Le 19 juin 2019 et pour la première fois de son histoire, le taux d’intérêt des Obligations Assimilables du Trésor à 10 ans, (i.e. emprunt souverain français) est passé sous la barre des 0% à -0,004%, atteignant jusqu’à -0,13% le 28 juin. Cet événement, loin d’être isolé et anecdotique, s’inscrit dans un mouvement de banalisation des taux d’intérêts négatifs des dettes souveraines européennes. La France n’est pas le premier pays à connaître ce phénomène, l’Allemagne et la Suisse ont eux aussi vu le taux d’intérêt de leurs obligations passer sous la barre des 0%. Ainsi, dès 2016, le taux d’intérêt du bund allemand, l’obligation allemande, était passé en territoire négatif à -0,017%.

Comment fonctionne un taux d’intérêt négatif ?

A titre de rappel, il est nécessaire de préciser qu’une obligation est un produit de dette par lequel l’emprunteur (l’émetteur de l’obligation) emprunte une somme d’argent au créditeur (le porteur de l’obligation) qu’il s’engage à rembourser à l’issue d’un certain délai. Ainsi, un investisseur qui détient une obligation avec une valeur faciale, perçoit des intérêts selon les termes fixés, en sus du nominal qui correspond à la valeur faciale à l’échéance. Dans le cas du taux d’intérêt négatif, l’investisseur perçoit tout de même des intérêts ainsi que le nominal à l’échéance. Néanmoins, l’obligation qu’il détient n’est pas achetée à sa valeur faciale, ce qui implique que son rendement est négatif.

Par exemple, un investisseur qui déciderait de prêter à la France une somme de 10 000 euros en souscrivant à une obligation à un taux d’intérêt négatif égal à -0,002%, récupérerait au bout de dix ans la somme de 9 999,80 euros. Phénomène étonnant et qui surtout peut sembler peu attractif pour un investisseur dont l’objectif est la réalisation d’un rendement.

Cela illustre, de manière évidente, l’originalité du phénomène qui déconcerte bon nombre d’économistes qui y voient une incompatibilité avec les principes mêmes sur lesquels reposent un système capitaliste.

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Les banques centrales à l’origine de ce phénomène

Deux raisons expliquent le basculement des taux d’intérêts des dettes souveraines en territoire négatif.

La première tient à la politique monétaire menée par les banques centrales. En particulier par la Banque Centrale Européenne (BCE) sous l’égide de Mario Draghi. Les banques centrales jouent un rôle primordial dans l’économie, par leur contribution à la définition de la politique monétaire et sa mise en œuvre. En ce sens, la BCE pratique elle aussi depuis 2014 des taux d’intérêts négatifs aux dépôts effectués par les banques de la zone euro. Rappelons que le principal taux directeur de la BCE est à 0% (opérations principales de refinancement) tandis que le taux appliqué aux dépôts au jour le jour est négatif, à -0,4%.  Cette politique, qualifiée d’expansionniste, a été mise en place pour favoriser la reprise de l’économie après la récession engendrée par la crise des subprimes et inciter les banques à financer l’économie et ainsi éviter qu’elles ne déposent leurs fonds à la BCE.

A cette politique monétaire est associé un programme d’assouplissement quantitatif, aussi dénommé quantitative easing. Ce dernier a été initié par la Federal Reserve (FED), la banque centrale américaine, en 2009 afin de relancer l’économie du pays. Cette politique a consisté en un rachat massif de titres de dette publique sur les marchés financiers et plus précisément par une injection de 3 500 milliards de dollars dans ces derniers. La BCE a emboîté le pas à la FED en 2015 en procédant à un rachat de dette publique pour un montant total de 1 500 milliards d’euros. Or, ce programme a eu pour effet la baisse des taux d’intérêts à court, moyen et long terme des obligations, phénomène aussi appelé « aplatissement de la courbe des taux ». Cette baisse résulte du déséquilibre entre l’offre et la demande d’obligations créé par la politique de rachat massif des banques de ces actifs financiers.

La seconde raison réside dans la guerre commerciale qui oppose la Chine aux Etats-Unis. Celle-ci fait naître des craintes chez les investisseurs quant à la rentabilité des entreprises, ces dernières se voyant privées de l’accès à un des principaux marchés mondiaux. Pour ces motifs, la pratique des taux d’intérêts négatifs traduit, d’un point de vue macroéconomique, un mouvement de repli des investisseurs ainsi que leurs craintes concernant l’évolution future de l’économie mondiale.

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Une classe d’actifs toujours sollicitée par les investisseurs

Les investisseurs voient dans les obligations, y compris celles à taux d’intérêt négatif, une valeur refuge. Dans cette période d’incertitude qui règne sur les marchés financiers, en particulier ceux des actions, les investisseurs sont prêts à payer pour être certains de retrouver leur capital initial dans le futur, même diminué d’une infime proportion. On peut citer à titre d’exemple les fonds de pensions. Ces derniers investissent les fonds gérés pour une durée dépassant les 30 ans. Dès lors, pour sécuriser leurs investissements et diminuer considérablement leur risque associé sur le marché des actions ou des matières premières, une part importante de leur portefeuille d’investissement sera composé d’obligations d’Etats même si ces dernières proposent un taux d’intérêt négatif.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il est possible de réaliser une plus-value, y compris sur des obligations à taux d’intérêts négatifs. Rappelons que le prix d’une obligation varie de manière inverse à celle des taux d’intérêts. Dès lors, lorsque les taux d’intérêts baissent, le prix des obligations augmente et réciproquement. Ainsi, une accentuation du mouvement de baisse des taux d’intérêts fera augmenter le prix des obligations déjà en circulation.

En outre, certains investisseurs sont contraints de souscrire à ces obligations. C’est le cas en particulier des banques et assureurs. Les obligations d’Etat et d’entreprises bien notées, représentant des placements quasi sûrs, ces investisseurs y souscrivent afin de respecter les différents ratios de solvabilité qui leur sont imposés par la réglementation bancaire. L’objectif est que la proportion de ces titres dans leurs actifs soit suffisamment élevée pour que le risque global de l’établissement soit jugé acceptable.

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Les Etats premiers bénéficiaires de ces taux très bas

Les taux d’intérêts négatifs constituent un atout majeur pour les Etats. Ces derniers leur permettent de diminuer la charge de leur dette. Et compte tenu de la pratique des taux d’intérêts négatifs, ils rembourseront une somme inférieure à celle qu’ils ont reçue.

Autrement dit, les Etats dont le taux d’intérêt des obligations est devenu négatif verront leur budget annuel augmenter. Selon la Cour des comptes, la France pourrait réaliser une économie d’environ quatre milliards d’euros sur la charge de sa dette. Cependant, plusieurs économistes précisent que pour que cette facilité d’endettement profite véritablement à l’économie, elle doit être associée à des investissements d’ampleur dans divers domaines, tels l’innovation ou encore la transition écologique.

 

Lorenzo Cristiani, étudiant à Audencia et contributeur du blog AlumnEye