Lorsqu’il est question de marchés financiers ou de places boursières, l’Europe centrale et de l’Est n’est probablement pas la région qui vient le plus naturellement à l’esprit. A côté de leurs semblables autrement plus célèbres et imposants que sont par exemple Euronext et le London Stock Exchange en Europe, le New York Stock Exchange aux Etats-Unis, les bourses de ces pays offrent pourtant un potentiel plus qu’intéressant en matière d’investissement. Celles-ci ont pour la plupart retrouvé leur activité à la suite de la chute du bloc soviétique, au début des années 1990, et les sociétés qui y sont cotées se situent ainsi dans des pays jouissant d’une excellente croissance économique. Situées à l’écart d’une finance de marché « centralisée », ces places financières sont-elles pour autant moins attrayantes ?

 

Des bourses dans l’ombre des géants occidentaux

D’un point de vue purement quantitatif, il apparaît évident que les bourses d’Europe Centrale et de l’Est se situent en retrait vis-à-vis des poids lourds occidentaux. La somme de toutes les capitalisations boursières associées aux principaux indices de cette région (WIG, PX, ATX, BUX, BET) peine à dépasser celle du seul groupe LVMH (236 milliards d’euros). Le Warsaw Stock Exchange, première bourse d’Europe de l’Est, affiche une capitalisation de 130 milliards d’euros, soit seulement 3% du géant européen Euronext.

La plupart des sociétés cotées sur ces places financières sont par ailleurs méconnues de l’investisseur classique, qui préfère en général se replier sur des valeurs plus « populaires », pour lesquelles les volumes d’échanges sont également beaucoup plus importants.

En plus d’être marginalisés, il est reproché à l’ensemble de ces marchés « émergents » d’offrir une liquidité peu attrayante pour les investisseurs, notamment les plus averses au risque. Outre le peu d’échanges possibles sur les différentes valeurs afférentes à ces places boursières, les marchés d’Europe de l’Est accusent un certain retard relatif aux moyens technologiques offerts aux intervenants : les plateformes de transactions ne sont pas encore en mesure de rivaliser avec celles proposées en Europe de l’Ouest et des efforts doivent encore être menés en matière de digitalisation des processus.

Du point de vue des sociétés elles-mêmes, ce manque d’attractivité se fait ressentir au regard de la tendance, d’une part, des grandes entreprises à privilégier les indices les plus prestigieux afin de bénéficier d’une liquidité des actifs plus importante ainsi que d’une meilleure valorisation. D’autre part, de nombreuses sociétés ont tendance à se laisser attirer par les indices les plus célèbres malgré le désavantage financier que leur imposeraient les coûts importants liés à leur cotation sur de tels indices.

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Une économie performante en Europe de l’Est

L’essentiel de ces pays appartenait à l’ex-Union Soviétique jusqu’à son effondrement au début des années 1990. Après avoir réintroduit une économie de marché, nombre d’entre eux ont, notamment au cours des années 2000 , intégré l’Union Européenne.

Billets de banque URSSEn plus de bénéficier des avantages prodigués à tout pays membre, ces nations peuvent encore à l’heure actuelle compter sur un soutien économique de l’UE afin d’accompagner leur croissance. C’est le cas par exemple de la Pologne, ayant reçu 70 milliards d’euros pour la seule période s’échelonnant de 2014 à 2020. Leur croissance économique s’avère par ailleurs remarquablement haute (de l’ordre de 2% à 3%) en comparaison avec la plupart des pays développés, et même certains autres pays émergents. Celle-ci est directement liée à une hausse importante de la demande dans ces pays. Une telle situation profite naturellement aux firmes locales, mais également aux entreprises étrangères qui disposent d’une main d’œuvre qualifiée tout en profitant de salaires compétitifs par rapport aux niveaux des pays d’Europe de l’Ouest.

Outre une économie en pleine croissance, ces pays reposent sur des fondamentaux solides. Les institutions bancaires locales ont considérablement accru leurs réserves au cours de la dernière décennie, dont les montants sont supérieurs aux niveaux minimum requis, ce qui permet d’aborder sereinement toute situation de crise. Également, ces pays sont peu endettés comparativement au reste de l’Europe : en 2018, leur dette publique était comprise entre 30% et 60% (22% pour la Bulgarie) de leur PIB pour la plupart, bien en-deçà des 78% de l’Union Européenne dans son ensemble.

Plus particulièrement, cette région a été relativement épargnée par la pandémie de COVID-19, la reprise économique devrait donc s’effectuer plus rapidement dans ces pays.

