L’investissement dans les biotechnologies est bien souvent très spéculatif et réservé à des investisseurs avertis. La vie de l’entreprise et son cours de bourse sont en effet rythmés par un ensemble de facteurs plus qu’incertains.
Tout d’abord d’un point de vue purement financier, la société de biotechnologie ne génère pas de profit tant qu’aucun traitement n’a été découvert puis validé par les autorités sanitaires. Par ailleurs, les recherches médicales sont très consommatrices en liquidité : les apports financiers initiaux sont importants et l’endettement peut être lourd. La bourse apparait alors comme un outil essentiel à toute société de biotechnologie voulant se développer. L’introduction sur les marchés financiers permettra de lever suffisamment d’argent pour financer les coûts de développement d’un médicament. Investir dans une société de biotechnologie est donc avant tout un véritable pari sur sa capacité à gérer sa trésorerie et son endettement à moyen ou long terme.
Ensuite, lorsqu’un traitement est mis au point, celui-ci doit être testé et doit passer par différentes phases. On distingue trois phases de recherche d’une durée totale de 10 à 15 ans pour un médicament et de 3 à 5 ans pour un dispositif médical. Ces phases nécessitent notamment d’expérimenter les molécules sur quelques volontaires puis progressivement sur une population plus large. On considère en moyenne qu’une molécule sur dix passe avec succès ces trois tests, d’où le caractère une fois encore très spéculatif des biotechnologies. Les résultats des recherches en interne sont généralement présentés par les entreprises durant des conférences et des congrès (Paris Health Week, World Biotechnology Congress…). Les investisseurs suivent donc avec assiduité ces annonces qui font varier parfois fortement les cours boursiers. Les biotechnologies peuvent en effet se heurter à des problèmes de recherches en interne qu’elles doivent annoncer régulièrement, comme par exemple le rejet d’un greffon ou encore le décès d’un patient test. Ces évènements repoussent l’échéance de la commercialisation et ajoutent alors de l’incertitude pour les investisseurs.
Enfin, l’approbation d’un traitement par les autorités sanitaires renforce le caractère spéculatif de ces entreprises. Toutes les étapes de recherches depuis le lancement des tests jusqu’à la mise en circulation au grand public sont soumises à vérification par les autorités. Ainsi, chaque pays possède une autorité sanitaire chargée de cette surveillance, les plus connues étant la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis, la Haute Autorité de Santé (HAS) pour l’Europe ou encore l’ANSM pour la France. Pour une société de biotechnologie américaine, l’approbation finale de la FDA en phase 3 représente l’aboutissement de la recherche et la porte d’entrée vers sa commercialisation. Ce n’est qu’à partir de ce moment que la société va générer du profit. Lorsqu’un traitement est validé aussi bien pour la phase 3 que sur les étapes intermédiaires, le cours de bourse augmente généralement fortement. Après des résultats encourageants contre le VIH le 2 mai 2017 la société Abivax a vu son cours s’envoler jusqu’à +200 % dans la séance pour clôturer à +114%. Mais, un traitement peut être refusé même au dernier moment. Du jour au lendemain, les recherches doivent repartir de zéro. Ainsi, la société DBV Technologies a vu passer son cours d’un plus haut historique de 86,64 euros à 4 euros aujourd’hui. En cause, plusieurs avis négatifs de la FDA sur le lancement d’un patch innovant contre l’allergie à l’arachide.
Un secteur friand des deals M&A
Le secteur biotechnologique est marqué par un fort dynamisme des fusions-acquisitions. On estime qu’en 2019 le montant moyen des transactions fut de 2,5 milliards de dollars, avec près de 900 opérations au total depuis 2015. Ces dernières années, ont émergé des méga deals avec entre autres l’achat d’Allergan par AbbVie pour 85,7 milliards de dollars en juin 2019 ou encore l’acquisition de Shire par Takeda Pharmaceutical pour 80,4 milliards de dollars en avril 2018.
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La puissance des grands groupes internationaux réside ainsi dans leurs multiples acquisitions au cours des années, ce qui renforce dans un même temps leur positionnement dans certaines branches de recherche médicale. En rachetant Genentech en 2011 pour 47 milliards de dollars, Roche a ainsi fortement solidifié sa place parmi les leaders de la biotechnologie. S’en est suivi une multitude de rachats comme celui du groupe InterMune en 2014 pour 8,3 milliards de dollars ou plus récemment en 2019 celui de Spark Therapeutics pour 5 milliards de dollars. L’ensemble de ces acquisitions ont permis à Roche d’atteindre une capitalisation boursière de 276 milliards de dollars en octobre 2020. Seul Johnson & Johnson réussit à dépasser cette capitalisation boursière, cette dernière s’établissant en octobre 2020 à 392 milliards de dollars.
Au niveau mondial, la plus grosse opération de l’année dans le secteur des biotechnologies est pour Gilead Sciences avec l’acquisition d’Immunomedics en septembre 2020 pour 21 milliards de dollars. L’opération s’établit à 88$ par action, prix deux fois plus élevé que l’offre initiale. Gilead financera 15 milliards de dollars en cash et 6 milliards de dollars par émission de dette. L’entreprise renforce ainsi son positionnement dans la lutte contre le cancer. Cette acquisition va effectivement lui faire profiter du médicament phare d’Immunomedics baptisé Trodelvy. Ce dernier est destiné à soigner le cancer du sein et des poumons et pourrait représenter entre 3 et 5 milliards de dollars de ventes selon Jefferies & Co.
