C’est en 1953 que naît le premier fonds souverain : le Koweit Investment Board. Fondé pour gérer les surplus de revenus procurés par les ressources pétrolières, le fonds pesait 200 milliards de dollars à sa création. Aujourd’hui il se classe 4ème et ses encours sous gestion s’élèvent à près de 600 milliards de dollars. Cependant, malgré les sommes astronomiques sous gestion, ces institutions sont peu connues du grand public.

Qu’est-ce qu’un fonds souverain ?

Un fonds souverain (sovereign wealth fund) est un fonds de placements financiers à long terme détenu ou géré par un Etat dans le but de diversifier le PIB national ou de lisser les revenus. Les fonds souverains gèrent l’épargne d’un Etat en la plaçant dans différents actifs financiers (actions, obligations, actifs immobiliers) et ils ne peuvent généralement pas avoir recours à l’emprunt. Ils sont alors le plus souvent alimentés par les surplus de revenus dégagés par les excédents commerciaux ou bien par les revenus liés aux matières premières (pétrole, gaz, ressources minières…). Si aujourd’hui on dénombre une centaine de fonds souverains dans le monde, ceux qui détiennent le plus d’actifs sous gestion sont situés en Asie ou au Moyen-Orient : la Norvège fait figure d’exception à cette hégémonie orientale.

Top 10 des fonds souverains en fonction du montant
d’actifs sous gestion (en milliards de dollars)
Source : Statista (novembre 2019)

Les différents objectifs d’investissement des fonds souverains 

Les fonds souverains n’ont pas tous les mêmes objectifs ; ces derniers dépendent de la situation économique du pays, de ses ressources principales et de la capacité à les exporter, de sa démographie ou encore de son niveau de développement.

Les fonds de stabilisation sont pensés pour protéger (hedger) l’Etat contre les baisses potentielles de revenus liées àla volatilité des marchés de matières premières. Ces institutions investissent alors dans des produits dérivés de couverture et le rendement n’est pas leur objectif principal, le but est simplement de lisser les revenus liés à l’exportation de matières premières au cours des années. On peut ici inscrire le fonds de stabilisation de Russie qui gère 63,9 milliards de dollars et qui a pour but de fournir des revenus en cas de baisse des cours du gaz et du pétrole. Le Saudi Arabian Monetary Agency (SAMA) poursuit le même objectif que le fonds de stabilisation de Russie. Avec ses quelques 500 milliards de dollars investis dans des actifs peu risqués, le fonds étatique saoudien vise des revenus stables sur le long terme, qui permettront de pallier les baisses des cours du pétrole. La particularité de ce fonds vient du fait qu’il est étroitement lié à la banque centrale saoudienne qui gère une partie des actifs.

Les fonds de constitution d’épargne intergénérationnelle ont pour but la constitution d’une épargne pour les générations futures. Ces fonds sont construits afin de pérenniser les capitaux issus des exportations minières, pétrolières, gazières ou des réserves de change. Ils mènent une stratégie de long terme, la stabilité des rendements à travers les années prévaut sur des gains importants. Depuis 2005, le Korea Investment Corporation (KIC) investit de manière diversifiée tout en limitant les risques pris afin de produire des revenus stables qui permettront l’accroissement des richesses du pays. Les 160 milliards de dollars sous encours sont investis dans des actifs traditionnels ou alternatifs, ce qui permet au KIC d’avoir un retour annualisé de plus de 8 % depuis sa création.

Dans un même esprit de construction d’épargne sur le long terme, l’Alaska Permanent Fund place au minimum 25 % de ses revenus provenant du pétrole et du gaz dans des investissements prudents pour constituer un socle commun d’épargne pour les générations futures ou actuelles. Chaque année un dividende compris entre 1000 et 2000 $ est versé aux habitants éligibles. Pour se voir reverser ce dividende, il faut être résident dans l’Etat de l’Alaska depuis au moins un an et ne pas avoir commis de crime ou de délit.

Les fonds de financement de retraites sont instaurés dans les pays où le vieillissement démographique pose problème. La France a instauré un fonds de réserve pour les retraites en 1999, le Japon détient le Government Pension Investment Fund et l’Allemagne mène des études sur les bénéfices qu’apporterait la mise en place d’un fonds souverain pour renforcer leur modèle social bismarckien. Ces fonds sont construits afin d’engranger une épargne qui servira à payer les cotisations retraites quand le ratio inactifs/actifs sera trop élevé. On retrouve ce type de fonds dans les pays où le système de retraite est dit “par répartition”. Ainsi, le Government Pension Investment Fund japonais en est le parfait exemple puisqu’un Japonais sur quatre est âgé de 65 ans ou plus. Le vieillissement démographique s’accélère de plus en plus et pour pallier le problème de financement des retraites, le Japon a instauré un fonds étatique qui gère et investit dans les fonds de réserve des régimes de retraites confiés par le ministre de la Santé, du Travail et de la protection sociale. Les 1 000 milliards de dollars sont investis de manière passive afin de sécuriser les rendements au cours du temps (90 % des actifs sont investis passivement dans des actions).

