Après avoir débuté son parcours en tant qu’économiste, Maxime Sbaihi a choisi de donner un tournant à sa carrière en prenant la tête du think tank libéral GenerationLibre. Dans cette interview, Maxime nous présente son parcours académique et professionnel, ainsi que ses nouvelles activités à GenerationLibre.
Travailler en tant qu’économiste en banque puis à Bloomberg ? Diriger un think tank ? Maxime nous offre ici une regard approfondi sur le métier d’économiste, comment y faire carrière, et ses liens avec le monde de la finance. Il développe également sa vision de la crise du Covid19.
Pour débuter cet entretien, pouvez-vous nous décrire votre parcours ?
J’ai passé mon bac à Munich (bac français et bac allemand) avant d’intégrer la classe préparatoire des Chartreux à Lyon, puis l’ESCP Europe (désormais ESCP Business School) sur concours. C’était le début des campus européens de l’ESCP, ce qui m’a permis d’aller à Londres et de faire un double diplôme à la City University, puis d’aller à Berlin. Pendant mon année de césure, j’ai travaillé à la BNP en Asset Management et au cabinet ministériel de Valérie Pécresse. Suite au Master in Management de l’ESCP Europe, j’ai effectué un master en économie internationale à Dauphine. Après d’autres stages (à l’ambassade de France de Berlin et à CACIB), j’ai été embauché chez Oddo en tant qu’économiste. J’y suis resté plus d’1 an et demi et j’ai ensuite rejoint Bloomberg à Londres en tant qu’économiste pour la zone euro. Après 4 ans chez Bloomberg, j’ai intégré GenerationLibre que je connaissais bien, tout particulièrement Gaspard Koenig (fondateur de GenerationLibre) et j’y suis depuis 2018.
Vous avez débuté votre carrière dans la recherche économique, pourquoi s’être orienté vers ce secteur ?
J’ai toujours été intéressé par l’économie, c’est d’abord une matière où j’ai toujours été à l’aise et qui en même temps m’a toujours passionné. Pour moi, la science économique est une science qui est aux confins de nombreuses disciplines : la politique, la géopolitique, la finance… Pour comprendre l’économie, il faut maîtriser beaucoup de paramètres : les enjeux politiques, les cycles financiers, les actions des banques centrales. Ce que j’apprécie dans l’économie c’est le fait de comprendre le « mode d’emploi du monde ». Assez tôt, j’ai donc eu cet attrait naturel. Même si j’ai beaucoup aimé l’ESCP, cela restait très orienté vers la finance. C’est pour cela que je suis allé à Dauphine pour faire de l’économie pure et dure. Ensuite ce sont les stages et les expériences professionnelles qui m’ont davantage orienté.
Entre l’ESCP et votre début de carrière, vous avez justement décidé de faire une année de Master en économie internationale à Dauphine. Pourquoi ce choix et quels ont été les apports de cette formation ?
A l’ESCP, j’ai eu l’occasion de rencontrer Jean-Marc Daniel, un économiste que j’apprécie beaucoup et j’ai d’ailleurs fait mon mémoire avec lui sur la répartition de la valeur ajoutée. Il m’a conseillé de faire de l’économie plus poussée. Je me suis finalement tourné vers Dauphine. Cela m’a apporté beaucoup notamment sur les aspects quantitatifs : se plonger dans des modèles, comprendre ce qu’est un déficit structurel, un marché interbancaire. Dans la finance, on sait ce que c’est, on le voit mais on n’a peut-être pas la vision d’ensemble que l’on a en économie. Le master de Dauphine m’a apporté cette approche plus technique de l’économie et ce n’était pas déplaisant de poursuivre quelque peu la vie étudiante.
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Concrètement quel est le rôle d’un économiste en banque ?
Pour répondre à cette question, il y a selon moi trois formes d’économistes. D’abord l’économiste académique, ceux qui travaillent dans les institutions internationales, ce sont eux qui font des papiers, qui ont ce temps de la recherche, avec beaucoup de connaissances quantitatives. Ensuite il y a l’économiste en banque, dans les salles de marché. Tu fais régulièrement des briefings avec les traders afin de les informer des tendances, des évolutions à venir, tu réalises des papiers de conjoncture. J’adorais cette ambiance, au plus proche du marché avec une approche très concrète. Enfin il y a des économistes en banque, plus éloignés des salles de marché, en recherche économique, moins axé finance et plus axé macroéconomie. Il y a bien sûr de la porosité entre ces rôles, mais je dirais qu’il faut distinguer ces trois visions.
