Difficile de définir précisément ce qu’est le Sovereign Advisory, expression qui résume souvent le conseil financier aux gouvernements, mais une chose est certaine : le secteur est aujourd’hui en pleine mutation. Le Sovereign Advisory connaît en effet de nouveaux acteurs ainsi qu’un véritable jeu de chaises musicales à la tête des grandes institutions investies dans ce secteur. En 2015, Rothschild & Co se lançait dans l’aventure, autrefois chasse quasiment gardée de Lazard. Désormais, de plus petites boutiques se développent dans ce secteur, tentant de nouvelles approches, à l’image de Global Sovereign Advisory. Le renouvellement est également complet à la tête des institutions plus traditionnelles. Ces bouleversements sont une belle occasion d’explorer ce secteur souvent méconnu, mais aussi d’en décrypter les enjeux.

 

Aux origines du Sovereign Advisory

L’objectif fondamental du Sovereign Advisory, à l’origine et encore aujourd’hui, est de fournir aux gouvernements un conseil financier d’experts, notamment sur les problématiques de restructuration de leur dette. On considère souvent que les banques d’investissement soufflent aux oreilles des gouvernements les solutions pour sortir des crises les plus périlleuses. Fondée dans les années 1990 par Eric Lalo et Michèle Lamarche, la division de Lazard s’est notamment illustrée dans plusieurs cas célèbres de restructuration de dette souveraine : l’Argentine en 2002 (100 milliards de dollars de créances renégociées) ou la Grèce en 2011 (près de 200 milliards de créances renégociées). Dans cette perspective, la division Sovereign Advisory agit dans un contexte de crise intense, et indépendamment des institutions internationales traditionnelles telles que le FMI. Elle intervient prioritairement auprès de pays émergents, d’Amérique du Sud ou d’Afrique le plus souvent. En effet, ces pays sont ceux dont les structures économiques sont les moins développées, les finances publiques les moins solides, et surtout ceux dont les dettes souveraines sont les plus menacées.

Dans cette optique, le Sovereign Advisory représente principalement du conseil en financement et en dette souveraine. Il fait le lien entre gouvernements et marchés financiers, et interagit grandement avec les principales agences de notations (Standard & Poors, Fitch ou Moody’s). Ses missions consistent à restructurer la dette si nécessaire, assister à l’émission de nouvelles dettes et plus globalement à modifier la notation de la dette par les agences de notation. De ce fait, son activité se regroupe en de nombreux points avec celle du Debt Capital Markets (DCM), activité traditionnelle des banques d’investissement. Néanmoins, la visée du Sovereign Advisory consiste, au-delà de cet aspect, à fournir un véritable conseil aux gouvernements, qui porte sur la stratégie micro et macro-économique, la politique fiscale, de change, monétaire comme budgétaire. Elle peut s’inscrire dans le cadre d’une politique de privatisations par exemple. Lorsqu’un gouvernement fait appel à une équipe de Sovereign Advisory, il espère redresser sa situation financière globale et restaurer son image auprès des agences de notation. Il convient tout de même de distinguer les divisions de Sovereign Advisory des cabinets de conseil en stratégie, notamment en affaires publiques, qui eux n’ont pas vocation à effectuer de transactions.

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Un marché redéfini : le jeu des chaises musicales

En mettant fin au quasi-monopole de Lazard Paris, Rothschild & Co a été le premier acteur à rebattre les cartes sur le marché du Sovereign Advisory. Ce volet est intégré à son activité de Global Financial Advisory qui comprend également les activités de M&A. Néanmoins, cette année 2019 marque un tournant tout particulièrement clé puisque des figures historiques du Sovereign ont changé de bord. Présent chez Lazard depuis 2002, codirecteur général de Lazard France depuis 2019 et surtout responsable de la division M&A et Sovereign Advisory depuis 2015, Matthieu Pigasse a annoncé sa décision de quitter ses fonctions à la fin de l’année 2019 afin de « s’engager dans un projet personnel de nature entrepreneuriale ». Le départ du banquier star est un premier tournant pour Lazard Paris en 2019, mais il n’est pas le seul. A la fin du mois de septembre, Rothschild & Co a annoncé l’arrivée d’Eric Lalo pour diriger son activité de conseil aux gouvernements. Eric Lalo n’est pas moins que l’un des deux fondateurs de la division de Sovereign Advisory à Lazard Paris. Il a conseillé des institutions et gouvernements européens, africains comme asiatiques, intervenant sur environ 230 milliards dollars de mandats.