La Caisse de dépôt et de placement du Québec (CDPQ) suit le même mode de fonctionnement en gérant le régime de rentes du Québec et plusieurs autres régimes annexes. Le CDPQ investit ses 365,5 milliards de dollars au Canada (50 %) et à l’étranger (20 % aux USA, 15 % en Europe, 15 % aux pays émergents et à l’Asie) pour financer le régime de retraite universel québécois. Avec les années, d’autres missions sont venues s’ajouter au mandat de l’institution, notamment la gestion du fonds de retraites des fonctionnaires (1973) et du fonds de la santé et de la sécurité du travail (1973). Actionnaire de plus de 4 000 entreprises au Québec, au Canada et à l’étranger, la CDPQ se classe comme le deuxième fonds de pension le plus important du pays.
Certains pays comme l’Irlande anticipent le vieillissement démographique. Ainsi, le National Reserve Pension Fund (NRPF) investissait de 2001 à 2014 pour prendre en charge une partie des dépenses de protection sociale et de retraite. Le fonds a pris un tournant décisif dans son histoire en 2014 en devenant un fonds de développement, le Ireland Strategic Investment Fund visant à soutenir l’emploi et les infrastructures du pays.

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Les fonds d’optimisation, eux, ne visent que la performance pure. Ils investissent les réserves de change du pays par lequel ils sont gérés afin d’en retirer le meilleur rendement rapidement. Ils ne poursuivent aucun des objectifs cités précédemment et ces institutions fonctionnent davantage comme des Hedge Fund que comme des fonds d’Asset Management. L’analyse quantitative est majoritaire et les produits dérivés sont monnaie courante (put, call, CFD…).
Ainsi, le State Administration of Foreign Exchange (SAFE) est une filiale du fonds chinois souverain localisée à Hong-Kong et qui gère les réserves de change du pays de manière active. Fondé en 1997 avec 20 milliards de dollars, le SAFE détient aujourd’hui 3 200 milliards de dollars de réserves de change. Les principaux objectifs du SAFE sont d’obtenir des retours sur investissement élevés rapidement, mais également de réduire l’exposition aux fluctuations du dollar américain.

Enfin, les fonds de développement permettent aux pays de diversifier leur économie en finançant les grands projets industriels ou touristiques. Cela permet un développement pérenne pour le pays en modernisant les infrastructures déjà présentes et en en créant des nouvelles. On les retrouve généralement dans les pays en développement, cependant certains pays développés qui visent à moderniser ou renouveler leurs infrastructures, comme l’Australie, instaurent ce type de structure financière. Le Future Fund australien investit 161,1 milliards de dollars dans la recherche médicale, l’aide aux populations aborigènes, le soutien aux populations victimes de catastrophes naturelles ou encore dans l’éducation de sa population.

En plus d’investir dans des infrastructures durables comme le fait le Future Fund australien, Temasek, le fonds Singapourien fondé en 1974 et gérant 381 milliards de dollars, fournit également des efforts pour diminuer lui-même son impact sur l’environnement. En 2020, le fonds a atteint la neutralité carbone et les émissions nettes de carbone du portefeuille ont été amenées à 50 % de leur niveau de 2010.
D’autres types de structures plus orientés vers le développement des entreprises plutôt que vers celui des infrastructures voient également le jour. Ainsi, la Banque Publique d’Investissement française (Bpifrance) finance les projets innovants des entrepreneurs et leur assure des prêts garantis par l’Etat dans le but d’améliorer la compétitivité française dans tous les domaines de l’économie. Depuis 2012, elle agit à travers le territoire français, mais aussi à l’étranger pour aider les entreprises à effectuer leur transition énergétique : 3,3 milliards d’euros d’investissements seront réalisés en ce sens entre 2020 et 2023. Avec près de 30 milliards à disposition, la société de gestion peut investir dans des entreprises matures à travers une activité de Private Equity classique, mais aussi se placer sur le marché du Venture Capital en venant soutenir des start-up aux projets innovants.

