Il y a parfois dans les dynamiques boursières des mouvements que rien ne semble pouvoir arrêter. Tesla, le géant électrique américain piloté par Elon Musk, semble en faire partie. Au cours de l’année 2020, la valeur de l’action a grimpé de 742%. L’engouement était tellement fulgurant qu’Elon Musk lui-même déclarait en mai : « Le prix de l’action Tesla est trop élevé ». Le 31 août, un fractionnement d’action a eu lieu : pour chaque action Tesla détenue, les actionnaires en ont reçu quatre. Cela a permis de faire artificiellement redescendre le prix de l’action de 2230 $ à 446 $, mais depuis le cours de l’action a presque doublé. En septembre 2020, selon Statista, la capitalisation boursière de Tesla représentait plus de 30% de la capitalisation totale de tous les fabricants automobiles du monde. Le revenu de Tesla, quant à lui, représente aujourd’hui 2,1% seulement du revenu cumulé de ces mêmes fabricants automobiles.

 

Face à cette course en avant qui semble infinie, certains analystes et investisseurs s’inquiètent : le constructeur Tesla vaut-il vraiment tout cet argent ? Ferions-nous face à une nouvelle bulle qui risque d’éclater ?

 

Le marché attend de Tesla une formidable croissance

 

Pour pouvoir répondre objectivement à cette question, il faut se pencher sur l’origine du prix des actions. Celui-ci dépend des attentes du marché sur les dividendes versés aux actionnaires par l’entreprise cotée. En fait, la valeur de l’action n’est autre que la valeur actualisée de l’ensemble des dividendes à percevoir dans le futur. On estime que le montant et la fréquence de ces dividendes dépendent de l’ampleur du revenu de l’entreprise. Ainsi, plus le marché s’attend à ce que l’entreprise gagne de l’argent, plus le prix de l’action est élevé.

 

Vu l’évolution du prix de l’action Tesla, les investisseurs s’attendent à ce que le fabricant automobile gagne beaucoup, voire énormément d’argent à l’avenir. Le prix actuel de l’action suppose des revenus qui ne pourront être atteints que si un tiers des voitures vendues dans le monde en 2030 sont des Tesla. Cela représenterait plus de 20 millions de véhicules produits, alors que l’entreprise en fabrique aujourd’hui 500 000. Mission impossible ? Pas selon Elon Musk, lequel s’est justement fixé pour objectif de sortir 20 millions de voitures de ses usines à horizon 2027-2030.

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La révolution des véhicules électriques

 

Véhicule Tesla noirLe réchauffement climatique, un thème qui était encore secondaire au tournant du XXIe siècle est maintenant devenu central dans la presse et sur les réseaux sociaux. Face à la pression croissante de l’opinion publique, les gouvernements et les fabricants automobiles se sont attelés à la tâche titanesque qui consiste à retirer de la circulation tous les véhicules à essence pour les remplacer par des véhicules électriques. Ce mouvement colossal est en marche, et son ampleur est considérable. D’après l’étude Electric Vehicles : setting a course for 2030 du cabinet Deloitte, la croissance du marché des véhicules électriques s’établira à presque 30% par an au cours des 10 ans à venir. Cela ne représente rien de moins qu’une augmentation totale de 1 380% d’ici 2030. Une grande opportunité à saisir donc pour une entreprise audacieuse qui souhaite révolutionner le secteur automobile.

 

Les atouts de Tesla pour dominer le marché mondial de la voiture électrique

 

Dans un monde où le pétrole appartiendra au passé et les énergies vertes alimenteront la plupart des machines, Tesla possède un avantage compétitif certain. Tout d’abord, l’entreprise a optimisé sa chaîne d’approvisionnement de batteries, qui sont produites en partenariat avec Panasonic dans l’une des « Gigafactory » au Nevada. Grâce à de multiples innovations technologiques, Tesla continue à diminuer ses coûts de production. Cette tendance devrait s’accélérer dans le futur puisqu’Elon Musk a annoncé que la production de batteries allait bientôt être gérée à 100% en autonomie. Les autres fabricants automobiles n’ont pas une telle maîtrise technologique et industrielle des batteries, et doivent recourir à des fournisseurs extérieurs, ce qui augmente les délais et les coûts. Or, la batterie est un composant essentiel de la voiture électrique et représente une grande part de son prix (30% pour les Tesla).

 

Aujourd’hui, les stations-service sont essentielles à l’utilisation de masse de voitures à combustion. Demain, les stations de recharges électriques remplaceront les stations-service tous les quelques kilomètres. Or Tesla est déjà propriétaire du plus grand réseau mondial de ces stations et sa technologie Supercharger permet de recharger les batteries très rapidement. Ce réseau donne à Tesla un vaste avantage, puisqu’il va pousser un grand nombre de futurs clients à acheter une Tesla. Il constitue en outre une forte barrière à l’entrée pour les concurrents traditionnels, qui devront investir des sommes gigantesques pour déployer un tel réseau.