Quelles différences existent-ils entre le métier d’économiste en banque, que ce soit chez Oddo ou CACIB, et votre travail ensuite chez Bloomberg ?
La première différence réside dans l’objectif à atteindre. En banque, on cherche à établir un gain alors qu’à Bloomberg, le besoin d’informer reste premier. L’autre grande différence constitue l’indépendance. Chez Bloomberg, aucun conflit d’intérêt entre ce que la recherche peut dire et ce que le trading fait. A Bloomberg, l’indépendance était beaucoup plus forte. Néanmoins il y avait dans le fond des papiers des choses relativement similaires entre Oddo et Bloomberg. Les tâches étaient similaires également, la principale différence réside dans l’objectif à atteindre. Chez Bloomberg, il fallait réagir à énormément de statistiques publiées, j’ai ressenti le travail plus réactif et poussé, sans doute aussi parce que j’étais à un poste plus senior. En banque, j’ai quand même beaucoup aimé la relation avec les traders et le contact direct avec le marché.
Avez-vous déjà observé des reconversions d’économistes vers des postes en finance de marché, ou en finance plus généralement ? Et l’inverse ?
C’est assez fréquent de voir des économistes se reconvertir en traders, ou ouvrir leur propre boutique. A l’inverse, c’est très rare de voir des traders se reconvertir vers le métier d’économiste. En effet le métier d’économiste demande un panel de connaissances important et des compétences très spécifiques. C’est ce que j’ai observé personnellement. Néanmoins il y a aussi une question de personnalité, être trader demande un certain goût pour le risque, un bon sens du relationnel, cela ne peut pas forcément correspondre à tous les économistes.
Vous avez quitté Bloomberg et Londres pour rejoindre GenerationLibre à Paris, quelles différences de culture et de méthodes de travail avez-vous ressenti entre ces environnements ?
A Londres, il y a un côté plus pragmatique qu’en France, on te juge par rapport à tes objectifs et beaucoup moins sur la manière dont tu vas les obtenir. Donc on te responsabilise davantage. La hiérarchie est aussi beaucoup moins marquée. En France, il y a davantage cette culture du chef, le chef décide et tu exécutes. De ce fait, c’est plus rigide et moins réactif. Néanmoins il y a d’autres avantages en France par rapport à l’Angleterre. En France, il me semble qu’il y a beaucoup plus la séparation entre vie privée et vie professionnelle. Quand tu sors du bureau tu es vraiment sorti du bureau. A Londres et encore plus à la City, à la sortie du bureau, il faut souvent aller boire un verre avec ses collègues et ses clients, vivre son travail même en dehors du travail.
Sur votre changement de vie et d’orientation, qu’est-ce qui vous a incité à prendre la tête de GenerationLibre ?
A l’origine c’est un concours de circonstances. Quand j’ai quitté Bloomberg, Gaspard Koenig que je connaissais bien m’a proposé de prendre la tête de GenerationLibre. C’était l’opportunité pour moi de prendre du recul, par rapport à Bloomberg ou à la banque où j’avais la tête en permanence devant cinq écrans et dans les chiffres. C’était aussi la possibilité de travailler sur d’autres sujets que l’économie et la finance. Enfin c’était l’opportunité de gérer une équipe et un projet. Donc j’ai décidé de prendre cette autre direction dans ma carrière, qui n’était pas attendue initialement mais que je trouvais très intéressante.
Pouvez-vous nous présenter brièvement GenerationLibre ?
GenerationLibre est un think tank, une association donc ni une entreprise (pas vocation à faire du profit), ni un parti politique (pas vocation à être élu), qui réunit des amoureux de la liberté. Nous cherchons à faire vivre les libertés individuelles et le libéralisme en général, en parlant notamment aux jeunes. Pour ce faire, nous prônons un libéralisme pragmatique : adapté à notre époque et qui ne porte pas uniquement sur l’aspect économique. C’est pour cela que nous nous intéressons à des sujets comme le revenu universel, les data ou la GPA.
