Banquier d’affaires à ses débuts, il est le régulateur le plus prolifique de ces 20 dernières années. AlumnEye revient sur le parcours de Gary Gensler, président de la SEC (Securities and Exchange Commission), l’équivalent américain de l’AMF.

Issu d’une famille juive de cinq enfants, Gary Gensler a passé son enfance à Baltimore, dans le Maryland. Vendeur de cigarettes et de flippers, son père l’a exposé aux affaires familiales dès son plus jeune âge afin de lui donner le goût des chiffres et de la finance. En 1975, il obtient le High School Diploma du lycée de Pikesville de Baltimore, où il est récompensé par le prix Distinguished Alumnus. Par la suite, il poursuit ses études à la prestigieuse Wharton School de l’université de Pennsylvanie et en sort avec un diplôme en économie et une maîtrise en administration des affaires. Il fait ses premières armes à Goldman Sachs en tant que banquiers d’affaires en 1979. Il se consacre alors au conseil des sociétés de médias, puis bifurque dans le trading et la finance à Tokyo avant de finir co-directeur des finances, ayant pour mission de superviser les contrôleurs des finances et la trésorerie dans le monde. Son parcours couronné de succès à Goldman Sachs lui permet de devenir l’un des plus jeunes banquiers associés de la banque à seulement 30 ans. Négociateur hors-pair, Gensler s’est notamment porté volontaire pour mener à terme le deal le plus lucratif de l’histoire de la télévision : grâce à lui, la NFL a obtenu un accord de 3,6 milliards de dollars pour la vente des droits sportifs.

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Une clarification de la réglementation des instruments financiers via la CFMA

Souvent sollicité par les démocrates, Gary Gensler a accompagné les gouvernements de gauche en tant que régulateur financier. Il a commencé sa carrière de fonctionnaire au Département du Trésor des Etats-Unis en tant que secrétaire adjoint de 1997 à 1999, puis en tant que sous-secrétaire pour les finances nationales de 1999 à 2001. Sous son mandat, il s’est démené pour l’adoption du CFMA (Commodity Futures Modernization Act). Cette loi fédérale, signée le 21 décembre 2000 par Bill Clinton, marque une plus grande différence juridique entre les titres (actions, obligations, dettes privées, …) et les matières premières (café, sucre, pétrole, blé, …). Dès lors, les transactions sur les produits dérivés ne sont plus réglementées en tant que contrat à terme ou commerce de titres. De surcroît, le CFMA a définitivement clarifié les rôles de la SEC, responsable de réglementer les marchés des valeurs mobilières, et de la CFTC (Commodity Futures Trading Commission) chargée de réglementer les marchés à terme et d’options sur matières premières. Par ailleurs, ses travaux au Département du Trésor lui ont valu la plus haute distinction de l’agence : le prix Alexander Hamilton.

 

La Loi Sarbanes-Oxley, une réponse au manque de transparence des entreprises

Par la suite, il rejoint en 2001 l’équipe du sénateur américain Paul Sarbanes, président de la commission bancaire du Sénat. Il fut son principal conseiller et participa à la rédaction de la loi Sarbanes-Oxley qui permis de renforcer les normes comptables suite à l’affaire Enron. Entreprise encensée par les analystes financiers, sa valeur boursière ne cessait de grimper. En effet, la société augmentait artificiellement ses profits tout en dissimulant ses déficits en utilisant des sociétés-écrans et en falsifiant ses comptes. Ce scandale démontra les effets négatifs d’une déréglementation sans contrôle et des abus que peuvent engendrer les marchés financiers. Dorénavant, les entreprises sont davantage responsabilisées dans la publication de leurs comptes. Ainsi, la loi Sarbanes-Oxley soumet les sociétés aux obligations suivantes : approbation de leurs états financiers par les directeurs généraux et financiers ainsi que la publication des engagements hors bilan, du rapport du commissaire aux comptes et de l’audit interne.

La SEC doit aussi s’assurer au moins tous les trois ans de la bonne conduite des sociétés. En outre, un comité d’audit est désigné pour choisir et superviser les auditeurs. Ce bureau s’assure de répondre aux objections faites sur la comptabilité, les contrôles internes et l’audit. Enfin, les auditeurs externes sont réglementés dans leurs interventions afin qu’ils n’exécutent aucune autre mission que celle qui leur a été assignée. D’autre part, la création du PCAOB (Public Company Accounting Oversight Board) découle de la loi Sarbanes-Oxley. Sa tâche est de chapeauter les cabinets d’audit, établir les normes et sanctionner des personnes physiques ou morales si des écarts de conduite sont révélés. En cas de manquement à ces obligations, la loi prévoit des sanctions pénales et des amendes pouvant s’élever à un montant de 1 million de dollars et une peine de prison pouvant aller jusqu’à 10 ans de réclusion. La portée de cette loi est internationale car elle vise également les entreprises étrangères qui ont des intérêts aux Etats-Unis (filiales aux Etats-Unis, relations commerciales avec des entreprises américaines).

