L’époque où les jeux vidéo n’étaient qu’un simple loisir est révolue. L’industrie s’est développée, les acheteurs de jeux vidéo ont changé leur façon de consommer. Désormais, un joueur ne fait plus que jouer, il passe du temps à regarder en ligne des professionnels réaliser des performances de haut niveau. Ce phénomène est comparable au sport : un amateur de football est à la fois joueur et spectateur. On parle, désormais, de ce phénomène comme de la “scène e-sport”. La scène e-sport, représente une industrie à part entière de celle du jeu vidéo. La démarcation s’est amplifiée en Octobre 2012 lors des Worlds, comprenez championnats du monde, de League of Legends. Les vainqueurs sont repartis avec un million de dollars de cash prize, et l’évènement fut suivi par près de 8000 spectateurs ainsi que 10 millions de viewers (spectateurs sur Internet). Cet événement a permis de mettre en évidence le potentiel de l’industrie. Depuis, celle-ci a grandi en même temps que l’intérêt que lui portent les investisseurs. Toutefois, comment expliquer que cette industrie autrefois délaissée soit désormais convoitée par de nombreux investisseurs, et surtout comment se manifestent les investissements ?

 

Une industrie en phase de structuration

 

La comparaison avec la finance de marché peut ici se faire : les investisseurs n’aiment ni le risque ni l’instabilité. C’est pourquoi il a fallu attendre une réelle structuration de l’industrie pour que les regards des investisseurs se tournent vers elle. Avec les sommes d’argent en jeu qui augmentent à chaque tournoi, en lien avec la hausse du nombre de joueurs à l’échelle mondiale, des structures e-sportives voient le jour et se professionnalisent. Aujourd’hui, et contrairement aux prémices de l’e-sport, les vainqueurs ne sont plus de simples particuliers mais de réels professionnels. En effet, les compétiteurs se regroupent en équipe au sein d’entreprises, sont salariés et s’entraînent régulièrement comme le font des sportifs de haut niveau. C’est ainsi que de nombreuses structures s’affrontent à l’échelle mondiale. Certaines spécialisées sur un jeu, comme Fnatic sur Ligue of Legends, d’autres recrutent des professionnels de différents jeux. C’est le cas de Vitality et Solary, présentes sur FIFA, Fortnite, Rocket League et bien d’autres. Cette dernière stratégie semble être la plus prometteuse lorsqu’on sait que chaque éditeur de jeux vidéo surenchérit quant aux sommes à gagner lors des compétitions. Preuve en est, le futur vainqueur de la coupe du monde Fortnite (développé par Epic Games), repartira avec 30 millions d’euros.

 

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Pourquoi investir ?

 

Quel intérêt auraient les développeurs de jeux vidéo à investir la scène e-sport si cette dernière n’avait pas de visibilité auprès du public ? Car oui, les studios de développement investissent avant tout dans un outil marketing de grande ampleur. Avec l’émergence des plateformes de streaming comme Twitch, et ses 9 milliards d’heures de visionnage en 2018, ou plus anciennement YouTube, les joueurs professionnels peuvent étaler aux yeux de tous leur talent tout en faisant la promotion d’un jeu vidéo. En plus d’être qualifiés de joueurs professionnels, ces derniers se voient attribués le titre de streamers. Ces streamers représentent l’un des atouts les plus efficaces de l’industrie en ce qui concerne la capacité à générer des revenus. En effet, certains d’entre eux ont des communautés de plusieurs millions d’internautes sur lesquelles peuvent s’appuyer les éditeurs. Ninja, streamer américain aux 21 millions d’abonnés sur YouTube, enchaîne les contrats avec les développeurs des jeux auxquels il joue : selon le site Millenium, il aurait été payé 1 million d’euros pour diffuser ses parties le premier jour du lancement d’Apex Legends, nouveau jeu d’Electronic Arts. Un lien apparaît clairement entre l’industrie du jeu vidéo et celle de l’e-sport : la scène e-sport est un excellent moyen d’acquérir de nouveaux joueurs pour les studios de développement. La scène e-sport a également investi les traditionnels salons dédiés aux jeux vidéo. En effet, des salons comme la Paris Games Week ou l’E3 étaient autrefois dédiés exclusivement à la promotion des nouveaux jeux. Désormais, ce sont des occasions idéales pour organiser des compétitions majeures. Il faut dire, la Paris Games Week 2018 a accueilli près de 320 000 visiteurs qui ont pu profiter de nombreux tournois officiels dont l’ESWC du jeu PUBG, événement phare du salon.

