Après avoir éludé le problème du franc CFA, en novembre 2017, au prétexte que c’était un « non-sujet », la position du président français Emmanuel Macron, sur la question, a changé. En effet, les critiques acerbes des opposants au franc CFA, monnaie commune de 14 pays africains, entachaient l’image de la France accusée de maintenir un système jugé néocolonial.
Ainsi, le mercredi 20 mai 2020, la France a entériné officiellement la fin du franc CFA au sein des huit pays formant l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), faisant suite à la rencontre en décembre dernier, à Abidjan, entre le président français Emmanuel Macron et le président de la Côte d’Ivoire Alassane Ouattara. Cette réforme monétaire historique se traduit notamment par un changement de monnaie, au sein des pays concernés, avec une nouvelle monnaie nommée l’ECO en remplacement du franc CFA.
Franc CFA : vestige de la France Afrique
Le franc CFA trouve son origine le 26 décembre 1945, à la suite de la ratification par la France des accords de Bretton Woods. Lors de sa création, il signifiait « Colonies françaises d’Afrique », puis en 1958-1960 « Communauté française d’Afrique ». Actuellement, le sigle CFA signifie « Communauté financière Africaine ».
Le franc CFA est utilisé dans 14 pays qui se scindent en 2 groupes que sont :
- l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) régie par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et composée de huit Etats que sont : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Mali, la Guinée-Bissau, le Togo et le Niger ;
- la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) rattachée à la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC) et composée de six Etats que sont : la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, le Cameroun, la Guinée équatoriale ainsi que le Tchad.
Outre ces deux groupes cités, le franc CFA est également indexé à l’euro selon une parité fixe assurée par la France : 1 franc CFA = 0,0015 euros en 2020. Cette indexation permet de faire face aux risques de dévaluation et permet aux pays tributaires, de convertir le franc dans n’importe quelle autre devise.
Cette décision du gouvernement français s’inscrit dans une volonté de trouver des réponses aux points polémiques soulevés par le franc CFA au sein des opinions publiques africaines. Ces critiques ont notamment porté sur la présence française dans les instances de décision monétaire qui est considérée, par les opinions publiques africaines, comme une ingérence flagrante de la France dans les politiques monétaires des pays africains. L’abandon de cette monnaie pourrait, selon Emmanuel Macron, changer l’image de la France qui a été écornée par les différentes critiques et qui est associée, à travers le franc CFA, aux vestiges du colonialisme. Sibeth Ndiaye (ex-porte-parole de l’Elysée) s’est quant à elle félicitée de cette fin symbolique du franc CFA et de ce renouvellement de la relation entre la France et l’Afrique.
Malgré la volonté de juguler les polémiques et les contestations liées au franc CFA, à travers la création de cette nouvelle monnaie, certaines voix s’élèvent au sein de l’opinion africaine afin de contester la portée de ces changements. L’économiste africain Demba Moussa Dembélé y voit une façon d’éliminer les symboles qui fâchent et qui écornent l’image de la France, sans pour autant s’atteler au fond du problème.
Lire aussi : Pourquoi l’or comme valeur refuge en temps de crise ?
Les changements amorcés par cette réforme
Ainsi, l’accord proposé consiste en un changement de monnaie qui aura pour appellation l’ECO. En outre, les administrateurs français ne pourront désormais plus siéger dans les instances de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine). Grâce à cet accord, la banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) n’aura plus l’obligation de déposer 50% de ses réserves de change auprès du Trésor français. Cependant, certains piliers du système précédent n’ont pas changé, comme la fixité de la parité entre les monnaies (l’EURO et l’ECO), la garantie de la convertibilité de la nouvelle monnaie par la France ainsi que la fabrication des billets circulant au sein des pays qui disposeront de cette nouvelle monnaie.
Ainsi, la France continuera d’assurer la parité entre l’EURO et l’ECO. Ce rôle de la France, tancé par certaines voix, permet de garantir la stabilité monétaire, selon ses partisans.
En effet, selon eux, cette stabilité est assurée par le fait que la création monétaire de l’ECO soit sous le contrôle d’un pays extérieur et de ce fait, les risques d’inflation et de débordement budgétaire sont amoindris.
Avantages et inconvénients
Le principal changement de cet accord repose sur la fin de l’obligation de la BCEAO (Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest) de déposer 50% de ses réserves de change auprès du Trésor français. De plus, la parité entre les deux monnaies confère une crédibilité internationale accrue pour les pays disposant de cette monnaie, assurant aux investisseurs étrangers une stabilité monétaire plus importante.