La loi Sarbanes-Oxley a rencontré une vive opposition de la part du milieu des affaires. Ses détracteurs lui reprochent d’accabler les entreprises de démarches administratives, ce qui rend les processus de production de biens et services d’autant plus lents et ajoute un coût supplémentaire pour assurer ces contrôles. Par conséquent, les autorités ont reculé sur certains points comme la mise en place de procédés relatifs au contrôle interne. Néanmoins, la volonté d’une régulation plus stricte des acteurs financiers semble avoir fait consensus puisque la France a adopté une loi similaire le 1er août 2003 : la LSF ou loi de sécurité financière.

Faisant irruption suite à l’un des plus grands scandales de falsification de l’information, la loi Sarbanes-Oxley a eu un grand retentissement aux Etats-Unis aussi bien qu’en Europe. La participation de Gary Gensler dans l’élaboration de ce tournant juridique lui a fait gagner en expérience et notoriété.

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Le Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act

Suite à la crise des subprimes, Barack Obama a promulgué le 21 juillet 2010 le Dodd-Frank Act (DFA). Son intention première était de réformer le marché des produits dérivés, notamment les CDS (credit default swaps), les swaps de taux d’intérêt et autres swaps négociés de gré à gré, que le CFMA négligeait en termes de réglementation. L’ancien représentant du Parti démocrate a fait appel à Gary Gensler pour mener cette réforme, en tant que président de la CFTC. De la loi Dodd- Frank est né le Consumer Financial Protection Bureau (CFPB), chargé d’éliminer les prêts hypothécaires rapaces et d’améliorer la compréhension des clauses d’un prêt bancaire. D’autre part, la règle Volcker, section 619 du DFA, abrège les possibilités d’investissement des banques en prohibant les opérations de trading pour compte propre. Par ailleurs, les banques ne sont plus autorisées à prendre part dans des hedge funds ou des fonds de Private Equity. Décrit comme « l’un des principaux réformateurs de la crise financière », Gary Gensler sort récompensé de cette mission et reçoit alors la plus haute distinction du Trésor américain, le prix fiduciaire Frankel 2014.

Les places financières occidentales volent de record en record

Depuis le creux sur les marchés financiers de mars 2020, les indices boursiers ne cessent de croître positivement dans tous les secteurs (marchés actions, matières premières, crypto-actifs, …). Cette hausse sans précédent peut être expliquée par plusieurs facteurs comme les plans de relance menés par les gouvernements américains et européens, la publication de bons résultats par les entreprises cotées, l’intervention des particuliers sur les marchés boursiers, l’inflation, etc. On pourrait également ajouter l’assouplissement de la régulation financière menée sous le quadriennat de Donald Trump qui fut le catalyseur de cette épopée financière.

Depuis l’élection de Joseph Biden, les Etats-Unis veulent revenir à une supervision plus stricte de l’industrie financière. En effet, sous son mandat, Donald Trump avait choisi Jay Clayton pour mettre en œuvre la déréglementation des marchés financiers qu’il avait promise lors de sa campagne. Les règles issues de la loi Dodd-Frank (2010), régulant la supervision des banques et leur activité sur les marchés financiers, avaient notamment été assouplies. Le Congrès a par exemple voté en 2018 le rehaussement des seuils de taille de bilan à partir duquel les banques doivent se soumettre à un certain nombre de normes prudentielles. Quant aux régulateurs, ils ont réduit les montants minimums exigés pour les banques de taille moyenne en ce qui concerne les fonds propres et les liquidités.

De ce fait, le choix de l’actuel président s’est porté sur le plus rigoureux, Gary Gensler, plus en phase avec la mouvance progressiste du Parti démocrate. Il aura la lourde tâche de protéger les investisseurs américains de possibles dérives financières pouvant amener une partie des ménages à la ruine comme ce fut le cas en 2008. Depuis la crise, la position des banques et des marchés financiers a considérablement changé sous l’influence de multiples paramètres. Des innovations technologiques ainsi que de nouveaux acteurs tels que les Fintechs, proposant des circuits de financement novateurs, viennent challenger la réglementation existante. Ce sont autant d’enjeux que Gary Gensler aura à maîtriser à la tête de la SEC, dans l’intention de satisfaire le camp politique qui l’a fait élire et pour lequel il a conseillé plusieurs de ses membres pendant plus de 20 ans.

