Alors qu’elle n’était qu’une petite structure de location de DVD à ses débuts, l’entreprise américaine Netflix est rapidement devenue une référence sur le marché des films et séries en ligne. Son expansion rapide depuis 2010 et son approche marketing judicieuse lui ont permis de se muer en leader du marché. La société se positionne sur les moins de 35 ans, technophiles, avec un abonnement abordable démarrant à 7,99 €/mois. Grâce à une très bonne gestion, l’exercice 2018 a été clôturé avec un chiffre d’affaires en hausse à 13.8 Md€. La progression est importante et la société semble passer la vitesse supérieure avec des opérations de croissance externes récentes.
Un pari gagnant
En 1997, lorsque Reed Hastings, diplômé de l’université de Standford et Marc Randolph, programmateur, s’associent pour fonder Netflix, personne n’est prêt à parier que cette société de location de VHS et DVD pourrait révolutionner le marché. Reed Hastings est pourtant persuadé que la VHS vit ses dernières heures et qu’il est temps que la vidéo vienne aux consommateurs et non l’inverse. Les débuts sont positifs et l’entreprise californienne livre des DVD issus de productions extérieures à domicile. Preuve d’une rapide expansion, la société est introduite en bourse au NASDAQ en 2002. L’essor d’internet et sa démocratisation permettent à Youtube, quelques années après, de devenir le premier site de streaming. Les dirigeants de Netflix vont s’en inspirer, tout en personnalisant le contenu en fonction des goûts de l’utilisateur. C’est en effet le but du système ingénieux imaginé par Reed Hastings : afin de capter l’attention du consommateur, le site va recommander des films et séries à partir de l’historique. La suite est une success story, les abonnés passent de 20 millions en 2011 à plus de 140 millions en 2019 au niveau mondial. Cette croissance extraordinaire vient entre autres de la phase d’internationalisation de la marque. Le nombre d’abonnés hors Etats-Unis a été multiplié par 40 en 8 ans passant de 2 millions à 80 millions. Le coup d’accélérateur intervient autour de 2014 lorsque la société décide de lancer un plan d’investissement massif sur la production de films et séries. Avec un chiffre d’affaires proche de 14 Md€ dans le monde en 2018, Netflix confirme une nouvelle fois sa domination du marché du streaming.
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Alliance et croissance externe
La société californienne compte 5 millions d’abonnés en France et 140 millions dans le monde. Netflix chouchoute ses fidèles et leur propose un nombre de séries pléthorique. Depuis la décision de Reed Hastings, en 2013, de produire son propre contenu original, l’entreprise a investi près de 30 Md$ dans « House of Cards », « Orange is the new black », « Stranger Things » ou encore « Narcos » pour ne citer qu’eux. Ce modèle est un véritable succès. Cependant, Netflix ne mise pas tout sur ses propres ressources. A l’image de l’alliance inédite signée avec TF1 en mars dernier, le géant américain cherche à baisser le coût de ses productions. En effet, la firme californienne va participer à l’élaboration d’une série qui sera tout d’abord diffusée sur la première chaîne européenne, avant d’être disponible sur la plateforme de streaming californienne. La chaîne française pourra compter sur le soutien financier de Netflix pour cette série, dont le coût total est estimé à 2 M€ pour chacun des 8 épisodes. Grâce à cette alliance, TF1 va également bénéficier d’une meilleure visibilité à l’international. En s’investissant dans une telle alliance, Netflix s’offre également une protection face à une nouvelle réglementation : la directive européenne va imposer un minimum de 30% de diffusions d’œuvres européennes d’ici 2020. Par ailleurs, la plateforme de streaming ne compte pas s’appuyer uniquement sur sa croissance organique puisque la société a lancé des opérations de croissance externe dont la dernière – rachats de l’éditeur de bandes dessinées Millarworld et du studio de production ABQ – s’élève à un coût total de 30 millions de dollars afin de booster sa production de contenu original. Millarworld, la société de Mark Millar, scénariste britannique, a été en 2017, la première acquisition de l’histoire de Netflix et permettra une adaptation de comic-books. Il en va de même pour le complexe de studios de production comme ABQ studio, utilisé entre autres pour certaines parties d’Avengers, qui a fait l’objet d’une acquisition par Netflix en 2018. Par ailleurs, d’autres acquisitions peuvent sembler étonnantes. C’est le cas de centaines de droits de livres qui sont passés sous pavillon de la firme californienne. La plateforme souhaite adapter des récits auxquels ses concurrents n’auront pas accès. Près de 50 d’entre eux sont déjà en cours d’adaptation. L’objectif est donc clair, le leader du secteur souhaite asseoir sa suprématie à coups d’acquisitions verticales, en intégrant des studios de productions cinématographiques, mais également des maisons d’éditions à fort potentiel. Les intégrations horizontales seraient moins importantes pour Netflix, qui souhaite davantage créer des alliances avec des productions afin de limiter le risque et de racheter des droits de diffusion à un prix très abordable.
Un gouffre financier ?
