Fusions et acquisitions chez les CGP :
la consolidation du secteur

Alimentées par la dynamique commerciale du secteur, sa rentabilité et ses perspectives importantes de croissance, les opérations de rapprochement dans la gestion de patrimoine se sont multipliées ces dernières années. Soutenues par des fonds de private equity qui valident cette thèse d’investissement, les acquisitions de CGP parisiens et de réseaux régionaux par les plus gros acteurs ont créé des plateformes importantes qui gèrent aujourd’hui des encours supérieurs à 10 Md€. Créatrices de valeur à la fois pour les acquéreurs et les cédants, ces opérations sont néanmoins à préparer et analyser avec prudence. Ainsi, avec un marché loin d’être consolidé et affichant des valorisations élevées, les opérations M&A vont se poursuivre tout en laissant émerger de plus petits acteurs qui souhaitent préserver leur indépendance.

Les raisons qui alimentent l’intensification des opérations de rapprochement entre CGP

Parmi les raisons qui ont accéléré les opérations M&A du secteur, on distingue des facteurs tendanciels « négatifs » et des facteurs « positifs ». Premièrement, le poids de la réglementation et la nécessité de se digitaliser amènent de nombreux dirigeants CGP à vouloir se regrouper ou intégrer une plateforme plus importante. En effet, de nombreux cabinets, notamment en région, se rapprochent afin d’atteindre une taille critique qui leur permet d’élargir leur gamme de produits, de négocier de meilleures tarifications avec les partenaires et d’affronter les sujets réglementaires et de back-office qui sont chronophages et coûteux. Ainsi, dans un souci de développement de l’activité et afin de se concentrer sur des missions à forte valeur ajoutée (rendez-vous clientèle, élaboration des solutions et allocation d’actifs), les CGP ont tout intérêt à former de plus grands ensembles pour rationaliser et amortir les coûts.

Deuxièmement, on peut identifier de nombreux facteurs positifs qui ont drivé les opérations de M&A dans la gestion de patrimoine ces dernières années. Tout d’abord, la pyramide des âges de la profession amène depuis quelques années à des départs à la retraite, et par conséquent à des cessions et transmissions de cabinets. Cependant, alors que ce type de cession concernait historiquement plus de 70% des vendeurs d’après Thomas Plainchamp d’Arc Capital, ils sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à envisager une cession anticipée pour deux raisons. Certains dirigeants dans la « force de l’âge » souhaitent sécuriser leur patrimoine et potentiellement réaliser un cash-out important, les niveaux de valorisation étant élevés. Aussi, certains souhaitent intégrer un groupe pour se décharger des contraintes réglementaires et se concentrer sur leurs clients.

 

Ensuite, l’arrivée des fonds de private equity au capital des plus gros cabinets a considérablement accéléré les mouvements de rapprochement entre CGP, avec un emballement notable à partir de 2021. Amorcé au sortir de la crise sanitaire, l’attrait des investisseurs financiers a été décuplé sur les dernières années. En 2020 par exemple, Florac a pris une participation de 23% au capital d’Herez. Cyrus Conseil, conseillé par Cambon Partners, a vu différents fonds se succéder. Actionnaire minoritaire depuis 2012, BlackFin Capital Partners sortait en 2018 au profit du management. En 2020, Bridgepoint Development Capital (BDC) a réalisé un LBO sur Cyrus Conseil, laissant toujours la majorité au management (73%). De son côté, accompagné par Largillière Finance, Groupe Crystal, avait déjà fait entrer OFI Asset Management à hauteur de 34% en 2017, aux côtés de La Française AM, lui permettant notamment de réaliser l’acquisition du réseau Expert & Finance. Depuis, Groupe Crystal, leader du marché avec plus de 23 Md€ d’encours sous gestion, a poursuivi son développement et a récemment été conseillé par NewCo Corporate Finance pour son LBO avec Goldman Sachs Alternatives. Groupe Premium, également acteur majeur du secteur, a lui aussi vu son capital évoluer plusieurs fois avec l’entrée de fonds prestigieux. En 2018, Montefiore avait pris une participation majoritaire (70%). Contrôlé depuis par Eurazeo, Montefiore et le management suite à un LBO bis en 2021, Groupe Premium a accueilli le géant américain Blackstone en 2023, valorisant au passage le Groupe près de 1,2 Md€.

