Ces dernières semaines, le secteur des TMT s’est retrouvé sous le feu des projecteurs avec plusieurs deals ayant défrayé la chronique. De AT&T et Time Warner à Time Inc et Meredith Corp, l’actualité a été riche en rebondissements voire en poursuites judiciaires. Le secteur des TMT, très dynamique, fait souvent la une des journaux, et ce pour de multiples raisons. Petit tour d’horizon des spécificités du M&A en TMT, qui en font un univers à la fois prenant, challengeant, et parfois frustrant.
Le secteur TMT, qu’est-ce que c’est ?
L’acronyme TMT fait référence à trois activités « Technologies – Media – Télécommunications ». Sans surprise, on y retrouve donc de grands groupes tels que Intel, Vivendi, ou encore Altice. Or, parce que le secteur regroupe un large spectre d’activités et nécessite des connaissances techniques importantes, il peut être divisé en sous catégories :
Il est à noter que certaines firmes diversifiées regroupent plusieurs secteurs. Dès lors, les placer dans une des catégories évoquées peut représenter un exercice périlleux, qui sera à l’appréciation des opérationnels ainsi que de l’activité de la branche concernée par le deal. Selon les situations, Facebook pourrait ainsi être classifié en tant que Média ou Web Company, selon que l’on s’attarde sur ses activités publicitaires ou de réseau social, et Apple en Hardware ou Software, selon la gamme de produits concernée.
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Les raisons d’un regroupement des secteurs T-M-T
Pour accroître leur compétitivité, les entreprises du secteur TMT se tournent aujourd’hui vers une diversification internationale (cross border) mais aussi vers des intégrations verticales.
En Chine par exemple, on observe une internationalisation des deals pour faire face au ralentissement de la croissance du secteur dans le pays et pour acquérir plus facilement de nouvelles technologies permettant de satisfaire la demande des consommateurs domestiques. En 2016, Tencent, un groupe chinois spécialisé dans le e-commerce, le gaming et les réseaux sociaux (il détient WeChat, le Whatsapp chinois) a ainsi investi pour $8,6bn d’actions, équivalent à une part de capital de 73,2%, dans un développeur de jeux mobiles finlandais, Supercell.
Aux Etats-Unis, on observe actuellement une consolidation du marché à l’œuvre et une réelle volonté d’intégration verticale, ce qui a pour effet direct d’augmenter le contrôle sur la chaîne produit. L’acquisition pour $4.4bn de Starz, groupe de chaînes de télévision, par LionsGate, producteur et éditeur cinématographique, annoncée début décembre 2017 en est un exemple notable.
Les industries T-M-T sont en réalité très interdépendantes. Ainsi, les grands groupes opérant dans ces trois marchés sont généralement assez enclins à mêler les activités TMT car elles mobilisent des compétences voisines. On dit que les conglomérats du secteur se diversifient de manière obliques ou concentriques. C’est ainsi qu’en France par exemple, Altice allie une activité télécom avec SFR et média avec des chaînes TV, le groupe l’Express ou le journal Libération. C’est donc parce que les deals mobilisent une technicité complémentaire, mais aussi pour répondre au mieux les ambitions stratégiques de leurs clients, que les banques d’affaires ont regroupé ces activités au sein d’un même département.
Le poids de la réglementation anti trust
Le facteur politique est un élément extrêmement substantiel pour le secteur car il influence la réglementation et la médiatisation des deals. Les TMT sont en effet particulièrement sensibles politiquement car sujets à plusieurs risques internes, que l’Etat surveille scrupuleusement.
Tout d’abord, le droit de la concurrence, dit aussi ‘antitrust’, qui garantit le libre marché et bannit les pratiques anti-concurrentielles (abus de dominations, contrôles des concentrations, ententes notamment sur les prix) a une résonance particulière pour les TMT. Ces activités se caractérisant par d’importantes barrières à l’entrée, principalement la notoriété (l’effet réseau) et les dépenses d’investissement, elles ne regroupent que peu d’acteurs sur le marché (oligopoles). Les groupes ont donc un plus grand contrôle sur les prix, qu’ils fixent de manière plus arbitraire que si un grand nombre d’acteurs se faisaient concurrence. De plus, les ententes sont plus courantes dans ces secteurs comme en témoignent les condamnations des acteurs télécoms français à de fortes amendes. L’intégration verticale est également surveillée, car elle mène à une forte concentration de pouvoir sur la chaîne produit dans les mains de peu.
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Un contexte actuel d’incertitude réglementaire
Le poids de la réglementation et son adossement à l’environnement politique mène à une prudence des entreprises dans leurs transactions. Le contexte d’intervention croissante des organismes anti-trust (qui a concerné 60% des transactions mondiales en 2016) n’est guère rassurant pour le marché. De plus, l’abandon de grandes transactions, comme la fusion de Honeywell-United Technologies annoncée en 2016, ne fait que confirmer les craintes des parties. A l’heure où nous écrivons, des rumeurs d’abandon concernant le deal Vodafone-Melita (estimé à US$ 500m) ont également émergé, la cause étant que les entreprises ne pouvaient se conformer aux exigences des autorités de régulation de la concurrence.
Selon un sondage FTI Consulting, l’examen règlementaire serait ainsi la première barrière des deals TMT. De plus, l’application et l’interprétation de la réglementation évoluant selon l’époque, les politiques en place et les mandats gouvernementaux, l’incertitude réglementaire à court terme accroît plus encore la volatilité du secteur.