Aujourd’hui, quelles sont concrètement vos missions en tant que directeur général d’un think tank ?
Les journées ne se ressemblent pas, c’est tout l’intérêt du métier. Pour résumer, je dirais qu’il y a quatre grands types de mission : le financement, la communication, le travail de recherche et l’incarnation. Le think tank ne bénéficie pas de subventions publiques, un des grands enjeux pour moi est de trouver des fonds et des donateurs, leur expliquer le projet et les motiver à prendre part durablement. D’autre part, il faut mener l’équipe de communication car le think tank doit être visible dans les médias, sur les réseaux sociaux. En tant que directeur général, je suis aussi son porte-parole donc je dois également être présent dans les médias, c’est pour cela que je suis polémiste sur RTL, chroniqueur à l’Opinion et que j’interviens régulièrement à la télévision. Enfin il y a tout ce qui touche à la recherche et à la rédaction de rapport, cela demande de trouver des idées, réunir les experts autour de la table. C’est le cœur du think tank qui est avant tout un laboratoire d’idées.
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En France, les think tanks demeurent relativement méconnus du grand public et peu impliqués dans le débat public, contrairement à leurs homologues anglo-saxons et européens. Quel rôle peut jouer un think tank comme GenerationLibre ?
Les think tanks sont en effet assez peu connus en France, parfois on a d’ailleurs du mal à expliquer ce que c’est. Pourtant, contrairement aux partis politiques, plus focalisés sur la conquête du pouvoir, les think tanks offrent un temps de réflexion absolument essentiel. Dans les pays anglo-saxons, je crois qu’ils ont compris la nécessité d’instances indépendantes qui contribuent à l’élaboration d’idées nouvelles. On peut voir les think tank anglo-saxons installés dans de grandes tours, avec des institutions comme le Niskanen Center ou le Brooklyn Institute. C’est une autre culture. Je me suis sans doute intéressé aux think tanks parce que je viens aussi de cet univers anglo-saxon. La France gagnerait à avoir plus de think tanks, même s’il y a ces dernières années déjà un effet de mode.
En lien avec votre expérience d’économiste, quelles sont selon vous les principales conséquences de la crise du Covid19 ?
Les épidémies ont toujours traversé l’histoire de l’humanité, mais cette fois nous refusons le fatalisme en faisant le choix de restreindre nos libertés et de mettre un gros coup de frein sur l’économie afin de sauver le plus de vies possibles. Cela prouve que nous n’avons jamais autant valorisé la vie, et contredit les discours chagrins sur une prétendue perte d’humanisme dans notre monde. Par ailleurs, la situation actuelle montre l’impasse de la décroissance et de la démondialisation. La disparition de la croissance provoque des dégâts sociaux et humains considérables. Et la contraction du commerce international impacte directement les pays les moins développés, je pense surtout à l’Afrique, dépendants des revenus et des débouchés offerts par la mondialisation. Jacques Prévert écrit que « on reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va », je dirais qu’on reconnaît la mondialisation aux dégâts qu’elle cause quand elle s’arrête. Il faut résister à la tentation du repli sur soi.
Pour finir quels conseils de carrière donneriez-vous à des étudiants qui souhaitent s’orienter vers l’économie ?
Je dirais à chacun de découvrir quel type d’économiste il a envie d’être. A mon avis, c’est important de passer par la finance. On y apprend beaucoup de choses et cela donne un angle différent par rapport à l’économie. Il y a de nombreux fantasmes à propos du monde de la finance, alors qu’il s’agit bien de l’agrégation de comportements humains. Donc je crois qu’un passage en finance est très formateur. Ensuite il faut ne pas oublier que l’économie est une science, étudier à l’université me parait important, surtout en ce moment où la théorie évolue très rapidement. Construire des modèles, développer des théories, reste la base du métier d’économiste et il faut saisir cette dimension technique. Néanmoins je dirais surtout de ne pas se limiter à un parcours, à un diplôme, à une expérience pour essayer de trouver son propre chemin. Pour ma part, je me suis confronté aux différentes facettes du métier d’économiste et ça m’a beaucoup appris. Il y a de nombreuses manières de devenir économiste donc je conseillerais à chacun de trouver la sienne.
Nathan Granier, étudiant à l’ESCP Europe et contributeur du blog AlumnEye
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