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Le Government pension Fund-Norway, un mastodonte de la finance au service de son pays

Anciennement Government Petroleum Fund (1990), le Government Pension Fund-Norway (2006) est aujourd’hui encore le premier fonds souverain au monde en termes de capitalisation. En 2021, les encours gérés par celui-ci (assets under management/AUM) s’élèvent à 1.105 milliards d’euros, ce qui représente plus de 3,5 fois la valeur du PIB brut de 2020 de la Norvège. Les encours sous gestion du Government Pension Fund-Norway sont aussi élevés que ceux de T.Rowe Price, BNP AM ou encore Bank of America. Ce fonds souverain se classe comme fonds de constitution d’épargne intergénérationnelle et fonds de stabilisation. Il a pour objectif de gérer les excédents de réserves de change provenant de l’exportation du pétrole et de construire des réserves pour, à terme, remplacer les revenus liés à l’exploitation de l’or noir.

Plus de 300 milliards d’euros ont été investis dans le fonds souverain depuis 1996, ce qui devrait laisser suffisamment de temps au pays pour réorienter sa stratégie et trouver une nouvelle source de revenus pour remplacer le pétrole. En effet, les réserves prouvées d’or noir en Norvège s’élèvent à 6 376 milliards de barils en 2020, l’extinction des réserves d’hydrocarbures est attendue d’ici 2050 à 2060. Les bénéfices dégagés par le National Government Pension Fund Norway (NGPFN) servent à compenser la perte de revenus futurs due à la perte d’exploitation de pétrole, mais ils peuvent aussi être utilisés par le gouvernement à hauteur de 4 % du capital du fonds pour financer les dépenses publiques du pays, ou encore pour combler le déficit public.

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Bien que ce fonds soit géré par la banque centrale norvégienne, la Norges Bank, et que son président soit le gouverneur de la banque centrale, Øystein Olsen, le fonds norvégien confie une partie de la gestion de son capital à des sociétés de gestion extérieures : 4,7 % du capital sont extériorisés. Ce pourcentage est amené à augmenter lors des deux prochaines années puisque le directeur général, Nicolai Tangen (ancien CEO du Hedge Fund londonien AKO Capital LLP), estime que la partie equity n’est pas suffisamment lucrative. Cependant, le fonds est très sélectif et très peu d’entreprises ont la chance de collaborer avec le Government Pension Fund-Norway. Seule une dizaine de brokers par continent en moyenne sont amenés à traiter 90 % des ordres passés par le GPFN.

Le fonds opère sur la majorité des classes d’actifs disponibles et ses placements financiers se décomposent de la manière suivante : 73 % en actions, 24,5 % en fixed income (majoritairement des obligations d’Etats) et 2,5 % en immobilier. Pour ce qui est de la répartition géographique, le fonds intervient sur les 3 grands marchés que sont les Etats-Unis (42 % du total des placements), l’Europe (33 %) et l’Asie (25 %). Il est à noter que le fonds se refuse de monter au capital d’entreprises norvégiennes pour éviter de créer une bulle sur le marché boursier national.

En outre, le fonds norvégien est le sixième investisseur du CAC 40 en détenant 1,6 % de sa capitalisation boursière. Ainsi, le Government Pension Fund-Norway est présent au capital de 9 123 entreprises dans 73 pays et détient l’équivalent de 1,5 % de la capitalisation boursière mondiale. Néanmoins, le fonds d’investissement norvégien s’interdit de prendre de grosses participations dans les comités directeurs des entreprises, l’objectif n’étant pas d’être un investisseur activiste mais plutôt de constituer des réserves pour les générations futures.

Ses performances restent remarquables avec notamment 100 milliards d’euros de bénéfices lors de l’année 2020, ce qui représente un rendement de 10,9 %. Au premier trimestre de 2021, le fonds d’investissement étatique norvégien a engrangé 38 milliards d’euros, soit un rendement de 4 %. En outre, sa performance sur le long terme n’a rien à envier aux entités privées : sur 23 ans d’existence, seules 5 années ont été négatives et le rendement annuel moyen entre 1998 et 2020 s’élève à 5,8 %, malgré plusieurs crises majeures.