Outre les lois anti-trust, c’est donc plus généralement le contexte politique qui a un impact sur le M&A : En effet, en 2016, la baisse de 17% par rapport à 2015 du marché des fusions acquisitions mondiales a été généralement attribuée à des facteurs politiques (Brexit, élections présidentielles aux Etats-Unis, …). Dans le secteur des TMT particulièrement, cet impact a été plus retentissant puisque l’étude TMT 2017 de KPMG montre que ce sont les deux causes principales du ralentissement des deals.
Le Brexit a engendré des incertitudes quant aux changements éventuels des lois anti trust en vigueur au Royaume-Uni. En effet, dans l’espace économique européen, ce sont toujours les autorités nationales de concurrence (en France, c’est l’Autorité de la Concurrence) qui sont les autorités de droit commun compétentes en la matière. Elles doivent appliquer le droit national sur les ententes et les positions dominantes, et, au-delà d’un certain chiffre d’affaires elles doivent également appliquer le droit communautaire. Le système est donc décentralisé, ce sont les autorités nationales qui sont chargées de contrôler l’application des normes nationales et communautaires. Dans le cadre du Brexit, on craint une plus grande divergence d’application du droit anglais et européen de la concurrence, et un appauvrissement de la coopération entre les deux systèmes.
S’agissant de l’insécurité liée aux élections présidentielles américaines, les entreprises craignaient un changement brutal de cap sous l’administration Trump en matière de fiscalité des entreprises, mais aussi d’anti trust. Le candidat Trump avait ainsi mentionné que le deal entre AT&T et Time Warner, plus grose opération annoncée en 2016, ne serait pas approuvé sous son administration car il concentrait trop de pouvoir dans les mains de peu. Le deal a depuis été suspendu par le Department Of Justice alors qu’« aucune fusion verticale de ce type n’avait été bloquée depuis 40 ans » selon John Stephens, directeur financier de AT&T.
Des actifs en jeu particulièrement stratégiques
La différence expliquant l’hyper-régulation des deals TMT s’explique par la spécificité des actifs en jeu. Dans le cas des activités médias, l’Etat se doit de garantir l’accès du citoyen à une variété de sources d’informations. Si toutes les chaînes sont contrôlées par le même groupe, celui-ci s’octroie le monopole de l’information, ce qui porte préjudice au consommateur final. C’est précisément ce qui a été reproché au deal entre AT&T et Time Warner : le Département de Justice craignait qu’AT&T ne favorise la diffusion du contenu média produit par Time Warner, rendant le consommateur dépendant de l’offre de programmation, pour un prix potentiellement plus élevé. Plus récemment encore, le deal Fox / Sky s’est vu bloqué pour les mêmes raisons.
De plus, les activités télécoms, médias et nouvelles technologies sont soumises à des règles de plus en plus strictes en termes de (cyber) sécurité. La pression est d’autant plus forte aujourd’hui que des ingérences politiques de la Russie via Facebook ont été dénoncées, et que des piratages et écoutes téléphoniques ont été récemment dévoilées. Soucieux de protéger le citoyen, le politique est donc sous haute tension et cela se répercute dans son examen scrupuleux du secteur, notamment aux Etats-Unis et en Union Européenne.
Dans certains cas, l’Etat bloque également des transactions pour protéger « les intérêts nationaux ». Ainsi, dans les secteurs dits sensibles comme les TMT, la pharmacie ou l’énergie, les pouvoirs publics peuvent intervenir pour s’assurer que les transactions ne sont pas contraires aux intérêts stratégiques du pays. En 2013, l’Etat français, principal actionnaire d’Orange, a ainsi fait pression pour annuler la vente de Dailymotion (filiale Orange) à Yahoo! pour $200m. Dans le secteur des TMT, ce sont les technologies à double usage civil et militaire et les systèmes de sécurité et de surveillance qui sont particulièrement concernés. Les modalités d’investissement et les prises de contrôles étrangères jugées trop importantes de certaines firmes peuvent aussi être soumises à l’étude des régulateurs : c’est le cas par exemple quand un investisseur étranger détient plus d’un tiers du capital ou des droits de vote d’une firme nationale jugée stratégique (un grand acteur télecom par exemple).
La part du politique et la médiatisation des deals qui en découlent sont d’autant plus prégnantes en TMT que l’on assiste souvent à des « méga-deals ». En effet, le secteur se distingue moins par le volume que par la valeur des transactions. A titre d’exemple, le deal bloqué AT&T et Time Warner, qui se chiffre aujourd’hui à plus de $85bn, était estimé à $108bn en 2016, représentant le 7e deal le plus important de tous les temps. En valeur, il n’est donc pas étonnant que les TMT se rangent traditionnellement dans le Top 3 des secteurs les plus lucratifs avec la pharmacie et l’énergie, représentant environ 20% des deals en 2016 selon MergerMarket. Par ailleurs, en volume celui-ci ne représentait « que » 3021 deals la même année (sur 17 369 au total).Le secteur des TMT est aujourd’hui considéré comme un secteur de prestige au sein des banques d’affaires car le domaine nécessite une technicité particulière.
Aujourd’hui le secteur est aussi loué pour son dynamisme. Dans un futur proche, compte tenu des rumeurs sur de nombreux deals (Meredith Corp et Time Inc évalué à US$ 3bn) et à plus long terme, grâce aux bouleversements technologiques. Le secteur est en effet en première ligne pour bénéficier des changements que peuvent représenter l’intelligence artificielle, les self driving cars, ou encore le cloud et l’internet des objets (IoT, Internet of Things). Affaire à suivre, donc.
Esther Jung, étudiante à Sciences Po et contributrice du blog AlumnEye
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