Définie comme une série de démarches entreprises en vue de parvenir à un accord, la négociation est une des disciplines reine du métier en banque d’affaires. Réservée à une minorité avertie et expérimentée, elle parachève les mois d’études et d’analyses des sociétés au cœur des transactions. Dans les transactions d’entreprises non cotées, la négociation se caractérise par les échanges entre cédants et acquéreurs en vue d’un accord sur un prix qui sera par la suite inscrit dans un contrat de vente. Ce processus d’élaboration progressif est aussi savamment appelé punctation.

Ces échanges sont soumis à la condition que l’actif sous-jacent soit suffisamment connu des parties. C’est également au cours de ce processus de négociation qu’apparaissent de nouvelles parties prenantes comme les avocats d’affaires. Leur fonction est de garantir la documentation juridique transactionnelle en assurant le passage d’une logique de valeur financière de la transaction à une justification du prix en termes juridiques. En effet, le code civil qualifie la vente comme « la propriété acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’il est convenu de la chose et du prix ». Cette définition confère plusieurs qualités au prix telles que sa réalité, son fondement et de cette manière, les comptes statutaires audités et approuvés sont les uniques éléments de mesure de ladite « chose » i.e. l’entreprise cédée.

Toutefois, cette matérialité juridique se confronte aux usages de valorisation au sein des banques d’affaires où les comptes statutaires audités ne servent que partiellement à définir la valeur de la cible. C’est pour surmonter cette aporie que les mécanismes de prix font état de pratiques courantes.

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Les mécanismes de prix et leurs applications

Il existe deux principaux dispositifs de structuration du prix lors des transactions d’entreprises.

Tout d’abord, l’earn-out (ou complément de prix en français) est un mécanisme de prix segmentant en deux parties disjointes le montant de la transaction. D’une part, l’acquéreur paye une somme correspondant à la valorisation de l’entreprise à sa date d’achat, et d’autre part un complément de prix est payé en différé en fonction des performances futures de la cible. Ces performances sont préalablement définies au moment de la négociation de la transaction.

On peut illustrer ce mécanisme avec l’acquisition de Amunix Pharmaceuticals par Sanofi en décembre 2021. Le groupe français a déboursé 1 milliard de dollars versé au closing pour la société américaine spécialisée dans l’oncologie. Un complément de prix de 225 millions de dollars sera versé sous conditions de la réalisation de certaines étapes de développement futur (soit 18,3 % du prix total).

Les avantages de l’earn-out sont de permettre à l’acquéreur de réduire les asymétries d’informations liées à l’acquisition d’une entreprise en conditionnant une partie du versement du prix. En revanche, l’inconvénient de cette pratique est qu’elle ouvre la porte à des négociations plus longues et est juridiquement plus complexe.

Le second mécanisme de prix utilisé dans le cadre des transactions d’entreprises est celui de la locked box. Différente du premier, la logique est que les deux parties s’accordent à dire que le prix de la transaction au signing se fonde sur les comptes passés de la société. Il s’agit généralement des derniers comptes statutaires ou conventionnels audités de l’entreprise si ceux-ci ne sont trop éloignés dans le temps. Dans le cas contraire, des comptes intermédiaires peuvent être fournis comme support de référence dans l’attente de nouveaux comptes audités. Cette entente entre l’acquéreur et le vendeur sur le prix et son fondement permet de se conformer aux conditions légales associées à la vente.

Dès le signing, l’acquéreur devient ainsi propriétaire de la cible et les flux de trésorerie générés par cette dernière lui reviennent. La transaction et son prix sont donc verrouillés à cette date jusqu’au closing de l’opération, d’où le nom de locked box.

Il existe néanmoins deux variantes du mécanisme de locked box. Tout d’abord, la locked box à prix fixe, où l’acquéreur et le cédant conviennent que le prix payé est uniquement rattaché aux comptes des exercices précédents. On la distingue de la variante de locked box avec trésorerie garantie qui consiste en la détermination d’une position de trésorerie nette attendue au closing par l’acquéreur.