 

Sa nomination à la présidence de la SEC

Depuis son investiture, Gary Gensler doit faire face à des problèmes d’un nouveau genre : émergence du marché des cryptomonnaies, des plateformes digitales de trading et montée en puissance du gouvernement chinois. A ce sujet, la SEC a pris la décision de bloquer temporairement les introductions en Bourse des entreprises chinoises en juillet dernier dans le but de durcir les conditions d’accès à Wall Street. Le régulateur américain les soupçonne de connivence avec les chefs du Parti communiste et leur reproche de manquer de transparence dans les informations transmises aux investisseurs, notamment américains. Pour Gary Gensler, ces derniers doivent être mis au courant « de futures décisions du gouvernement chinois pouvant affecter significativement les performances financières ». Le Uber chinois Didi avait déjà écopé de sanctions de la part de son propre gouvernement pour sa mauvaise gestion de données personnelles peu de temps après son introduction en bourse, le 29 juin 2021. Il s’est alors vu interdire son application mobile sur les terres de l’Empire du milieu. Le cours de l’action a alors subi une baisse de plus de 20 %, une mauvaise nouvelle pour les investisseurs américains, premières victimes de cette chute. Par conséquent, la SEC exige de savoir si les entreprises chinoises sont susceptibles de se faire sanctionner par le gouvernement chinois afin d’éviter tout nouveau revers.

Autre source d’inquiétude pour le nouveau régulateur de Wall Street : la croissance des plateformes de trading à zéro commission. On y retrouve Robinhood en tête de peloton qui, après avoir déçu lors de son introduction en bourse, a vu son action presque doubler en simplement deux jours. Gary Gensler critique cette ludification des marchés boursiers, une méthode de marketing novatrice qui s’appuie sur la réplication des codes du monde du jeu vidéo aux plateformes de trading. Dès leur enregistrement, les nouveaux inscrits sont dotés d’une action gratuite et il leur est proposé de répliquer le portefeuille de traders stars. Ces dernières guident alors des communautés toutes entières, que l’on retrouve sur des réseaux sociaux comme Twitter et Reddit, et qui partagent toutes un même objectif : accumuler le plus de récompenses fictives. Ces groupes très dynamiques et souvent peu expérimentés n’hésitent pas à suivre les recommandations des profils que l’application érige en experts, et qui ont le pouvoir de chill un produit financier, à savoir en faire la promotion pour susciter son achat.

L’affaire GameStop a pu démontrer toute la puissance de ces gourous du trading manipulant la valeur d’un indice financier à leur avantage, technique aussi connue sous le nom de Pump and Dump. Dans le but de protéger les investisseurs, Gary Gensler souhaite réglementer ces plateformes de trading et le marché des crypto- actifs. La récente mise en examen de l’informaticien John McAfee en mars dernier pour manipulation de marché reflète la volonté des régulateurs de renverser la tendance. C’est précisément son expertise dans le domaine des cryptomonnaies qui a motivé Joe Biden à placer l’ancien banquier d’affaires à la tête de la SEC. Son passage en tant que professeur au MIT Sloan School of Management lui a permis de développer une expertise des actifs numériques, une ressource précieuse en vue d’une future réglementation dans ce domaine.

Cependant, les crypto-actifs peuvent être marchandés sur des applications décentralisées régies par des contrats intelligents programmés sur des blockchains. Cette innovation permet de réaliser une transaction sans faire appel à une personne tierce de confiance, traditionnellement les banques. Ainsi, Gary Gensler devra faire preuve de créativité et d’imagination afin de réglementer ce nouveau pan de l’économie.

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Nommé plus jeune associé à l’âge de 30 ans, Gary Gensler a travaillé près de 18 ans au sein de Goldman Sachs en tant que banquier d’affaires. Malgré l’image de« Goldman Sachs Boy » qui lui collait à la peau à ses débuts, il se dit à Wall Street que Gary Gensler s’est très vite défait de cette étiquette. Lorsqu’il dirigeait la CFTC, il n’a pas hésité à pointer du doigt les lobbyistes financiers comme ses ennemis. Défini comme très exigeant et impitoyable, il a appliqué sans vergogne des amendes colossales s’élevant à plusieurs centaines de millions de dollars à de grands acteurs de la finance mondiale tels que JP Morgan, UBS ou encore Citigroup. Si toutes ces expériences passées ont mené Gary Gensler à la présidence de la SEC, il n’en reste pas moins qu’il s’apprête à relever bon nombre de nouveaux défis incluant la finance décentralisée, l’opacité des entreprises chinoises et les applications de trading.

Arthur-Daniel Sitbon, étudiant à l’EM Lyon et contributeur du blog AlumnEye