Avec un chiffre d’affaires qui a presque triplé entre 2014 et 2018, Netflix connaît une croissance exponentielle sans précédent. Le résultat net semble lui aussi décoller pour atteindre 1 Md€. Seulement, pour arriver à ces montants colossaux, Netflix ne compte pas uniquement sur de l’autofinancement mais en grande partie sur de la dette. Elle représente en effet 3 fois les fonds propres. Le modèle de la société est très agressif et repose sur des investissements conséquents ne permettant un break-even des cash flows qu’à long terme. Sa valorisation de 155 Md€, en grande partie influencée par la qualité des films et séries proposés sur sa plateforme permet donc de masquer le fait que le cash-burn de la société est très important puisque les free cash flows restent négatifs depuis 2014. La quasi-totalité de la trésorerie part en effet dans les opérations de croissances externes et la production de contenus originaux. Cela peut ressembler à un cercle infernal mais Morgan Stanley se veut très rassurante. Pour la banque américaine, les cash-flows de Netflix devraient repasser en positif d’ici 2021. Une menace existe toutefois concernant sa valorisation au Nasdaq. En juillet 2018, Netflix a annoncé des résultats légèrement en baisse par rapport aux attentes. La sanction fut directe avec une nette baisse de la valeur boursière. La différence de gain était pourtant minime. L’entreprise tablait sur + 6 millions d’abonnés aux Etats-Unis et n’en a obtenu « que » + 5 millions. Résultat, le titre a perdu presque 100$ en 1 mois. Ce léger vent de panique peut tout d’abord s’expliquer par une valeur capitalistique qui peut sembler surévaluée. En effet, Netflix est valorisée à plus de 2 fois les 10 premiers groupes européens de télévision réunis. La société est solide et semble portée sur l’avenir mais la bulle internet du début des années 2000 reste dans les mémoires. Par ailleurs, l’entreprise californienne n’aurait-elle pas atteint le nombre d’abonnés américains critique compte tenu de la taille actuelle du marché ? Les abonnements permettent en effet à plusieurs personnes de partager le même compte. Sachant que Netflix compte plus de 70 millions d’abonnés aux États-Unis et que la concurrence s’installe, les parts de marchés vont être de plus en plus disputées.
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La menace des concurrents
En se lançant tôt sur le secteur, Netflix est parvenue à opérer seule ou presque pendant quelques années. Avec une capitalisation boursière de 155 Md€, l’entreprise américaine dépasse entre autre Disney. Ce secteur prolifique a attiré l’œil de nombreux géants du secteur du TMT. Hulu, Disney, Amazon, Youtube Premium ou encore Apple, ces sociétés américaines se présentent aujourd’hui comme les concurrents de Netflix les plus crédibles. Amazon Prime Video compte près de 100 millions d’abonnés dans le monde après plus de 12 ans d’existence lorsque ceux d’Hulu s’élèvent à 25 millions. L’entreprise Disney compte quant à elle sur sa fusion avec Century Fox ainsi que la participation à hauteur de 60% dans Hulu pour gagner progressivement des parts de marché. Bien au courant que ce secteur révolutionne la télévision classique, J.P Morgan a conseillé en février 2019 à Apple, l’acquisition de Netflix avant que la marque à la pomme ne lance finalement son propre service de vidéos à la demande, Apple TV+. « Netflix peut dormir tranquille » lance toutefois Pascal Lechevallier, président de l’agence de conseil média What’s Hot. Deux exemples pourraient cependant venir contredire le spécialiste. A l’aube de 2015 lorsqu’Apple music est lancé, Spotify est le leader incontestable du marché. Quatre années plus tard, les deux services de streaming musical ont suivi le même rythme de croissance et se placent respectivement au 2e et 1er rang mondial du nombre d’abonnés sur une plateforme de musique à 50 millions d’abonnés contre 83 millions pour Spotify. La force de frappe d’Apple vient du fait que tous les utilisateurs de ses appareils peuvent obtenir un compte Apple music. En comptant plus d’1 milliard d’objets actifs Apple dans le monde, la plateforme de streaming partait donc avec un potentiel énorme. Autre exemple de belle réussite, celle d’Instagram. A la suite de son acquisition par Facebook en 2012, la plateforme de partage de photos a su bénéficier de l’expérience du géant américain. En 2016, Instagram a lancé une fonctionnalité similaire au leader du moment, Snapchat, avec un système de « stories » permettant de partager des événements sur 24h. A compter de ce moment-là, le cours de la société au petit fantôme n’a cessé de descendre au NYSE atteignant 5$ début 2019 contre 27$ début 2017. Instagram revendique désormais plus de 250 millions d’utilisateurs quotidiens contre 160 millions pour Snapchat. Autant de bonnes raisons pour que Netflix surveille ses arrières.
Netflix n’échappe pas à la menace de la concurrence. Certains mastodontes sont prêts à faire de l’ombre à Netflix sur le marché de la SVOD, conscients du potentiel du marché. La différence étant qu’Apple, Amazon ou encore Disney n’ont pas mis tous leurs œufs dans le même panier et diversifient leur activités jusqu’à devenir des entreprises universelles. Au contraire, Netflix jusqu’ici ne propose qu’une activité dans le cadre de séries et films. La firme Californienne va donc devoir continuer à innover afin de réaliser ses objectifs ambitieux et de garder cette place de membre à part entière du FAANG (Facebook, Apple, Amazon, Netflix, Google).
Benjamin Guetienne, étudiant à l’ESSEC et contributeur du blog AlumnEye.
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2 janvier, 2018