 

Qui sont les investisseurs ?

 

L’e-sport est un marché rentable qui entraîne de nombreuses sources de revenus possibles. En effet, selon Idate Digiworld, les revenus générés par l’e-sport pourraient atteindre 3 milliards d’euros d’ici 2021. Outre les développeurs de jeux, de nombreux investisseurs souhaitent avoir leur part du gâteau.

 

Les fonds d’investissement

 

En toute logique, comme chaque industrie, l’e-sport a ses propres fonds d’investissement. Trust Esport fut l’un des premiers à se positionner sur ce secteur. Il est dédié à l’amorçage de startups ayant des projets innovants. L’objectif est d’accompagner ces entreprises dans la monétisation des audiences, l’amélioration des conditions des compétitions ainsi que l’amélioration de l’expérience spectateur. Trust Esport est le fonds de Venture Capital le plus actif sur l’industrie, et peut s’appuyer sur l’expérience de son fondateur Matthieu Dallon qui est l’un des pionniers de l’organisation des évènements e-sport dans le monde (créateur de l’Electronic Sport World Cup). Depuis sa création en 2018, Trust Esport a d’ores et déjà investi plus de 20 millions d’euros dans des projets de startup, et peut profiter de nombreux soutiens financiers qui viennent alimenter le fonds. En effet, Fimalac qui est un fonds d’investissement mondial positionné sur cinq secteurs d’activité dont le digital, est le premier partenaire de Trust Esport à hauteur de 10 millions d’euros. En plus d’être un partenaire, Fimalac investi pour son intérêt propre. Le fonds est propriétaire de Webedia, l’un des leaders français du divertissement numérique et de l’organisation de compétitions « e-sportives ». En effet, l’ESWC (compétition créée par le fondateur de Trust Esport) est sous la tutelle de Webedia. Il s’agit d’une acquisition stratégique, car l’ESWC est une institution mondialement reconnue dans l’organisation de compétitions internationales. Certains fonds d’investissement historiquement éloignés de cette industrie commencent à s’y intéresser. C’est le cas de Kima Ventures, fondé par Xavier Niels, qui a investi dans près de 100 startups du numérique dont l’application Zenly à hauteur de 300 millions d’euros. Le fonds se tourne désormais vers les structures e-sportives. En effet, en Février 2018, Kima Ventures a participé avec d’autres fonds d’investissement à la levée de 2,5 millions d’euros pour Vitality afin de lui permettre de recruter les professionnels les plus expérimentés dans leur domaine, du marketing au merchandising en passant par les joueurs. L’objectif principal de cet investissement était de soutenir la structure dans sa volonté de se renforcer sur certains domaines essentiels pour performer sur l’industrie qu’est la scène e-sport. Conséquence de la présence croissante de ces fonds d’investissement sur l’industrie, les structures « e-sportives » se font concurrence pour lever des sommes d’argent conséquentes auprès d’eux. Pour reprendre l’exemple de Vitality, l’entreprise a levé, le 26 novembre 2018, 20 millions d’euros auprès du fonds d’investissement Rewired GG, afin de recruter de nouveaux joueurs et participer aux compétitions internationales. La logique suivie par Vitality, et bien d’autres structures, est de pouvoir recruter les meilleurs joueurs mondiaux afin de remporter les cash prize des compétitions.

