Sous Deng Xiaoping, le gouvernement central a entrepris un vaste programme de structuration du système bancaire. Après s’être efforcé de diminuer la part des créances douteuses dans le bilan des principales banques d’Etat, Beijing a continué son œuvre en mettant sur pied la CRBC (Commission de régulation des banques chinoises) en 2003. La troisième étape du développement bancaire chinois a vu l’injection de plus de 110 milliards d’euros dans les banques afin de consolider les passifs de ces dernières. De cette façon, le Parti Communiste a fait émerger un système bancaire conforme aux standards internationaux, et notamment aux exigences de Bâle II.
La structuration historique du système bancaire chinois face à ses limites économiques
Pour ce faire, l’Etat central a procédé au dépeçage de l’ancien système communiste mono-bancaire pour passer à un système dominé par quatre consortiums gigantesques, chacun dédié au financement du développement d’un secteur de l’économie. Avec plus de 3 420 milliards d’euros d’actifs gérés, l’Industrial & Commercial Bank of China est ainsi la plus grande banque au monde. Encore méconnue en Europe, son introduction en bourse en 2006 pour près de 19 milliards d’euros — un record depuis battu par une autre banque chinoise (l’Agricultural Bank of China, introduite en bourse en 2010 pour plus de 22 milliards d’euros) — signa l’entrée fracassante des banques chinoises sur un secteur largement dominé par les occidentales.
Quel modèle de développement pour le secteur bancaire chinois ?
Néanmoins, le secteur demeure fragile, notamment du fait de la proportion sous-évaluée de prêts non performants dans l’économie. Ces créances douteuses sont aussi bien le fait du système bancaire traditionnel que du système bancaire parallèle non surveillé (Shadow Banking).
Moody’s estime la taille du Shadow Banking à plus de 3 500 milliards d’euros. Echappant à toute surveillance des autorités de régulation, ces activités de crédit entre particuliers ou entreprises ont explosé ces dernières années en Chine. Confrontés à des conditions d’emprunts parfois rédhibitoires, à un taux de rémunération des dépôts plafonnés à des niveaux très faibles, ainsi qu’à la hausse des prix de l’immobilier, ce système constitue pour beaucoup de ménages et de PME un moyen d’emprunter et de prêter de l’argent facilement, via des intermédiaires financiers peu regardants. De la même façon, chez les grandes banques du pays, le taux de prêts non performants avoisinerait les 15%, voire 19% ; chiffres bien supérieurs aux 1,75% des statistiques officielles. La faute à des usages hérités de la période communiste, une trop grande fluctuation des recettes fiscales et des remboursements de prêts de la part de certaines entreprises publiques en surproduction.
En parallèle, le gigantesque plan de relance de 4 000 milliards de yuans lancé par le gouvernement en 2008 a laissé des traces dans les comptes des provinces chinoises. Financé seulement à un tiers par le gouvernement central, il a poussé les gouvernements locaux à mettre en place des véhicules d’investissement pour émettre de la dette. Ces LGIC (Local Government Investment Vehicles) ont donc contracté les prêts servant à financer des programmes d’investissement, afin de contourner le faible pouvoir d’émission de dettes sur les marchés que la loi confère aux provinces. Cette accumulation de dette pose aujourd’hui problème, alors que seuls 27 % des prêts des LGIV verraient leurs échéances actuelles couvertes par les recettes des investissements réalisés. Ce qui pose la question de la solidité du système bancaire régional chinois, principal apporteur de fonds des secteurs agricole et industriel au sein des zones rurales, et qui fonctionne encore largement sur un modèle de coopératives bancaires.
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Quelle place pour les banques chinoises sur l’échiquier bancaire mondial ?
Face au ralentissement de l’économie sur le marché intérieur, le gouvernement chinois s’est montré très prompt à soutenir l’internationalisation de ses banques. Pour cela, l’Etat central et les dirigeants de ses institutions satellites ont très tôt porté l’idée de l’internationalisation du renminbi. La première étape de ce processus consista en l’établissement d’une plateforme d’usage offshore du renminbi à Hong Kong. Quatrième place financière mondiale, connectée aux bourses de Shanghai et désormais de Shenzhen, l’ancienne colonie britannique a su apporter son savoir-faire en matière de services financiers pour développer l’offre de produits libellés en monnaie chinoise. Ainsi, les succès des émissions obligataires de McDonald, Caterpillar ou encore Renault ont attiré de nouveaux investisseurs. Des fonds de Private Equity dédiés aux investissements en yuan ont ainsi fait leur apparition. Capitalisant sur cette crédibilité nouvelle, Pékin a par ailleurs bénéficié d’une deuxième source d’internationalisation de sa monnaie. En effet, le 1er octobre 2016, le renminbi a officiellement intégré le panier de devises du FMI, aux côtés du dollar, de l’euro, de la livre et du yen.
D’autre part, le gouvernement chinois a taché de poursuivre les efforts de bonne gouvernance déjà entrepris au sein des grandes banques du pays. Les dispositions prescrites par Bâle III furent par exemple intégrées au cadre législatif chinois dès le 1er janvier 2013, soit six mois avant les Etats Unis. Au-delà du renforcement des capitaux propres des banques qu’elles imposent, elles ont aussi poussé les banques chinoises à diversifier leurs activités. Des départements cash management et factoring ont ainsi fait leur apparition. Autre illustration, selon le classement annuel de The Banker, quatre des cinq premières banques mondiales en termes de ratio Tier 1 — mesure de la capacité des banques à absorber des pertes, générer une croissance rentable et résister à des crises — sont chinoises. En 2016, ces dernières représentaient 32% du bénéfice total des mille premières banques mondiales, contre 4% dix ans auparavant.