En France, Sanofi est un acteur incontournable en fusions-acquisitions aussi bien du côté de l’achat que de la vente de sociétés de biotechnologies. Une des dernières acquisitions est celle de Principia Biopharma Inc pour un montant de 100$ par action. Cette transaction sous les conseils financiers d’Evercore a atteint pas moins de 3.68 milliards de dollars. L’opération est en ligne avec la stratégie de développement de Sanofi qui cherche à étendre son emprise sur les entreprises de biotechnologie.
L’élargissement du capital : phase primordiale dans la vie d’une biotech
Grandes consommatrices de cash, les sociétés de biotechnologie doivent se tourner vers la levée de fonds pour continuer leurs activités de recherche. Ce financement externe est important et nécessite un choix judicieux quant aux différents apporteurs de capitaux. Les sociétés de biotechnologie doivent en effet prendre en compte les attentes des potentiels investisseurs en ce qui concerne leur horizon d’investissement ou encore le rendement espéré. Une levée de fonds est donc le fruit d’un savant mélange entre les financements d’acteurs externes à l’entreprise (placements privés, capital-risqueurs, hedge funds…) jusqu’au but ultime : l’introduction en bourse. En effet, rares sont les sociétés de biotechnologie ne visant pas à terme l’introduction en bourse pour élargir leurs capitaux. Si une IPO est onéreuse et peut atteindre parfois des millions de dollars de frais, de nombreuses biotechs passent le cap et se trouvent cotées sur les marchés financiers. Ainsi, entre janvier et septembre 2020, plus de 35 IPOs ont été lancées sur le NASDAQ. Cette période a montré un intérêt tout particulier des investisseurs pour les biotechs puisque les actions ont été vendues à un prix en moyenne 47% plus élevé que le prix de vente initial. Une bonne perspective de croissance, des avantages comparatifs pertinents et un large marché cible rendent les investisseurs plus enclins à surpayer ces actions. Plusieurs introductions en bourse ont donc été réussies à l’été 2020. Les actions CureVac B.V initialement introduites à 16.00$ le 14 août 2020 se sont ainsi envolées à 55.90$ à la clôture. De même pour les actions COMPASS Pathways plc le 18 septembre 2020 avec un prix d’introduction s’établissant à 17.00$ pour atteindre 29.00$ à la fin de la première journée de cotation. Cette flambée des cours le jour de l’introduction en bourse est monnaie courante dans ce secteur. Plusieurs biotechnologies devraient se lancer prochainement en bourse, néanmoins, les élections américaines de novembre 2020 ont ajouté de l’incertitude et de la volatilité sur les marchés.
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Les biotechnologies : un secteur d’avenir ?
Investir dans des sociétés de biotechnologie pousse à examiner la pérennité du secteur dans le temps. Si le dynamisme de l’activité des sociétés de biotechnologie annonce encore de beaux jours à venir, sa croissance peut être réduite par plusieurs facteurs.
Tout d’abord, l’activité des biotechnologies intervient dans des secteurs très diversifiés et les initiatives entrepreneuriales se multiplient de manière exponentielle ces dernières années. Les fins des recherches de biotechnologie quel que soit le milieu sont utiles à l’Homme. Elles permettent de nombreuses avancées scientifiques grâce à la manipulation du vivant. Ces découvertes améliorent non seulement la qualité de vie et la santé générale au niveau mondial mais aussi l’activité industrielle. La biotechnologie appliquée à l’industrie contribue à la diminution de son empreinte sur l’environnement et à la transition écologique. Le développement de biocarburants est par exemple issu des biotechnologies. On peut aussi citer plusieurs succès commerciaux grâce à l’application industrielle des découvertes. La création du bioplastique a par exemple rapidement été utilisé par Toyota dans ses véhicules afin de réduire l’empreinte écologique grâce à ce plastique biodégradable et recyclable. Ainsi, investir dans une biotechnologie appliquée à l’industrie peut souvent être assimilée à un pari sur la transition écologique à venir.
Toutefois, l’expansion du secteur peut être freiné par plusieurs obstacles. D’abord, les recherches expérimentales biotechnologiques posent des problèmes d’éthique. La modification des gènes humains ou la manipulation du vivant suscite des débats autour de convictions religieuses ou médicales. Par ailleurs, ces nombreuses découvertes pourraient se retourner contre l’Homme en étant utilisées comme arme et non comme moyen d’amélioration de la qualité de vie. En témoigne l’utilisation des armes chimiques au Moyen-Orient comme moyen de destruction massive en période de guerre. Plus encore, la création de traitements contre le cancer et autres maladies parfois incurables peut potentiellement être vecteur d’inégalités. L’accès à certains traitements se trouve particulièrement onéreux en atteignant parfois plusieurs centaines de milliers de dollars. De même, les garanties de sécurité vis-à-vis de ces découvertes ne sont pas systématique en témoigne la crise de la vache folle en 1996. L’utilisation d’OGM interdits dans certains pays et non dans d’autres montre également que son usage n’est pas sans danger. Enfin, les biotechnologies affrontent et vont affronter un manque de financement. Celles-ci sont par essence toujours plus consommatrices de liquidité mais l’investissement n’est pas infini. Il s’agira donc de prendre en considération tous ces freins potentiels au développement du secteur avant d’investir dans des biotechnologies.
Julien Chichery, contributeur du blog AlumnEye
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21 septembre, 2015