L’industrie financière est inondée par les données. L’explosion des informations bancaires échangées par les clients et la multiplication des données utilisées sur les marchés financiers, conjointe à une augmentation des capacités de stockage et de calculs, expliquent l’engouement de la finance pour le Big Data et ses algorithmes. Les algorithmes utilisés aujourd’hui dans les banques de détail et d’investissement sont inspirés des géants du digital : Google, Facebook, Twitter ou encore Salesforce. Ils ont été adaptés pour répondre aux besoins spécifiques des métiers de la finance.
La Révolution Big Data
La dernière rupture comparable dans le secteur bancaire a eu lieu au début des années 1990 avec les débuts de la cotation électronique et le suivi en temps réel des comptes courants et des crédits permanents. A cette époque les traders ont pu avoir accès à une quantité nouvelle de données qu’ils pouvaient analyser. Aujourd’hui le Big Data permet d’utiliser plus de données et de réaliser un travail d’analyse algorithmique beaucoup plus vaste et rapide. La similarité des deux phénomènes est soulignée par les questions semblables qu’ils soulèvent : faut-il employer des méthodes automatiques d’analyse de ces données massives ou avoir des approches réfléchies de ces dernières ? Quelle part laisser à la stratégie humaine face à celle des algorithmes ?
Banques de détail et d’investissement : des utilisations Big Data différentes
Le Big Data permet d’améliorer les stratégies marketing de la banque de détail. Face à une clientèle de moins en moins fidèle, le premier enjeu pour la banque est de conserver ses clients en anticipant leurs besoins via l’analyse de leurs comportements bancaires. Les données que vous laissez après avoir contracté un prêt, lors de vos achats sur internet ou en magasins, retraits auprès de distributeurs… sont analysées avec minutie. Même vos données sur Facebook ou LinkedIn sont décortiquées par des algorithmes qui vous mettent dans des cases clients afin de proposer des produits adaptés à votre situation financière.
L’outil Big Data permet alors de rationaliser les processus comme le montage de prêts en modernisant les outils de scoring des clients. Associées aux données financières classiques, les données sociales et comportementales fournissent une image plus complète du futur emprunteur et une évaluation plus précise du profil de risque de ce dernier. Concrètement, la banque peut anticiper le défaut d’un client ou des retards de paiement.
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Pour la banque d’investissement, les outils Big Data analysent en temps réel les données de marché afin de maximiser la rentabilité et de minimiser l’exposition aux risques. Ils favorisent ainsi l’optimisation des stratégies de trading au sein des front offices pour lesquels l’analyse doit être dynamique étant donné la variabilité des données. Les données qui étaient abandonnées autrefois faute d’espace de stockage sont désormais très facilement ajoutées à des bases de données afin d’être conservées et analysées. L’adjonction d’un moteur de recherche permet de prospecter efficacement ces données en temps réel, tout comme Google permet de chercher dans tout le web et sait instantanément présenter les 10 résultats importants du moment.
Cette utilisation automatisable par programmation ouvre de nouveaux horizons, que ce soit dans l’optimisation des stratégies de trading que dans la détection des fraudes. Mis à disposition d’un opérateur middle office, le Big Data est un moyen efficace pour la détection d’anomalies car il est alors possible d’accéder à l’ensemble des données de la banque sans aucune limite d’historique.
Du « Fast Trading » au « Smart Trading »
Depuis 15 ans la réflexion sur l’intelligence artificielle au service des marchés financiers bat son plein, mais ces dernières années, on a assisté à un développement particulier dans le secteur. En effet, les opérateurs de marché ont misé sur la rapidité. Les « flash boys », décrits par Michael Lewis dans le livre du même nom publié au printemps 2014, utilisent la vitesse d’exécution de leurs programmes informatiques pour repérer des situations d’arbitrage puis prendre position en une poignée de microsecondes. Ce nouveau développement du High Frequency Trading (HFT) ou « trading à haute fréquence » s’est fait connaître du grand public français via le documentaire d’Ivan Macaux et Ali Baddou « Les Nouveaux Loups de Wall Street » diffusé fin avril 2015 sur Canal+. On y apprend qu’au sein des salles de marché, des informaticiens, des ingénieurs en télécommunications et des mathématiciens ont remplacé une grande partie des traders. La technologie s’est placée au centre des préoccupations de ce blitz financier : processeurs, fibres optiques, commutateurs hautes fréquences ont été poussés à leurs limites.