 

Des places boursières qui possèdent de nombreux avantages

En réalité, les bourses situées dans ces pays possèdent des caractéristiques intéressantes, à la fois pour les investisseurs et les sociétés. Pour les premiers, les actions qui y sont proposées sont assez peu coûteuses comparativement à celles des bourses française et allemande par exemple. Si l’on considère le Price-to-Earning Ratio, qui reflète le montant que l’acheteur serait prêt à engager pour chaque euro de bénéfice dégagé par l’entreprise, et donc le « coût » que représente finalement l’achat d’une action, on constate que celui-ci est en moyenne inférieur à 10 pour les bourses d’Europe continentale . Parmi les moins élevés, qui correspondent donc aux marchés les moins chers, on retrouve par exemple les bourses de Ljubljana et de Bucarest avec des PER moyens situés autour de 8. Pour le CAC40 et le DAX30, deux des principaux indices occidentaux, celui-ci oscille généralement autour de 15.

Outre leur faible coût, les actions issues des indices d’Europe de l’Est affichent un taux de rendement de leurs dividendes assez élevé. En reprenant le cas du CAC40, des résultats parus à la fin de l’année 2019 affirmaient que le rendement moyen des dividendes distribués au cours des 5 années précédentes était de 3.7%. Pour le S&P 500, indice le plus représentatif des sociétés américaines, celui-ci atteignait péniblement 2% au cours de la dernière décennie. A titre de comparaison, les dividendes des sociétés cotées dans les pays de l’Est offraient en moyenne un rendement compris entre 5% et 6% (notamment, la République Tchèque et la Slovaquie offrent les ratios les plus intéressants de ce point de vue).

Pour de nombreuses entreprises également, les bourses de cette région peuvent se révéler attractives. En effet, le fait d’être cotée sur un indice majeur (NASDAQ, FTSE, etc…) représente un coût important pour une entreprise. Pour les plus importantes d’entre elles, cela peut s’avérer rentable. Cependant, pour des entreprises de plus petite taille, être listée sur un indice de premier plan ne permet pas de bénéficier d’une grande visibilité, ce qui peut rapidement devenir rédhibitoire. En revanche, celles-ci peuvent être plus dignement représentées en étant listées sur des indices émanant de bourses d’ordre secondaire, comme l’explique Marek Dietl, président de la bourse de Varsovie, ajoutant que les moyens de communications actuels accordent désormais une visibilité analogue aux entreprises auprès des investisseurs, quel que soit le type d’indice sur lequel elles sont listées.

Les perspectives offertes par ces indices peuvent donc être intéressantes pour des sociétés locales, au rayonnement régional, qui peuvent profiter des bénéfices d’une introduction en bourse tout en évitant les désagréments liés à une cotation sur des indices de plus grande ampleur. Les sociétés domiciliées dans les pays les plus à l’est comme la Géorgie pourraient y trouver un avantage. De plus, de nombreux investisseurs cherchent désormais à investir dans des compagnies de plus petite taille, mais ayant des perspectives de croissance intéressantes.

Certains secteurs d’activités sont de plus particulièrement performants dans ces pays et mériteraient d’attirer l’attention des investisseurs. Par exemple, l’industrie des produits électroniques est très dynamique en République Tchèque et en Hongrie, et l’important développement mené récemment dans le secteur des nanotechnologies (ainsi que dans d’autres technologies de pointe) pourrait créer des opportunités selon le cabinet de conseil KPMG, d’après son étude « Investment in the Czech Republic » parue en 2017.

 

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Un territoire d’avenir

D’un point de vue économique, un bel avenir semble se profiler pour ces pays avec une croissance qui ne devrait pas fléchir au cours des prochaines années.

Parallèlement, les bourses d’Europe de l’Est ont pris conscience de leur retard et mènent actuellement une politique de modernisation, de démocratisation de leur accès afin d’atteindre les standards des bourses les plus importantes, entre autres par l’utilisation des technologies « blockchain ». A titre d’exemple, la bourse de Varsovie a lancé une vaste opération de développement de nouvelles plateformes permettant de mettre en relation acheteurs et vendeurs au sein des salles de marchés, qui devrait aboutir en 2022. Les objectifs de ces travaux sont multiples : améliorer la liquidité des actifs cotés sur la bourse de Varsovie, offrir aux PME polonaises le cadre permettant de s’affirmer face à la concurrence internationale.

Par ailleurs, ces places boursières affichent aujourd’hui des ambitions certaines et commencent à accueillir des sociétés de plus gros calibre. La plus importante introduction en bourse de cette année 2020 a justement eu lieu à Varsovie, et concerne le géant polonais du e-commerce Allegro (la société était valorisée à 10 milliards d’euros au moment de son introduction). Progressivement, cette montée en gamme pourrait susciter l’intérêt de nombreux investisseurs pour ces marchés, et ainsi faire de ces places financières des acteurs influents sur la scène continentale.

 

Qu’en est-il des opportunités professionnelles ?