L’émergence des banques d’affaires chinoises
Les groupes bancaires chinois ne se contentent plus seulement des activités de banques de détail, et se tournent de plus en plus vers les opérations de haut de bilan, au service du développement des entreprises. Dopées par les acquisitions chinoises à l’international, les activités de M&A des banques de l’Empire du milieu ont atteint des sommets. Leur proximité avec les milieux décisionnels et la taille conséquente de ces établissements leur permet de décrocher de nouveaux contrats, là où les banques d’affaires occidentales ne se risquent pas à engager plus de 10% de leur bilan sur une opération. Portés par des coups d’éclat comme l’acquisition par ChemChina de Syngenta pour 43 milliards d’euros, ou l’augmentation de la prise de participation au capital d’Accor Hotels de Jin Jiang, les grands acteurs chinois de la banque d’affaires comme CICC, Citic et la China Construction Bank se frottent les mains.
Au-delà des considérations géopolitiques souvent évoquées, ces acquisitions accroissent les parts de marché nouvelles et apportent une crédibilité supplémentaire aux groupes chinois. En faisant l’acquisition de grandes entreprises, ce sont aussi des actifs valorisables et des marques matures et établies que les entreprises chinoises achètent.
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La tech : une aubaine pour les banques chinoises
Sur un marché dominé par des structures soutenues par l’Etat — comme Citic Securities — une nouvelle génération de banques d’affaires a fait son apparition ; à laquelle Renaissance Partners fait partie. Fondée en 2004 par Fao Ban — passé par Crédit Suisse et Morgan Stanley — cette banque-conseil s’est fait un nom en conseillant la majorité des deals sur le marché chinois. A la différence de ses aînées, qui ont perçu de généreuses commissions grâce aux IPO en série des anciennes entreprises d’Etat, Renaissance Partners s’est fixée un crédo : conseiller des opérations pour les géants de la tech chinoise. A la clé ? Des deals fondateurs pour l’écosystème chinois, comme la fusion à plus de 6 milliards de dollars entre les ex-ennemis Kuaidi et Didi, à qui Uber faisait pourtant les yeux doux depuis plusieurs mois. Les synergies créées pourraient permettre à la nouvelle entité de rejoindre le cercle des géants numériques chinois tels Baidu, Alibaba et Tencent. Dans l’Empire du Milieu, la niche du numérique est devenue une véritable mine d’or. Pour ces nouvelles banques d’affaires, il s’agit donc de cultiver la proximité avec la scène entrepreneuriale chinoise à Pékin, Shenzhen et Hong Kong.
Cependant, les activités de M&A des banques chinoises restent encore marginales à côté des activités de DCM. Ce sont les émissions obligataires d’entreprises qui ont joué le rôle de moteur de la croissance intérieure ces dernières années. Avec un montant avoisinant les 170% du PIB, la Chine est devenue le plus gros marché mondial de la dette d’entreprise en 2014. Pour faire face à cette hausse de l’activité, et continuer à diffuser les pratiques de bonne gouvernance, les banques chinoises tentent désormais d’attirer des banquiers seniors issus des acteurs traditionnels de la banque.
Un marché chinois en pleine ébullition, devenu trop étroit
Les activités de banque d’affaires visent notamment à élargir le spectre des revenus des groupes chinois sur un marché de plus en plus concurrentiel. Si les banques chinoises tentent de diversifier leurs activités, c’est également parce que la concurrence se fait de plus en rude sur les activités de détail. En effet, au cours des cinq dernières années, les banques en ligne ont connu un développement exponentiel. Très simples d’utilisation et permettant de dépasser le manque de bureaux de banque physiques, nombre de jeunes consommateurs et de petites entreprises ont rapidement adopté ce service, notamment sur les téléphones mobiles. Les activités des banques Internet ont ainsi augmenté de 248 % l’an dernier, contre une hausse de 20 % pour les transactions entre banques. Même si les sommes échangées restent modestes — 12 000 milliards de yuans (1 700 milliards d’euros) contre 1 106 trillions de yuans (163 000 milliards d’euros) pour les banques traditionnelles — cette croissance exponentielle laisse augurer de belles perspectives de développement pour ce marché. A tel point que l’un des plus grands assureurs chinois, Ping An, a lancé sa propre plateforme de banque en ligne.
Les banques chinoises face à leurs défis
Pour les banques chinoises, une plus grande efficacité économique passera nécessairement par l’assainissement de leurs bilans, afin de diminuer le poids des créances douteuses. Protégées par des taux d’épargne et de dépôt parmi les plus hauts au monde, les géants bancaires chinois devront cependant concilier leurs tentatives de faire respecter des règles de gestion rigoureuses et des incitations politiques à l’égard des banques pour favoriser l’octroi de prêts aux entreprises d’État et ainsi contenir la hausse du chômage. A l’international, la volonté gouvernementale de limiter l’érosion des réserves de change du pays risque par ailleurs de freiner les acquisitions chinoises sur le Vieux Continent.
Article réalisé par la rédaction d’AlumnEye
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