Une gestion transparente et flexible, adaptée aux objectifs éthiques du siècle

La stratégie menée par les gestionnaires est prudente, mais le nouveau directeur général en fonction depuis septembre, Nicolai Tangen, envisage de mettre en place de nouvelles stratégies spécifiques aux Hedge Funds. En vue d’améliorer les rendements, le GPFN aura recours au short-selling ainsi qu’à des produits dérivés sur actions. Cependant, les ETF (Exchange-Traded Fund) sont également grandement utilisés afin de sécuriser un certain niveau de rendement et de diminuer les coûts. Le fonds étatique norvégien est à dominante quantitative et l’automatisation est fortement présente. Ce sont alors 113 000 opérations qui sont réalisées par jour pour un montant moyen de 1 milliard de dollars. 11 traders ont à charge de passer les opérations sur les marchés boursiers, les 518 employés restants s’occupent des analyses, de la compliance ou bien de la gestion du risque. 60 portfolio managers sont mandatés pour gérer 15 % des placements dans les actions, les 85 % restants sont externalisés auprès d’autres sociétés de gestion.

Le fonds s’expose également à une stratégie event-driven en augmentant ses positions dans les entreprises qu’il possède en amont de résultats ou encore en se positionnant sur des IPO. Les dirigeants du fonds n’hésitent pas à mettre la pression aux entreprises qui ne respecteraient pas les critères d’éligibilité. De ce fait, Walmart a été exclue de la liste des entreprises sur lesquelles il était possible d’investir en 2006 pour cause de violation systématique des droits de l’Homme. Heures supplémentaires non rémunérées, non-respect du salaire minimal et agressions envers les membres du personnel ont amené le gouvernement norvégien à désinvestir 372 millions de dollars de la chaîne de grande distribution américaine. Depuis, des améliorations ont été apportées chez le géant de la grande distribution et le conseil de l’éthique a décidé de réintégrer Walmart dans cette liste en 2019. Le GPFN répond de mieux en mieux aux attentes des investisseurs en s’impliquant davantage dans les structures respectant les critères ESG. En abandonnant la prise de positions dans des sociétés spécialisées dans les énergies fossiles, l’armement, la fabrication de tabac ou encore les entreprises impliquées dans des destructions environnementales, le GPFN renouvèle totalement son portefeuille pour répondre à des critères devenus prépondérant dans le monde de l’investissement. De plus, le comité directeur prévoit que plus de 2 % des capitaux soient alloués aux énergies renouvelables, notamment par le biais d’investissements dans les infrastructures.

Les différentes équipes d’analystes et de traders sont localisées sur toutes les plus grandes places financières (New-York, Shanghai, Singapour) pour couvrir l’ensemble des marchés mondiaux. Cependant, des équipes restent à Oslo et couvrent également tous ces marchés. La journée de trading débute alors à 23h (Oslo time), à l’heure de l’ouverture de la bourse d’Auckland et se termine à 22h le jour suivant, à la fermeture du New York Stock Exchange. Les traders sont encouragés à effectuer des rotations entre les différents bureaux afin d’assurer une certaine cohésion entre les équipes, mais aussi pour traiter de nouveaux produits afin d’étendre leur domaine de compétences. L’institution norvégienne est également très transparente en ce qui concerne ses placements financiers, les rapports annuels et trimestriels dévoilent les objectifs de rentabilité, les stratégies d’investissement utilisées ainsi que les entreprises présentes en portefeuille.

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Ainsi, le fonds norvégien se donne comme objectif de battre les performances des indices des pays dans lesquels il investit, ou encore de s’exposer davantage aux marchés émergents dans les deux années à venir. Les modifications importantes doivent être votées au parlement et les contraintes d’investissement sont définies dans le mandat du ministère des Finances. Le benchmark est défini par le mandat de la Norges bank et du ministère des Finances. Il s’appuie sur le poids de chaque classe d’actif présente en portefeuille. Une fois ces proportions définies, les indices utilisés comme référence sont ceux dans lesquels le fonds investit, c’est-à-dire le S&P500, le CAC40, le NZX50, etc. Par ailleurs, les stratégies d’investissement sont testées sur un portefeuille de référence avant d’être implantées dans le portefeuille principal du GPFN.

Les fonds souverains sont des acteurs majeurs du monde de l’investissement. Ils poursuivent chacun des objectifs distincts, ne mènent pas les mêmes stratégies d’investissement et n’ont pas la même taille. Mais les plus importants au monde peuvent influencer le marché et agir sur les entreprises en étant activistes. Ainsi, ils sont capables d’agir pour la transition écologique en respectant et en incluant les critères ESG dans leurs investissements. Pour satisfaire les investisseurs, certains fonds se focalisent sur les infrastructures d’énergies renouvelables, tandis que d’autres décident d’exclure des entreprises de leur horizon d’investissement.

Hugo Adoux, étudiant à NEOMA Business School et contributeur du blog AlumnEye