Au lendemain du séisme provoqué le Brexit, l’annonce de la nomination de José Manuel Barroso au poste de Président non-exécutif de Goldman Sachs a suscité de nombreuses réactions en Europe. Cette reconversion de l’ancien président de la Commission Européenne a été pointée du doigt, notamment pour des considérations éthiques. Elle remet sous les feux des projecteurs les liens parfois étroits entre puissants acteurs de la Finance et hauts responsables politiques. Très vivement critiqué sur son mandat, comme sur sa nouvelle fonction, José Manuel Barroso n’en demeure pas moins un homme à la carrière couronnée de succès, hissé aux plus hautes sphères du pouvoir européen.
L’ascension d’un brillant universitaire
Né en 1956 à Lisbonne, José Manuel Barroso s’est rapidement impliqué politiquement en parallèle de ses études de droit. Dès ses 18 ans, alors que le Portugal connaît la chute de la dictature menée par Salazar, il prend la tête d’un parti d’extrême gauche : le Mouvement pour la Réorganisation du Parti du Prolétariat. Il rejoint ensuite le premier ministre socialiste Mario Soares, puis le Parti Social-Démocrate (PSD) orienté centre droit, et part finir ses études en Suisse jusqu’en 1985.
De retour au Portugal la même année, sa carrière politique prend une nouvelle dimension. En l’espace de 10 ans, il enchaîne élections et prestigieuses nominations. Il est successivement élu Président du PSD, député et Secrétaire d’Etat aux affaires intérieures en 1985, Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères et de la coopération en 1987, puis Ministre des affaires étrangères du Portugal en 1992 – poste qu’il occupera durant 3 années. C’est là le récit d’une ascension fulgurante qui en fait un homme politique connu (et reconnu). D’intéressantes perspectives pour sa carrière académique s’offrent alors ; carrière qu’il reprend activement après avoir quitté le gouvernement portugais en 1995. José Manuel Barroso est décoré pour ses travaux académiques dans plusieurs pays ; citons le Portugal mais aussi la France, l’Italie, le Brésil, et enfin les Etats Unis. Il est professeur invité dans plusieurs institutions, la plus prestigieuse étant celle de Georgetown aux Etats-Unis ; activité qu’il cumule avec son mandat de député.
Barroso entame un retour en politique jalonné par les victoires. Parallèlement à sa carrière nationale, il s’affirme davantage sur le plan européen et prend la vice-présidence du Parti Populaire Européen en 1999. Son bilan, teinté par une politique économique libérale prônant la rigueur, est marqué internationalement par l’organisation du Sommet des Açores en 2003 qui signe le déclenchement de la guerre en Irak. Barroso abandonne alors son poste de Premier Ministre portugais, conquis 2 ans plus tôt. Affirmé en partenaire de choix auprès d’acteurs incontournables de la scène européenne et mondiale – tels Tony Blair ou Georges W. Bush – il devient en 2004 Président de la Commission Européenne, à la faveur de 413 voix sur 711.
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Deux mandats particulièrement critiqués
Incontestable stratège politique, Barroso ressort néanmoins très contesté de ses dix années passées à Bruxelles et a essuyé de nombreuses critiques. Quentin Dickinson affirmait que « Barroso s’est toujours montré plus doué pour conquérir le pouvoir que pour l’exercer ». Le journaliste anglais soulignait ainsi le manque d’initiative souvent reproché au personnage, et donc de ses difficultés à gouverner.
Certes, ses deux mandats se sont succédés en pleine crise financière – le deuxième ayant été totalement dédié à cette gestion de crise. Cependant, les critiques assénées à sa gouvernance demeurent en partie légitimes. Surnommé le « caméléon » du fait de sa capacité à adapter son discours et ses idées à son interlocuteur, Barroso s’est vu régulièrement reprocher son manque de charisme et son statut d’exécutant des politiques françaises, allemandes ou anglaises – jugées parfois trop libérales ou pas assez sociales.
Réélu sans trop de difficultés en 2009, Barroso a bénéficié du soutien de la très grande majorité des dirigeants alors en place. Il a renforcé au cours de son mandat sa réputation de dirigeant prenant peu d’initiatives, ses détracteurs soulignant souvent son manque de courage. Si la fin de son mandat est louable – tentatives de corriger certains travers des marchés ayant débouché sur la crise par l’adoption d’une quarantaine de législations – son lien avec la Finance et son hostilité à l’idée de proposer de drastiques régulations demeurent une source d’attaques fréquentes.
Toute proportion gardée, il convient néanmoins de nuancer les critiques portées à l’égard du personnage, tant exercer la Présidence de la commission Européenne s’apparente à un périlleux numéro d’équilibriste. En témoigne le bilan à mi-mandat déjà critiqué de son successeur : Jean-Claude Juncker, qui s’avère tout aussi timoré dans ses prises d’initiatives politiques. De plus, la crise des migrants, les tristes évènements associés, ou encore le Brexit rappelle la conséquente exposition de cette fonction aux critiques.
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Une nomination sujette à scandale
Annoncée le 8 juillet 2016 par un communiqué diffusé sur le site de la firme, la nomination de Barroso chez Goldman Sachs a provoqué un tollé en Europe. S’il est légal – le délai de carence imposé suite à la fin de son mandat étant de 18 mois – ce choix de carrière soulève néanmoins des interrogations sur la pratique du « pantouflage » de ces anciens hauts dignitaires publics s’offrant une reconversion dans le privé. Pour la banque américaine, ce choix se veut hautement stratégique. Dans le contexte actuel, les compétences de Barroso constituent un atout de choix dans la conservation du passeport européen nécessaire à la pleine activité de la banque depuis le Royaume Uni.
Mario Draghi avait lui aussi été pointé du doigt par le passé, tout comme Neelie Kroes – ancien chargé de la concurrence au sein de l’UE ensuite recruté par UBER. Ainsi, si elle ne constitue pas un cas isolé, la nomination de José Manuel Barroso pourrait marquer le début de réformes visant à éviter de nouveaux scandales. De fait, la nomination de l’ancien porte drapeau de la lutte contre la crise – dont Goldman Sachs est régulièrement portée en partie responsable – fait grincer des dents le pouvoir européen en place.
Redoutable homme politique dont l’intelligence n’est plus à démontrer, José Manuel Barroso a su mener une carrière remplie de succès ; mais dont les aboutissements peuvent être remis en question au regard des actes manqués imputables à ses dix ans à la tête de la Commission Européenne. Lui qui, de ses propres mots « aurait souhaité voir plus de solidarité entre les gouvernements », regrette de ne pas être parvenu à fédérer l’Europe au moment des crises successives. Si son parcours d’universitaire semble exemplaire, les nombreux revirements idéologiques jalonnant sa carrière laissent planer certains doutes sur ses réelles convictions. A l’heure où les dérives passées de la finance et de la politique portent encore préjudice à nombre d’acteurs, un tel choix de carrière, s’il est compréhensible, demeure sujet à de violentes critiques, tout comme le bilan de l’ancien ministre portugais.
Andrea Bossetti, étudiant à PSB et contributeur du blog AlumnEye
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