 

Partant de ce constat, pourquoi les fonds français et internationaux démontrent un tel engouement pour la gestion de patrimoine ? Le secteur évolue dans une dynamique particulièrement positive depuis plusieurs années, et cette tendance s’est accélérée depuis 2020. Les fonds se sont aperçus que la profession avait très bien résisté à la crise sanitaire et que la plupart des CGP en étaient sortis plus forts. Les fonds d’investissement ont donc constaté que les CGP affichaient une croissance importante et proposaient un modèle résilient face aux turbulences. Les CGP profitent en outre d’un business model lisible et rentable. Les CGP jouissent d’une récurrence de chiffres d’affaires année après année. En début d’année, un CGP est donc capable de déterminer le CA minimum qu’il fera en fin d’exercice. Dans le cadre des opérations d’acquisitions réalisées par les acteurs financiers, ce dernier critère est essentiel pour appréhender une opération LBO notamment. Par conséquent, les fonds poussent le marché à la consolidation en finançant les plus gros acteurs qui multiplient à leur tour les acquisitions. Avec ces build-ups successifs, des plateformes de taille conséquente ont émergé affichant pour certaines plus de 10 voire 20 Md€ d’encours sous gestion. Depuis 2021 par exemple, Groupe Crystal a réalisé plus de 32 opérations de croissance externe, majoritairement des acquisitions de CGP. Contrôlé par Naxicap Partners depuis 2007, Astoria Finance a réalisé la plus grosse acquisition de son histoire fin 2023 avec 7 structures, dont une société de gestion, auparavant regroupées sous l’appellation Groupe Patriam.

Les enjeux et implications des opérations de rapprochement

Ces opérations de rapprochement impliquent à la fois une forte création de valeur mais aussi quelques risques à circonscrire. Pour les consolidateurs, la multiplication des acquisitions a pour effet d’accroître significativement leurs encours, leur poids sur le marché et donc leur force de négociation avec les partenaires. D’une part, ils accèdent ainsi à une gamme de produits élargie et plus complexe. Ils peuvent aussi rendre accessibles des produits qui ne l’étaient pas (private equity, produit structurés, club deals immobiliers) et négocier de meilleurs tarifs pour leurs clients. De plus, l’atteinte d’une taille significative a permis à plusieurs plateformes de consolidation de développer en interne des « usines de production ». Elles acquièrent ainsi ou renforcent un pôle de gestion et d’allocation d’actifs. C’est le cas d’Astoria Finance par exemple qui a acquis Sapienta Gestion en 2023. Groupe Premium qui disposait déjà de trois sociétés de gestion (Ferri Gestion, Flornoy et FOX) les a fusionnées pour créer Flornoy-Ferri en parallèle de la société I-Kapital. Cyrus et Herez qui ont fusionné courant 2024 disposent toujours de plusieurs entités qui sont Amplegest pour la gestion action, Octo AM pour la gestion obligataire et Eternam et Altixia pour l’investissement immobilier. Via ces asset managers en interne, les plateformes peuvent proposer des mandats sous gestion et élaborer des solutions si celles proposées par le marché ne répondent pas au cahier des charges. Attachés au modèle d’architecture ouverte et face au risque de tomber dans la verticalité propre aux banques, le challenge pour ces grands acteurs est donc d’équiper leurs clients avec les meilleurs produits.

D’autre part, la consolidation des acteurs permet de matérialiser de nombreuses synergies. Outre la rationalisation des fonctions supports et la gestion d’actifs, les acquisitions de CGP permettent de bâtir des complémentarités géographiques et commerciales, notamment en région. Comme évoqué, Astoria Finance a par exemple racheté 7 structures situées en Auvergne-Rhône-Alpes et dans le Grand-Ouest. En 2024, Groupe Patrimoffi a acquis le groupe dijonnais Patrimoine et Gestion, et début 2025, 4 cabinets, dont un situé à Nantes, ont rejoint le Groupe. En 2024, Groupe Premium a annoncé l’acquisition de Haenggi & Associés dans le Grand-Est.

Cependant, comme toute opération de M&A, le facteur humain est déterminant. Tout d’abord, la gestion de patrimoine est un métier très intuitu personae. Bien au-delà du prix, la compatibilité et la complémentarité des équipes sont donc un point important des opérations : acheteur et vendeur doivent donc partager la même vision du business. Parallèlement, l’intégration des équipes est primordiale pour permettre le partage des connaissances en interne et l’homogénéisation des méthodes de travail. Dans le cadre d’une acquisition, le défi pour l’acheteur est de parvenir à développer un sentiment d’appartenance à une même marque et d’infuser sa politique commerciale à toutes les entités consolidées, d’où les nombreux séminaires et réunions organisés par les plateformes de CGP. De leur côté, les clients peuvent aussi exprimer une inquiétude et avoir le sentiment de perdre la proximité avec leur conseiller. Dans cette optique, conserver les équipes existantes et leur assurer un support fiable et efficace représente donc un enjeu pour les consolidateurs désireux de fluidifier le processus d’intégration.

