Cette interview a été réalisée auprès d’un equity analyst travaillant pour l’un des principaux hedge funds mondiaux. Étant donné la sensibilité des informations discutées, l’identité de l’interviewé a été rendue anonyme.
Selon vous quels métiers amènent à travailler en Hedge Fund ?
Je dirais recherche actions (equity research), fusion acquisition (M&A), et peut être dans une moindre mesure les cabinets de conseil en stratégie. Les profils M&A sont particulièrement valorisés, surtout dans les rôles junior parce que ce qui compte ce n’est pas que l’expertise sur un secteur, ni l’expertise en finance, mais l’implication. On sait que les juniors en M&A sont prêts à bosser. On pourrait dire que c’est la voie royale, mais il faut évidemment nuancer tout cela, car les parcours peuvent être différents. Par exemple, mon portfolio manager n’est jamais passé par une banque mais dans un mutual fund. Il y a beaucoup de portes d’entrées et toujours des exceptions.
Est-il possible de démarrer en Hedge Fund en sortie d’école ?
Cela doit se faire, mais selon moi ce n’est pas le meilleur moyen de réussir en hedge fund. Si j’avais commencé en hedge fund dès le départ j’aurais été perdu ! Des fonds comme Citadel, Millenium, Point 72, ou même Bridgewater commencent à avoir des stages ou des graduate programs, mais c’est plutôt dans la partie technologie et pas forcément dans la partie investissement qui demande beaucoup de compétences techniques.
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À quoi ressemblent vos journées au sein du Hedge Fund dans lequel vous travaillez ? Quelles sont vos principales missions ?
Pour faire simple, mon portfolio manager regarde tout : les marchés d’actions en Europe, en Amérique latine, aux US, les industries, etc… Ce travail, il le sous-répartit aux quatre analystes de l’équipe. Je m’occupe du secteur “materials” : chimie, construction, “metals and minings”. J’ai une “watch list”, une couverture de 100-200 actions et mon travail consiste à “flaguer”, interpréter, donner mon analyse sur ce qu’il s’est passé qui peut être intéressant pour l’investissement. Prenons l’exemple d’une entreprise : si le CEO de l’entreprise parle sur un call, et que je l’entends donner des commentaires d’outlook qui ont l’air de dire que l’entreprise ne va pas atteindre ses objectifs pour l’année, je vais flaguer cela à mon PM. Il a besoin de savoir si le prix de l’action est amenée à varier, s’il doit short (spéculer pour une baisse), s’il long (spéculer pour un bénéfice à la hausse), ou s’il attend que le titre tombe suffisamment pour l’acheter. Mon travail, c’est une analyse en temps réel sur les informations des entreprises que je suis.
En tant qu’equity analyst, comment évaluez-vous les opportunités d’investissement, et quels facteurs prenez-vous en compte lors de la prise de décision d’investissement ?
En tant qu’analystes, on est très guidés par le gérant de portefeuille, chacun d’entre eux a son style d’investissement. Mon rôle est de me calquer sur son style d’investissement. Les signaux que je regarde peuvent être macroéconomiques – par exemple si la Chine repart à la hausse, je regarde quelles entreprises minières vont être les plus intéressantes. Si mon PM hésite entre deux entreprises pour une raison, je dois lui dire laquelle selon moi va être la plus exposée au rebond de la Chine. Cela peut aussi être du “bruit de marché” : on regarde attentivement les notes de brokers dans le sell side. Imaginons que quelques entreprises donnent un sentiment positif, mais plus aussi positif qu’avant. Dans ce cas, on va parier sur le fait que le public agira dessus dans quelques jours. On prend aussi l’information des entreprises elles-mêmes : si certaines donnent des informations avant les autres de la même industrie, cela peut être intéressant pour nous. Prenons l’exemple d’une entreprise qui a un concurrent aux US. Si leurs chiffres sont 10% en dessous du consensus, a priori le consensus s’est aussi trompé sur le concurrent, c’est une information à reporter rapidement.
Quels sont les différents types de postes qui existent au sein des Hedge Funds ?
Comme toutes les entreprises, il y a tous les services. Il y a une partie qui génère de l’argent (fonctions « core », noyau) avec les rôles d’investissement comme les gérants de portefeuille qui sont très expérimentés, puis les analystes qui sont leur yeux et oreilles dans des secteurs et des industries. Comme partout, il y a aussi les fonctions support, comme l’IT ou la communication, le marketing…
Quelles sont les grandes particularités (avantages, inconvénients) rattachées au fait de travailler dans un Hedge Fund, par rapport à d’autres institutions du monde de la finance ?
Par ma propre expérience, je peux facilement comparer les hedge funds au secteur bancaire. Là-bas, je travaillais dans des cost centers, ma division n’était pas vue comme génératrice de revenus. En banque, la recherche “sell side” est financée par le M&A et le trading. Ne pas générer d’agent implique des inconvénients : les investissements sont plus minces, on a des limites dans ce qu’il est possible de faire. En plus, mon seul output était des documents pdf envoyés aux clients, j’avais plutôt une fonction de conseiller. En hedge fund, je me concentre sur l’activité génératrice de revenus, mon activité est “business principle driven” (guidée par le rendement). En banque, je n’avais aucune idée de ma valeur ajoutée, si j’avais contribué à des bénéfices, et combien ils étaient chiffrés. Je pouvais travailler 7j/7 24h/24, mon bonus n’en était pas pour autant augmenté. Ici, j’ai le P&L (compte de pertes et de profits) sous les yeux, je sais exactement dans quoi on investit et combien cela rapporte.
Je connais exactement l’impact de mon activité au quotidien.
En plus de cela, de manière purement économique mon travail en hedge fund a d’emblée de la valeur sur le marché. Ici, je me construis petit à petit une “infrastructure” d’investissement, une stratégie. Ce travail a immédiatement de la valeur pour n’importe quel fonds, pour n’importe quel investisseur. En banque, ma note avait une durée de vie bien plus courte. Elle pouvait être remarquée par des clients ou bien tomber aux oubliettes, tellement il y a de recherches publiées.
Par rapport à la question du rythme de travail, mes horaires étaient plus longs en banque. Cela vient du fait que l’on est obligé de passer à travers un filet de contraintes administratives imposant. Tout est extrêmement codifié, donc je passais beaucoup de temps à faire de l’administratif. Il m’arrivait de travailler pendant le weekend et je travaillais plus de 12 heures par jour. En hedge fund, les heures sont plus intenses. Ce travail demande un niveau de vigilance élevé, mais les horaires sont plus courts. Je ne travaille plus que dix heures par jour et j’ai tous mes weekends.
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Quelles sont les principales tendances actuelles ou les défis auxquels l’industrie des Hedge Funds est confrontée en ce moment ?
J’en vois deux : la gestion passive et l’intelligence artificielle.
La gestion passive est une gestion indicielle, elle vise à suivre étroitement la performance d’un indice de référence (comme le S&P 500) et ne cherche pas à battre le marché, mais à suivre ses mouvements. Il y a donc moins de coûts associés à cette gestion. Toute la question est de savoir si un gérant de portefeuille peut battre le marché. Mon travail en hedge fund n’a de sens que si c’est le cas. Pour la question de l’intelligence artificielle, il s’agit de l’automatisation de mon travail. Est-ce que l’IA saura un jour mieux que moi prévoir les mouvements du marché ? D’un autre côté, les hedge funds investissent beaucoup dans la technologie, et j’ai vu ma productivité s’améliorer avec l’arrivée de Chat GPT, donc il y a quand même des avantages pour le moment.
Tess Roche, étudiante à Sciences Po Paris et responsable du blog
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