 

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Les passes d’armes entre les deux banques leader du conseil aux gouvernements ne manquent donc pas, et ce au-delà du mercato qui anime le 8ème arrondissement de Paris. Mi-septembre 2019, le ministère des finances grec a décidé de recourir à nouveau à Lazard pour la gestion de sa dette, après avoir précédemment remplacé Lazard par… Rothschild. En 2017, les institutions helléniques avaient fait le choix d’Anne-Laure Kiechel, alors responsable de l’activité de conseil aux Etats et institutions publiques, et donc de Rothschild. L’arrivée d’Eric Lalo se situe quelques mois après son départ. Nommée associée-gérante en 2013, Anne-Laure Kiechel était devenue la figure du conseil aux gouvernements chez Rothschild & Co, ayant notamment travaillé sur le dossier grec (restructuration de la dette du pays) et contribuant à développer l’activité sur tous les continents. Elle a quitté le prestigieux établissement de l’avenue de Messine afin de créer sa propre structure indépendante : Global Sovereign Advisory (GSA). La nouvelle aventure de « la femme qui souffle à l’oreille de Tsipras », pour reprendre les termes du Fileleftheros, montre que l’évolution du conseil aux gouvernements et du secteur Sovereign Advisory dépasse les deux grandes banques parisiennes.

 

De nouvelles ambitions partagées par des acteurs nouveaux

Créé en 2019, Global Sovereign Advisory souhaite proposer une « approche holistique du secteur public, traitant les problématiques économiques, financières comme politiques ». Le périmètre de la structure outrepasse ainsi largement les problématiques de financement ou de restructuration de la dette, il s’agit de développer une expertise globale et stratégique aux institutions et gouvernements. Cette approche du Sovereign Advisory semble se puiser dans l’expérience de sa fondatrice Anne-Laure Kiechel qui déclarait : « Très vite, j’ai compris que je ne pouvais pas me contenter de traiter la seule question de la dette. Je voyais bien qu’on me demandait des conseils beaucoup plus larges, sur les réformes structurelles ou la fiscalité ». Global Sovereign Advisory est installé à Paris et à Washington, et compterait bientôt une vingtaine de salariés. Benoit Chervalier, ancien directeur en charge de la branche souveraine en Afrique, a également créé sa structure. Créée en 2016, One2five Advisory est une banque spécialisée dans le conseil transactionnel souverain et corporate dans les pays émergents, et africains plus particuliers. Les équipes de la structure soulignent les profils recherchés en Sovereign Advisory, ils cumulent des parcours pluridisciplinaires, souvent à mi-chemin entre public et privé.

Benoit Chervalier a également occupé plusieurs positions au sein de la Direction Générale du Trésor français et au ministère des finances allemand (financement, projets internationaux, Club de Paris, Banques de développement), et officié comme directeur du département en charge des levées de fonds et des restructurations de dettes à la Banque Africaine de Développement. La volonté de One2five Advisory est justement d’étendre le conseil souverain là où celui-ci est encore peu développé : « En ce qui concerne le continent africain et ses 54 pays, le besoin et l’envie de conseil varient également. Les grandes banques d’affaires internationales n’ont en général pas de présence physique sur le continent pour l’instant car le nombre et la profondeur des grands deals M&A ne sont pas suffisants pour le justifier ». Au contraire des pays de l’OCDE plus coutumiers des activités de conseil, la pratique est moins développée en Asie ou en Afrique. Dans cette disparité de contextes, l’adaptation aux spécificités nationales paraissent essentielles. « Les Grecs demandent une présence physique, les Latino-Américains et les Africains aussi, alors qu’au Moyen-Orient les visioconférences suffisent », souligne Anne-Laure Kiechel. Comprendre les enjeux géopolitiques et diplomatiques apparaît nécessaire pour offrir l’expertise la plus développée.

De fait, le Sovereign Advisory, aux confluents de la politique et du monde de la finance, riche d’économistes, de hauts-fonctionnaires ou de financiers aux CV prestigieux, fascine. Dans leur expertise, toutes les divisions de Sovereign Advisory se veulent par essence « indépendantes », pour autant c’est bien la question des conflits d’intérêts qui reste omniprésente. En effet, une politique économique, budgétaire ou fiscale, n’est jamais totalement neutre ou objective, elle a toujours une visée, une intention politique. Dès lors, il apparaît problématique que des banquiers, qui ne bénéficient pas de la légitimité assurée par le suffrage, interviennent trop fortement dans les décisions des institutions ou des gouvernements. C’est là que les divisions de Sovereign Advisory touchent sans doute leurs limites. Elles n’ont pas vocation à faire de la politique publique. Elles conseillent, assistent, expertisent, mais n’ont pas force de décision. Malgré tout, la fascination demeure pour ces conseillers de l’ombre, acteurs de décisions et bouleversements parfois historiques.

 

Nathan Granier, étudiant à l’ESCP Europe et contributeur du blog AlumnEye