Cependant, en contrepartie de la suppression de cette obligation, la France compte exiger un droit de regard sur la politique monétaire de l’UEMOA. De plus, la fixité de la parité entre les deux monnaies que sont l’EURO et l’ECO va obliger la BCEAO à calquer sa politique monétaire sur celle de la BCE (Banque Centrale Européenne) et les degrés de liberté de sa politique monétaire seront, de facto, restreints. L’arrimage de l’ECO à l’EURO, qui va persister, implique que l’ECO va fluctuer avec l’EURO, ce qui pourrait être contraignant sur le plan des exportations des pays qui disposeront de cette nouvelle monnaie, lorsque l’EURO est fort.
Ces changements amorcés sont également interprétés comme une volonté de la France de faire face à la recrudescence des investissements chinois dans la région africaine et de limiter la perte des parts de marché en Afrique au profit de la Chine. Ainsi, selon le Fonds Monétaire International (FMI), le succès de ce projet est tributaire de la prise en compte de certains facteurs politiques et économiques. En effet, la mise en place de l’ECO requiert le respect de certains critères de convergence qui sont de :
- Rester en dessous de 3% du PIB de déficit
- Rester en dessous de 10% d’inflation
- Avoir une dette inférieure à 70% du PIB
Lire aussi : Le Private Equity en Afrique : quels acteurs ? Quelles perspectives de développement ?
Les difficultés à opérer ces changements
La principale condition afin d’opérer les changements négociés est le respect des 3 critères mentionnés ci-dessus. Pour le moment, seuls quatre ou cinq pays dont la Côte d’Ivoire remplissent les critères. Ainsi, le processus pourrait être graduel avec, au début cinq, huit, dix pays, avant d’être rejoints par d’autres pays, à l’image de la zone euro qui s’est agrandie graduellement.
De plus, certains pays non-membres de l’UEMOA, comme le Nigéria, exigent des conditions avant leur adhésion à cette monnaie unique. Le Nigéria, membre de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) exige notamment l’impression de l’ECO en Afrique et non en France, la gestion de l’ECO par la CEDEAO ou encore refuse toute idée de dépôt au Trésor français d’une partie des réserves de change de la future monnaie commune des pays qui formeront la zone ECO. De plus, le géant pétrolier africain ne veut pas d’intermédiaire dans la convertibilité entre l’ECO, l’EURO et le dollar. Quant au Ghana, son président Nana Akufo-Addo a déclaré que le pays pourrait intégrer la future zone monétaire car cette décision assurerait une libre circulation des biens et des marchandises dans les pays de la région ouest-africaine concernés.
Outre ces difficultés et divergences politiques, la crise du coronavirus a impacté les niveaux d’endettement des pays impliqués dans cette réforme, rendant le respect des critères de convergence difficiles. Malgré cette crise sanitaire, l’agenda semblait se poursuivre, traduisant une réelle volonté de mettre en place ces changements âprement négociés par les deux parties et étayant l’enjeu stratégique des pays africains dans le nouvel ordre économique mondial de l’après Covid-19.
Cependant, malgré la volonté des deux présidents français et ivoirien de respecter l’agenda mis en place, la réalité semble moins limpide. En effet, début juillet 2020, rien ne semble montrer l’esquisse d’un changement de monnaie. La date symbolique du 1 er juillet ayant été retenue pour le début de cette réforme, quelques jours après, les pays africains concernés et la France n’ont toujours pas fait de déclaration à ce sujet. De plus, le président nigérian, Muhammadu Buhari, a récemment jeté un pavé dans la marre, en affichant clairement sa désapprobation quant à la politique que mène la France avec ses partenaires économiques africains.
Les réformes négociées entre la France et l’UEMOA s’inscrivent dans une volonté commune d’amorcer des changements dans les relations entre les pays africains concernés par la réforme et la France. Ces réformes ont également pour objectif de juguler les critiques liées au franc CFA et à la présence d’administrateurs français au sein des instances de l’UEMOA. Comme décrit précédemment, certains acteurs semblent s’opposer aux réformes annoncées en critiquant leur portée jugée uniquement symbolique et ne résolvant pas un problème de fond, qui est l’indépendance monétaire des pays africains.
Salim Hadjene, étudiant à l’IMT Lille Douai et contributeur du blog AlumnEye
Articles associés
29 avril, 2021
Le CFA : un précieux sésame ?
17 novembre, 2017
Préparer le CFA : quand, où, comment ?
6 novembre, 2015