En ce début d’année 2016, le Brésil traverse la plus longue récession de son histoire et ses dirigeants, très impopulaires, sont impliqués dans le plus grand scandale de corruption qu’on ait pu voir depuis la dictature militaire. Ces records, le pays organisateur des JO de 2016 aurait bien voulu s’en passer. Le contraste est flagrant avec l’année 2009 : à l’époque, Luiz Inacio Lula avait remporté l’organisation des Jeux, le pays pouvait se vanter d’avoir échappé à la crise, affichait une croissance économique de 8% et 10 millions de personnes sortaient chaque année de la misère. Les retournements qui ont eu lieu sur le marché des matières premières (-18% en 1 an sur le marché agricole ou encore -42% sur le marché de l’énergie par exemple) ont affecté tous les pays émergents exportateurs de ces denrées et donc en particulier le Brésil. Mais ces déboires conjoncturels ont surtout révélé certains problèmes structurels de l’économie brésilienne que la classe politique peine à résoudre.
Une crise économique qui révèle des problèmes structurels
Le 16 décembre 2015, l’agence de notation Fitch a rejoint les vues de son camarade Standard & Poor’s et a décidé de dégrader la note souveraine du Brésil à BB+, transformant les titres de dette publique du pays en titres spéculatifs. Fitch justifie sa position en déclarant que le Brésil est aujourd’hui en état de crise économique. Les prévisions de croissance pour l’année 2016 annoncent en effet un recul du PIB estimé à 3%.
La baisse du prix des matières premières, déclencheur conjoncturel de la crise
La chute du prix des matières premières a eu un fort impact sur l’activité du Brésil, dont les exportations représentent 12% du PIB. Les matières premières exportées sont principalement le pétrole, le fer et le soja qui ont fortement souffert de la chute des cours. L’indice du prix des matières premières au Brésil – établi par Crédit Suisse – a chuté de 41% depuis son pic de 2011. Cet effondrement des prix a contribué à une baisse du PIB du Brésil de 0,1% en 2014 et de 0,8% en 2015. L’inflation est un autre facteur contribuant à la fragilité de l’économie brésilienne. Elle provient en grande partie de la dépréciation importante des termes de l’échange : les exportations étant moins chères, la demande de devise brésilienne, le réal, chute (-31% depuis début 2015). Ceci renchérit les importations, notamment celles en provenance des Etats-Unis (15% des importations brésiliennes). L’appréciation récente du dollar due à la remontée des taux de la FED risque en outre d’aggraver la situation. L’inflation du pays s’élève aujourd’hui à 10,5% et Crédit Suisse prévoit qu’elle sera de 17% en 2016. Et la banque centrale du Brésil ne parvient ni à juguler l’inflation, ni les anticipations, bien souvent auto-réalisatrices, accompagnant cette dernière. L’augmentation la plus récente de son taux directeur date d’Octobre 2014 et représentait une hausse de 3 points de base. Le taux atteignait 14,25%, taux toujours en vigueur aujourd’hui mais qui n’a aucun effet ni sur la baisse du réal ni sur l’inflation. Des éléments structurels expliquent que de tels taux ne suffisent pas à rassurer les investisseurs et à rétablir l’équilibre au sein de l’économie brésilienne.
L’économie brésilienne a la structure d’une économie européenne sans en avoir les moyens, ce qui a accentue la crise et promet de la faire durer.
Le système social est emblématique de cela : les pensions de retraite sont extraordinairement élevées. Le minimum retraite est égale au salaire minimum et les deux ont progressé de 90% sur ces dix dernières années. Le Brésil paye en retraite 12% de son PIB soit un pourcentage plus important que le Japon. L’âge moyen de départ à la retraite des femmes est de 50 ans et de 55 ans pour les hommes. Les dépenses liées aux retraites et les réductions d’impôts ont fait passer le déficit de 2% en 2010 à 10% en 2015.