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La locked box, un mécanisme de plus en plus utilisé

Aujourd’hui, le mécanisme de locked box est de plus en plus employé dans les opérations de M&A. L’étude du cabinet d’avocat DLA Piper réalisée sur la base de 560 transactions en 2020 sur le territoire européen rapporte que le nombre de transactions non-concurrentielles ayant recours au mécanisme de locked box est en constante augmentation. Une opération M&A sur deux a eu recours à ce dispositif en 2020 contre seulement 36 % en 2018, soit une hausse de 14 points en 2 ans. Selon la même étude, la locked box est également très répandue au sein des transactions concurrentielles, représentant deux tiers des opérations étudiées par le cabinet en 2020.

Enfin, DLA Piper montre dans son enquête que les fonds de Private Equity sont les investisseurs les plus friands de ce mécanisme de prix (58 % d’entre eux). Les raisons des tendances évoquées ci-dessus tiennent en partie aux atouts que confère ce système de paiement. Les avantages sont multiples avec comme premier argument avancé la rapidité liée au contournement d’un certain nombre de complexités dans les négociations, à l’image des coûts des audits comptables ou encore des contentieux d’après closing, économisés grâce à cette démarche. La simplicité du processus séduit aussi beaucoup dans un paradigme où la durée moyenne des opérations est de plus en plus courte.

En revanche, contrairement à l’earn-out, le mécanisme de la locked box protège moins l’acquéreur des imperfections de marchés telles que les asymétries d’informations ou bien l’aléa moral. C’est en cela que le système est parfois décrit comme étant à l’avantage du cédant. Un autre point d’attention de ce mode de système de prix est la gestion de la période intercalaire située entre le signing et le closing de la transaction. En effet, durant cet intervalle de temps, l’acquéreur porte le risque économique et financier de la cible avant d’en prendre pleinement le contrôle au closing.
Cet encadrement des flux financiers durant cette période amène à définir ce que sont les leakages, c’est-à-dire les dépenses possibles par l’ancien management de la cible. Au moment du signing, sont déterminés une liste de leakages autorisés comme le paiement de sous-traitants et de leakages non autorisés comme les distributions de dividendes.

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Une seconde étude réalisée par le cabinet d’avocat CMS répertorie et analyse les mécanismes liés aux opérations de M&A dans un rapport annuel publié en 2021. Plus de 5017 transactions ont été reportées sur la période de 2007 à 2020 avec un total de 408 transactions enregistrées en 2020. Ce rapport souligne également les disparités d’utilisation du mécanisme de la locked box entre les différents secteurs d’activité. Si la consommation et la santé recourent à ce mode opératoire pour respectivement près de 57 % et 55 % des transactions, d’autres secteurs comme l’infrastructure délaissent la locked box (29 %).
Une des raisons qui peut être avancée est la lisibilité du business model des sociétés dans le secteur et la dynamique de consolidation qui impose parfois un calendrier plus resserré.

En somme, la négociation intervient généralement en fin de processus de transaction avec l’offre ferme comme support de discussion. En effet, après deux phases d’études de la cible par l’acquéreur, les asymétries d’informations se réduisent et les rapports de force s’équilibrent, voire s’inversent entre les parties, laissant place à la négociation en vue d’aboutir à un prix.

Dans ce contexte, la locked box constitue ainsi un mécanisme de prix qui facilite les échanges lors de cette phase de la transaction. C’est pourquoi il est de plus en plus utilisé dans les opérations de M&A. Mais cette croissance est à nuancer avec l’impact du Covid-19 sur le choix de paiement des opérations. En effet, la crise sanitaire et les incertitudes qu’elle a projetées sur le Business Plan des cibles a conduit les acquéreurs à reconsidérer à la marge le mécanisme de prix des transactions.

 

Robin Ruffon, étudiant à l’ESCP et contributeur du blog AlumnEye