Le recrutement en banque d’investissement ainsi que le marché des offres de stages en sont encore à leurs balbutiements dans cette région. La plupart des institutions locales sont essentiellement concentrées sur le secteur de la banque de détail (Bank Millennium, SKB Group, etc…). Cependant, une petite révolution est apparue au début des années 2000 avec l’apport important de capitaux étrangers et l’arrivée de groupes internationaux. L’immense majorité des actifs sur ce marché est d’ailleurs gérée par des banques étrangères. Néanmoins, pour les passionnés de finance de marché, l’Europe Centrale et de l’Est n’est pas la destination la plus appropriée. A l’heure actuelle, les banques recrutent principalement au sein de leurs équipes M&A et ECM.

Bâtiment principal de l'université d'État de Moscou (prise de vue aérienne)Les groupes français (Société Générale, BNP Paribas) sont plutôt bien représentés dans ces pays par le biais de leurs filiales (BGZ et Ukrsibbank étant les filiales principales de la région pour BNP, Komercni Banka et Rosbank pour la Société Générale) et recrutent régulièrement, notamment via leurs offres de Volontariat International en Entreprise (VIE).

En dehors des grands noms de la banque, de nombreux acteurs locaux sont chaque année à la recherche de nouveaux stagiaires et employés. Parmi les plus importants d’entre eux, la banque russe Sberbank, implantée à la fois en Russie et en Europe de l’Est, est une excellente option. Celle-ci a d’ailleurs récemment été reconnue comme étant la meilleure banque M&A en Europe Centrale et de l’Est, et la meilleure banque d’investissement en Russie par le magazine Global Finance.

Il est également intéressant de noter que certaines institutions locales, bien que domiciliées dans leurs pays respectifs, ont en réalité développé un réseau sur l’ensemble de la région et proposent donc des offres dans plusieurs pays. C’est le cas du groupe hongrois OTP Bank et du letton SEB Banka par exemple. Ce dernier dispose par ailleurs d’une équipe en finance de marché relativement développée, principalement spécialisée dans les produits financiers des marchés baltes, ce qui offre la possibilité originale de pouvoir travailler sur des marchés peu courants.

Parmi les autres acteurs intéressants, on peut également citer : PKO Bank (Pologne), CSBO (République Tchèque) ; Raiffaisen Bank Aval (Ukraine).

Outre les banques d’investissement, les cabinets de conseil disposent de nombreuses antennes en Europe de l’Est, et proposent de temps à autre des offres de stages et d’emploi. Parmi les plus connus, Deloitte et PwC y sont plutôt bien implantés. Cependant, il existe une fois encore des acteurs locaux en pleine expansion internationale, comme le cabinet lithuanien Civitta.

Il est toutefois important de préciser que dans de nombreux cas, outre un anglais excellent, une maîtrise courante de la langue locale est également exigée, bien que certaines offres ne tiennent pas compte de ce critère.

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Cette région n’a pour le moment été créditée que d’une importance marginale par le monde de la finance, aussi bien par les investisseurs d’une part (systèmes de transactions archaïques, faible liquidité des marchés) que par les entreprises d’autre part (manque de prestige des bourses locales). Néanmoins, ces places financières sont actuellement en pleine transition, au niveau de leur accessibilité notamment : des solutions digitales sont en train d’être mises en place afin d’améliorer l’interaction entre les investisseurs et les marchés dans le cadre des transactions. Cette région demeure également une exception en matière de croissance. Outre la bonne santé financière de ces pays et leurs perspectives économiques, la plupart d’entre eux jouissent de l’implantation locale d’industries de pointe.

 

A l’heure où de nombreuses entreprises d’Europe de l’Est cherchent à poursuivre leur développement, les bourses locales, en plus de leur proximité, offrent des coûts de cotation largement inférieurs à ceux des indices les plus connus, tout en proposant une bonne visibilité à ces firmes grâce aux technologies actuelles. D’ailleurs, la conjonction de cette croissance avec le peu d’intérêt actuellement porté à ces marchés permet encore aujourd’hui d’offrir aux investisseurs la possibilité d’acheter des actions peu onéreuses et à haut rendement. D’un point de vue professionnel, l’industrie de la finance locale propose de nombreuses offres de stages mais aussi de contrats d’embauche pour ceux qui souhaiteraient travailler sur ces marchés (de plus, le coût de la vie dans ces pays est moins élevé que dans le reste de l’Europe). Finalement, pour une entreprise, un investisseur, une société financière ou encore un simple étudiant, cette région pourrait offrir bien des avantages dans les années à venir lors de la poursuite du développement de ces places financières.

 

 

Nicolas Liszczynski, étudiant à l’EDHEC Business School et contributeur du blog AlumnEye