En plus des charges élevées qu’un tel système social implique (36% du PIB soit 25% de plus qu’en 1991), les entreprises doivent faire face à un système administratif d’une complexité digne de la France. Selon The Economist, les entreprises passent en moyenne 2600 heures par an à se plier aux normes du code fiscal brésilien contre 356 heures en Amérique latine. Enfin, des mesures de subvention et de protection étatiques aidant certaines entreprises à faire face à la compétition internationale font baisser la productivité brésilienne qui se trouve aujourd’hui au niveau du dernier quartile mondial.
Ces déficits cumulés ont porté la dette publique du Brésil à 70% du PIB et elle devrait atteindre 93% du PIB en 2019 selon Barclays. Le coût de la dette s’élève aujourd’hui à 7% du PIB mais risque d’augmenter avec les dégradations récentes des obligations souveraines du pays. Cette charge de la dette importante est la raison pour laquelle la banque centrale ne peut pas augmenter les taux outre mesure, au risque de voir le gouvernement dans l’incapacité de payer les intérêts sur sa dette (exprimée en grande partie en monnaie locale). Pire encore, une augmentation des taux d’intérêt de la banque centrale pourrait accroitre l’inflation ! En effet, si l’augmentation des taux accroît le risque de défaut du pays, les investisseurs seront incités à vendre leurs obligations brésiliennes libellées en réal, ce qui fera baisser son cours, augmentant d’autant plus l’inflation importée.
Il est donc urgent pour le Brésil de réformer son Etat-providence, de flexibiliser son marché du travail et de recourir à des mesures d’austérité afin de rassurer les investisseurs et les consommateurs victimes de l’inflation. Cependant la chose n’est pas aisée du fait d’un blocage politique et d’une profonde défiance de la population envers la classe dirigeante.
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Une crise politique qui empêche toute réforme de fond
Une économie difficile à réformer
Si le Brésil ne peut pas mettre en place de plan d’austérité anti-crise rapidement, c’est en raison de la rigidité de ses institutions et surtout de sa Constitution. Près de 90% des dépenses publiques sont en effet protégées par la Constitution de 1988. Ce document est très clair sur de nombreux points devenus sanctuarisés telles les 44h de travail hebdomadaire, ou l’âge de départ à la retraite à 60 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes. De plus y est clairement inscrit que « le pouvoir d’achat doit être préservé ». Ainsi toute réforme améliorant le pouvoir d’achat est la bienvenue, mais toute mesure venant l’éroder, comme des coupes budgétaires, est inconstitutionnelle ! Pire, une opposition malveillante pourrait accuser le gouvernement de Dilma Rousseff de manquer à ses devoirs en n’augmentant pas les dépenses publiques en temps de crise dans la mesure où le PIB/habitant a chuté de 20% depuis 2010.
De plus, le champ politique est très diversifié. Beaucoup de petits partis composent le paysage politique brésilien : 28 sont aujourd’hui représentés au parlement. Ceci vient du fait qu’un parti peut théoriquement intégrer le parlement avec 0,02% des voix ! Ce qui pose des problèmes d’efficacité lorsqu’il s’agit de convaincre tous ces partis de voter des réformes anti-crises d’urgence, ou encore de réunir 3/5 des votes du parlement pour modifier la Constitution.
Une classe politique discréditée
Or, se faire élire est onéreux pour ces petits partis qui doivent parfois couvrir des circonscriptions grandes comme la France. Cela les pousse à trouver des sources de financement douteuses et à accepter les dessous de table. C’est ce qui est mis au jour avec le scandale politique de Petrobras : 32 représentants de la coalition au pouvoir font actuellement l’objet d’une enquête pour corruption lié au géant Petrobas. Ils auraient touché des pots-de-vin de plusieurs millions de réal en échange d’un renouvellement de certains contrats publics avec la compagnie pétrolière.
Dilma Roussef n’est pas en reste, elle est accusée d’avoir financé sa campagne à l’aide de contributions occultes, ce qui, si cela s’avère véridique, pourrait rendre nulle son élection. À cela s’ajoutent des accusations de maquillage du déficit public. En effet, pour masquer le coût des réformes de son premier mandat, Dilma Roussef aurait dissimulée certaines dépenses de l’Etat et les aurait réintégré progressivement, un scandale qui aurait causé le départ de M.Levy, son ministre des finance, 1 mois seulement après sa nomination. En conséquence, la côte de popularité de Dilma Rousseff est au plus bas. Elle ne récolte que 12% d’opinion favorable.