Selon l’Institut Louis Bachelier, près de 70% des transactions ont été effectuées via le trading à haute fréquence en 2014. Comme les « flash stratégies » sont de plus en plus utilisés, il devient de plus en plus difficile pour le High Frequency Trading d’être rentable. Les bénéfices provenant du « turbo-capitalisme » aux États-Unis ont chuté de 81% depuis 2009.
Dans le domaine du fast trading, même si des algorithmes prennent position, il y a toujours des scénarii de marché élaborés par des humains. Et justement, ces dernières années ont démontré que même les stratèges et les esprits les plus brillants de l’industrie des hedge funds ont eu du mal à interpréter les grandes orientations du marché.
Le virage du « fast trading » vers le « smart trading » s’explique donc par la conjonction des deux phénomènes précédents : des revenus générés par le HFT en baisse et la volonté d’éprouver de nouvelles stratégies élaborées par des machines intelligentes.
C’est à partir de ces constats qu’est née l’idée d’implémenter des stratégies algorithmiques couplées à l’utilisation de données massives dans les salles de marché, avec des automates qui apprennent du marché. « Le machine learning est la nouvelle méthode d’investissement pour les 20 prochaines années et les plus gros acteurs du marché se concentrent sur son utilisation. » commente Gustavo Dolfino, CEO de la société de recrutement WhiteRock Group.
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Dans les banques d’investissement et les hedge funds appliquant ces stratégies systématiques, les calculateurs analysent une série de ratios et de données financières aspirées sur internet, Reuters, Bloomberg… et analysent les hausses et les baisses qui découlent de la conjonction de différents paramètres. Il est par exemple possible d’étudier les flux de nouvelles « Twitter » pour évaluer les réactions – positives ou négatives – du marché face à un nouveau produit. Ces avis peuvent ensuite être transformés en conseils d’achat ou de vente. Ces machines sont ainsi capables d’apprendre du marché puis de repérer des configurations semblables à celles observées précédemment afin de prendre position à la hausse ou à la baisse en répétant les schémas passés. Elles enregistrent leurs réussites comme leurs erreurs afin d’améliorer d’elles-mêmes leurs performances. En somme, plus elles tournent, plus elles gagnent de l’expérience.
Le fond d’investissement américain BridgeWater, 160 milliards de dollars sous gestion, détenu par le milliardaire Ray Dalio, a annoncé en février 2015 la mise en application d’un algorithme allant encore plus loin. L’automate a été crée par une équipe d’ingénieurs, informaticiens et mathématiciens, qui travaillent sous les ordres de David Fiorucci, ancien directeur de l’équipe qui a conçu l’ordinateur Watson d’IBM, célèbre pour avoir gagné le jeu « Jeopardy ! » contre des humains. Il est capable de lui-même d’adapter les stratégies systématiques qu’il applique en fonction de l’évolution du marché. Son adaptabilité quasi humaine, et ses upgrades pilotés par le marché sont donc sensés le maintenir à la pointe.
C’est le nouveau fleuron de la technologie du trading qui est en train d’être développé. Un outil qui soulève des questions philosophiques et qui n’a étrangement pas fait grand bruit avant qu’Elon Musk ne re-tweete une dépêche Bloomberg révélant son existence. De nombreux professionnels craignent de nouveaux « flash crashs » semblables à celui du 6 mai 2010. Ce dernier avait occasionné une chute du Dow Jones de 10%. Selon la SEC (Securities and Exchange Commision, l’équivalent américain de l’AMF) un opérateur algorithmique – probablement la société Wadell & Reed – avait émis un ordre de vente de 75 000 contrats futures portant sur l’indice S&P 500 (représentant un tiers du marché des E-mini, c’est à dire des « mini » contrats futures sur le S&P 500). Dans un contexte de fébrilité des marchés due aux prémices de la crise de la dette grecque, l’ordre a provoqué un effondrement du prix des contrats futures. D’autres systèmes automatisés se sont activés pour vendre des contrats à terme et des actions. Le Nasdaq et le New York Stock Exchange ont donc pris la décision exceptionnelle d’annuler certains échanges de titres ayant eu lieu entre 14 h 40 et 15 heures ce jeudi 6 mai 2010.
Conserver plus de données, fonder des stratégies tenant compte de davantage de paramètres, anticiper les faits et gestes du client… L’usage du Big Data dans la banque ouvre donc de nombreuses perspectives de rentabilité et interroge autant qu’il fascine.
Vincent Lavie, étudiant à Centrale Lyon et Contributeur du blog Alumneye
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