 

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Les grandes marques profitent de l’e-sport pour mettre en avant leur produit

 

Les streamers possèdent des communautés qui peuvent atteindre plusieurs millions d’abonnés, et sont ainsi ciblés par de grandes marques afin de promouvoir leurs produits. En effet, leur exposition médiatique permet de vanter les mérites de certains produits très facilement. Redbull est l’une des marques les plus actives sur cette industrie, elle sponsorise les streamers et joueurs professionnels les plus médiatisés, qui s’engagent en échange à consommer et exposer les produits Redbull lors des diffusions de leurs parties. En plus de sponsoriser la majeure partie des équipes professionnelles, Redbull a dédié une partie de sa communication à l’actualité « e-sportive » et commence à organiser ses propres compétitions. La présence de Rebull sur cette industrie n’a, d’ailleurs, rien de surprenant. Les 15-25 ans représentent la cible principale de l’entreprise, et sont surtout des « digital natives » adeptes des nouveaux moyens de communication et des jeux vidéo.

 

Les GAFA s’en mêlent

 

De la même façon que Redbull, d’autres entreprises comme Samsung ou Microsoft investissent dans l’e-sport pour mettre en avant leurs produits. Mais, toutes les entreprises qui investissent le secteur n’ont pas cet objectif. En effet, Amazon souhaite révolutionner l’industrie en elle-même. En atteste le lancement mi-2018 d’Amazon Gameon, qui permet aux développeurs de créer des compétitions entre différentes plateformes de jeux. Un communiqué de l’entreprise expose clairement les ambitions du géant Américain : « les développeurs disposent d’un outil convivial pour optimiser le taux d’implication des joueurs, la monétisation de leurs jeux et inciter d’avantages de joueurs à se connecter ». Il est fort à parier que l’e-sport se démocratisera dans les prochaines années, en s’ouvrant au plus grand nombre. Outre Amazon, deux autres membres des GAFA ont annoncé leur intérêt pour les jeux vidéo dans une actualité récente. En effet, si Apple et Google n’ont pas annoncé vouloir révolutionner l’e-sport, ces derniers ont envoyé un message fort quant à leur envie de révolutionner l’industrie du jeu vidéo. Google a été le premier à annoncer, le 19 mars 2019, le lancement futur de sa plateforme de jeux vidéo en streaming nommée Stadia. Cette plateforme permettra aux joueurs de profiter de leurs jeux à distance sur l’écran de leur choix. Il n’a pas fallu longtemps avant qu’Apple annonce également sa plateforme, basée sur le même principe mais pour les jeux mobiles, dénommée Apple Arcade lors de la Keynote du 25 mars 2019. Nul doute que Tim Cook et Sundar Pichai, CEO respectifs d’Apple et Google, emboîteront le pas sur l’e-sport une fois l’industrie du jeu vidéo révolutionnée.

 

Une industrie qui se métamorphose au gré des investissements.

Les sommes investies augmentent chaque année, ce qui permet aux différents acteurs d’engranger des revenus conséquents, mais aussi de modifier cette jeune industrie. En effet, l’e-sport est une industrie qui a dorénavant les moyens de se métamorphoser tout en grandissant. Les tournois sont de plus en plus fréquents et se basent sur le modèle compétitif sportif classique. L’Orange E-Ligue 1 en est la preuve : les joueurs professionnels de FIFA représentent des clubs de Ligue 1 de football et s’affrontent tout au long d’une saison. Les clubs de football pensionnaires de la première division investissent, d’ailleurs, cette compétition virtuelle en recrutant des joueurs au sein de leur propre club de sport électronique. Qui sait, des paris « e-sportif » pourraient voir le jour…

 

 

 

La scène e-sport a de beaux jours devant elle et devrait continuer à attirer de nouveaux spectateurs et investisseurs dans les années à venir. La prochaine étape de l’industrie, qui servira d’indicateur de performance et d’attractivité, sera la coupe du monde Fortnite et ses 30 millions de dollars promis au vainqueur qui aura lieu du 13 Avril au 28 Juillet 2019.

 

 

Vincent Richard, étudiant à Audencia Business School et contributeur du blog AlumnEye