L’incapacité du gouvernement à mettre en place rapidement un plan d’austérité et pis, la possible destitution de son gouvernement et l’annulation de son élection ont joué un rôle important dans la dégradation de la note du Brésil, précise le rapport de Fitch. Le Brésil ne retrouvera donc les moyens de sortir de la crise qu’au prix d’un regain de crédibilité de sa classe dirigeante. N’oublions pas qu’un Etat ne fait défaut que lorsqu’il n’est plus en mesure d’assurer le paiement de sa dette. C’est-à-dire qu’il ne trouve plus de ressources soit sur le marché secondaire ou qu’il n’est plus en mesure de lever de nouveaux impôts, et comme le disait Schumpeter sur ce dernier point « la méthode par laquelle on lève une même quantité de revenu peut faire toute la différence entre la paralysie et la prospérité ». Il faut donc que l’impôt, et surtout ceux qui le prélèvent, soient légitimes aux yeux du contribuable.
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L’espoir reste permis si les intérêts politiques laissent place aux réformes
Le précédent ministre des finances a initié un bon mouvement avec une réduction des dépenses de 18 millions de dollars et un renforcement des critères d’éligibilité à l’assurance chômage. Le nouveau ministre des finances, Nelson Barbosa, semble également être en mesure de réformer l’économie brésilienne ou du moins de s’attaquer aux facteurs conjoncturels de la crise. Il est moins partisan quant à ses choix politiques : il vise un excédent primaire de 0,5% contre 0,7% pour son prédécesseur et s’en trouve être une personnalité plus acceptée sur l’ensemble de l’échiquier politique. Il est donc plus à même de faire voter des mesures impopulaires comme une taxe sur les transactions financières, dans les cartons depuis Lula.
S’ajoute à cela un nouveau mouvement de profond renouvellement de la classe politique qui annonce une intensification des réformes. En effet, la dictature militaire qui régnait jusqu’en 1985 n’a pas vu ses cadres disparaître au sein du nouveau régime démocratique. Dans les faits, ce sont donc toujours les mêmes visages qui animent l’administration et la politique brésilienne. On peut dès lors comprendre la méfiance de la population brésilienne vis à vis de sa classe politique. La transition est donc générationnelle, avec les anciens cadres de ce régime partant à la retraite, et laissant leur place à du sang neuf, souvent plus qualifié, avec des diplômes étrangers. Par exemple le juge de la cours suprême Sergio Moro, qui est en charge de l’affaire Petrobras, n’a que 43 ans et n’est donc pas issu des cadres de la dictature. La classe politique est donc actuellement en train de regagner une certaine légitimité.
Jamais le Brésil n’a connu une telle crise. Le pays a déjà enduré des crises économiques : on peut penser à la « décennie perdue « (époque de stagnation et d’hyperinflation ayant eu lieu au milieu des années 1990), ou encore à la crise des années 1997-98 qui a remué l’ensemble des pays émergents. Ce pays a aussi connu des crises politiques, comme la motion de censure contre Collor en 1992, ou en 2002-5 avec les scandales des mensalos qui ont provoqué l’emprisonnement du directeur de cabinet de Lula en 2013. Mais jamais des chocs extérieurs et domestiques, économiques et politiques ne se sont alimentés l’un l’autre comme aujourd’hui. Le pays ne pourra donc pas sortir de la crise économique avant que sa classe politique ne regagne la crédibilité qui lui permettra d’entreprendre des réformes de fond, comme celle du système de retraite ou du marché du travail. Ceci demande malheureusement du temps et la crise risque donc de se prolonger pour un moment.
Aurélien de Villiers de La Noue, étudiant à HEC Paris et Contributeur du blog AlumnEye
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11 septembre, 2015