Les conditions de cession et multiples observés lors des dernières transactions

 

C’est d’ailleurs pour cela que beaucoup d’opérations associent le management et les collaborateurs de la cible à la nouvelle entité capitalistique, notamment via des pactes d’actionnaires et des management packages. Les acquéreurs souhaitent incentiver le management et les collaborateurs de la cible afin de les intégrer pleinement au groupe. Dans le cas des cessions pour un départ à la retraite, un accompagnement sur une période suffisamment longue est régulièrement demandé dans les conditions de l’offre de rachat.  Dans les rapprochements entre CGP, les dirigeants et collaborateurs actionnaires de la cible sont invités à conserver une partie de leurs parts ou bien à réinvestir leur capital dans la holding. Par conséquent, on observe au sein des grands groupes de CGP une participation active des collaborateurs à la gouvernance et la prise de décisions stratégiques. Plusieurs groupes ont ainsi ouvert leur capital afin de fidéliser les équipes. Fin 2022, le Groupe Premium indiquait par exemple que 361 collaborateurs et partenaires détenaient une partie du capital. Chez Cyrus-Herez, la moitié des collaborateurs du Groupe sont actionnaires et détiennent au total 73%. Pour sourcer les opportunités et optimiser les process d’acquisitions, certaines plateformes de CGP ont d’ailleurs créé leur propre équipe M&A.

 

En ce qui concerne les valorisations observées dans le secteur, elles font ressortir des multiples élevés compte tenu de l’attractivité du secteur, de ses fondamentaux et de la concurrence entre acheteurs, exacerbée par la stratégie de build-up des fonds d’investissement. En effet, le marché est fortement déséquilibré et fait ressortir plus de 15 acquéreurs potentiels pour une cible. Les valorisations sont également portées par la forte création de valeur et la force de frappe commerciale dont les consolidateurs bénéficient post-acquisition. Concernant les méthodes de valorisation, on peut en distinguer deux en fonction des caractéristiques des structures à céder. Pour des plus petits cabinets, on applique généralement un multiple sur le chiffre d’affaires récurrent : de 4x à 6x, ce coefficient peut monter jusqu’à 7-8x le CA récurrent pour les cabinets avec des niveaux de rentabilité élevés. Pour les cabinets plus importants et les grosses plateformes, on utilise un multiple d’EBITDA normatif. Sur ce point, les transactions récentes font état d’une augmentation des multiples avec un intervalle assez large : entre 8 et 10x pour la tranche basse, pour un cabinet moyen entre 10x et 14x et au-delà de 15x l’EBITDA pour les très grosses structures avec des niveaux élevés de rentabilité opérationnelle. Outre la taille du cabinet, plusieurs facteurs influencent les valorisations. On citera notamment le profil des encours sous gestion, la part de rémunération récurrente, la typologie et l’âge de la clientèle, la maîtrise des réglementations et la qualité des partenaires. Tous ces paramètres sont donc identifiés et analysés pendant le process d’acquisition afin d’anticiper la création de valeur des opérations.

Au-delà des rapprochements entre CGP, quelles seraient les prochaines étapes ?

Comme nous l’avons vu, portée par de belles perspectives de croissance et des qualités intrinsèques certaines, la dynamique qui caractérise les CGP va se poursuivre sur les prochaines années et les opérations de rapprochement se succéder. Malgré un nombre croissant de rachats, il est néanmoins difficile de parler d’une consolidation immédiate du marché car celui-ci reste relativement éclaté et le solde de création de cabinets est positif. Pour les petits cabinets avec des dirigeants qui souhaitent rester indépendants, leur croissance passera par une spécialisation, en finance durable par exemple comme Terrae Patrimoine fondé par François-Xavier Sœur, et par le maintien d’une relation forte et privilégiée avec leurs clients à l’échelle locale. Pour conclure, les plateformes de consolidation vont continuer à grossir, à développer et diversifier leur modèle. Certaines peuvent évoluer par le haut en acquérant des family offices. Par exemple, Groupe Premium a acquis Agami Family Office, conseillé par Largillière Finance, et ses 1,5 Md€ d’encours en septembre 2024 afin d’accroître sa présence sur le conseil très haut-de-gamme. Cette acquisition vient notamment renforcer le pôle Family Office du Groupe Premium qui compte déjà Leone Kapital. La prochaine étape pour les plus grosses plateformes sera sans doute aussi l’expansion à l’international. Comme indiqué dans Club Patrimoine, le groupe fondé par Olivier Farouz vise des implantations en Espagne, au Portugal voire en Allemagne et en Belgique. Compte tenu des divergences culturelles, des adaptations sur le plan politique, réglementaire et fiscal, cette stratégie menée par les consolidateurs passera d’abord par l’acquisition de CGP locaux avant d’envisager une véritable implantation de leur marque.

Ainsi, les CGP ont su capitaliser leurs forces (puissance commerciale, adaptabilité, indépendance, ouverture à de nouvelles cibles de clients) pour affronter un environnement compliqué et de nombreux challenges. Comme abordé, le secteur se montre toujours très dynamique et les professionnels se montrent optimistes. Ils sont par exemple 91% (baromètre CGP 2024 BNP Paribas Cardif-Kantar) à envisager de manière confiante leur avenir. Cette tendance pousse donc les jeunes professionnels à se lancer dans l’aventure entrepreneuriale avec des créations nettes de cabinets en hausse, et amène les CGP déjà en place à poursuivre leur stratégie de développement, qu’elle soit organique ou par croissance externe. D’après le baromètre, ils sont d’ailleurs 41% à envisager l’acquisition d’autres acteurs.

 

Yaël Jacob, Senior Analyst M&A