 

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« Software is eating the world » écrivait en 2011 Marc Andreessen, célèbre co-fondateur du fonds de Venture Capital Andreessen Horowitz. L’ensemble des fonctionnalités du système Tesla est régulièrement mis à jour, ce qui donne l’impression au conducteur d’avoir une voiture qui se modernise toute seule au fil du temps. Cependant Tesla a de la concurrence sérieuse sur le sujet ; notamment Waymo issue de Google et Cruise (qui appartient à General Motors). Actuellement, Waymo et Cruise sont valorisées à 30 et 19 milliards de dollars respectivement, alors que la valeur de Tesla est environ de 130 milliards. Cependant, ces deux entreprises ne sont pour le moment pas rentables. A titre de comparaison, Tesla a généré un chiffre d’affaires de 8,77 milliards de dollars et un résultat brut d’exploitation de 809 millions de dollars sur la même période.

 

Pourquoi une telle hausse du cours en pleine pandémie ?

 

Outre ces fondamentaux solides, il est important de noter que l’essentiel de l’augmentation du prix de l’action Tesla s’est matérialisé pendant la crise de la COVID-19. Pourquoi une telle augmentation en période de pandémie ? En fait, la plupart des concurrents de Tesla ont été sévèrement secoués par une chute de la demande pour l’achat de voitures. Cela les a contraints à suspendre des programmes de recherche et développement pour les véhicules électriques dans une optique de préserver leur cash. Ainsi, le fossé technologique entre Tesla et ses concurrents s’est creusé.

 

Face à une vague de résultats financiers décevants dans le secteur automobile, Tesla a su tenir bon pendant la crise : en 2020, le résultat net de Tesla n’a cessé de croitre, passant de 16 millions de dollars au premier trimestre à 331 millions de dollars au troisième trimestre (soit une multiplication par plus de 20). Il est important de noter que le résultat net de Tesla était positif sur les trois premiers trimestres de 2020, alors que celui de Volkswagen était de -1 789 millions de dollars au deuxième trimestre. De tels résultats montrent la résilience et le grand potentiel de Tesla, qui ne cesse jamais de surprendre les investisseurs.

 

La montée de Tesla a également profité de la chute de son concurrent médiatique, Nikola. L’entreprise qui vise à produire des camions électriques et à hydrogène en partenariat avec General Motors n’a pour l’instant rien vendu, mais a décidé d’entrer en bourse le 2 juin 2020 via une fusion inversée et un SPAC. Ce mécanisme consiste à créer une entreprise « coquille vide » (le SPAC) et à la coter en bourse tout en levant des fonds via une IPO, puis à acheter une entreprise privée via l’entreprise cotée. Cela permet de faire entrer une entreprise privée en bourse plus rapidement et avec moins de contraintes légales. Le prix de son action a initialement grimpé en flèche de 31 $ à presque 80 $, avant que l’entreprise soit accusée de fraude par l’institut de recherche Hindenburg. Nikola avait notamment fait rouler un de ses camions dans une pente pour donner l’impression que sa technologie fonctionnait. Suite à cette annonce, le prix a chuté. Cette chute s’est accentuée par la décision de General Motors de suspendre son partenariat avec Nikola le 30 novembre 2020. Aujourd’hui l’action NKLA vaut un peu plus de 13 $ et ce compétiteur de Tesla est fortement décrédibilisé.

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Le spectre de la bulle

 

D’après les analystes, le chiffre d’affaires de Tesla devrait augmenter de presque 50% entre 2020 et 2021, passant de 31.1 à 45.5 milliards de dollars. Le résultat net par action de Tesla devrait, lui, augmenter de presque 70% passant de 2.33 $ à 3.95 $. Ainsi, les analystes prévoient une augmentation significative de la performance de Tesla. Reste le problème du décalage permanent de ces chiffres avec le prix de l’action et la capitalisation boursière.

D’après Forbes, la capitalisation de Tesla équivaut à 15x son chiffre d’affaires projeté et 175x son résultat net projeté. A titre de comparaison, la moyenne des entreprises du secteur automobile se situe à 15x le résultat net projeté. Ainsi, l’engouement pour Tesla fait beaucoup de sceptiques, notamment parmi les analystes attachés à la valeur fondamentale de l’entreprise.

Certains analystes estiment également que la fin de l’épidémie de la COVID-19 grâce aux campagnes de vaccination devrait favoriser les « value stocks » par rapport aux « growth stocks » comme Tesla. En effet, les investisseurs ont beaucoup privilégié les valeurs technologiques et innovantes ces derniers mois car ces secteurs étaient moins touchés par la crise. Suite aux déconfinements et aux plans de relance, des secteurs plus impactés comme l’hôtellerie devraient recommencer à générer du profit dans les mois qui viennent. Les actions d’entreprises comme Google, Zoom ou Tesla perdront leur statut de valeur refuge, et leur prix risque de baisser.

 

 

Cette année, l’engouement boursier autour de Tesla a été plus qu’exceptionnel  au point de ressembler fortement à une bulle comme nous en avons connues par le passé. Cependant, les fondamentaux de Tesla sont excellents et ses avantages compétitifs en font un concurrent crédible prêt à détrôner les géants historiques de l’automobile. L’annonce récente de l’addition de Tesla à l’index S&P 500 témoigne d’une installation durable de l’entreprise dans le club fermé des meilleures firmes mondiales. Elle constitue la promesse d’un bel avenir, qu’il faudra suivre de près.

 

Giacomo Bretel – De Simone, étudiant à HEC Paris et contributeur du blog AlumnEye