Trader à Wall Street chez Crédit Suisse, Nicolas Dumoulin est également un photographe très suivi sur Instagram, avec plus de 35 000 followers. Comment a-t-il réussi ce parcours ? Du Master 203 à Dauphine en passant par le desk de Londres de Credit Suisse, Nicolas raconte comment il a bâti brique par brique sa vie actuelle. Egalement premier formateur AlumnEye en finance de marché, il nous parle de ses candidatures aux Summers internships et nous donne de précieux conseils !
Cette interview retrace le parcours brillant de ce dauphinois qui a su se construire la vie qu’il ambitionnait au départ : un job de trader qui le challenge au quotidien, dans la ville – New York – de ses rêves, où il peut aussi se consacrer à sa passion, la photographie.
Peux-tu nous présenter ton parcours ?
J’ai effectué un parcours de gestion puis finance à Dauphine, avant de finir par le Master 203. Lors d’un passage aux Etats-Unis en 2009, j’ai découvert New York et ai été émerveillé par la ville. J’ai su que je voulais y revenir pour y travailler et y faire une partie de ma vie !
Lors de mon Master 2, j’ai directement candidaté aux Summers ; Crédit Suisse m’a fait une offre à Londres. J’ai d’abord travaillé pendant deux ans en Derivatives Strategy (recherche sur produits derivés), en étant rattaché à l’équipe de trading d’options vanilles sur single stock. Puis, l’arrivée d’un nouveau boss au sein de cette équipe a permis la création d’un poste de junior trader sur la dispersion (une des sous-activités du desk), et je me suis vu proposer ce poste du fait de ma proximité avec l’équipe. L’équipe de dispersion a fortement grossi entre 2015 et 2017 et il a finalement été décidé par le management de la scinder en deux avec une équipe à Londres et une nouvelle équipe à New York. J’ai fait savoir au management mon intérêt pour être transféré dans cette équipe à New York et cela s’est finalement fait assez rapidement. J’ai au total passé 4 ans et demi à Londres et je suis maintenant à New York depuis 2 ans et demi.
Le Master 203 est une référence en finance de marché, avec la directrice Gaëlle Le Fol qui le dirige avec succès depuis plusieurs années. Que retiens-tu de cette formation ?
Que du bien ! A la fois des professeurs, des cours, des rencontres, de la préparation, etc. J’ai un très bon souvenir du master.
A l’époque, les Summers étaient relativement peu connus en France, mais le Master 203 nous formait déjà à ces processus de recrutement et était en avance sur les autres écoles et universités. Des rencontres avec des professionnels étaient organisées, ainsi qu’une semaine à Londres pour visiter des banques ; cela était vraiment bien organisé ! Par la suite, il me semble que le master a également mis en place une semaine de découverte à New York ou Hong Kong selon les années.
La plupart des étudiants formés au Master 203 recevaient des offres à Londres et y démarraient leur carrière. Plusieurs amis sont ensuite devenus des collègues, chez Crédit Suisse ou dans d’autres institutions. Un bon ami du master, qui était également mon colocataire, est même parti travailler pour un hedge fund et est devenu mon client ! Le Master 203 permet de développer un excellent réseau.
La légende raconte que tu as été le premier formateur en finance de marché d’AlumnEye. Peux-tu nous raconter comment l’aventure a commencé ?
Oui c’est vrai ! J’étais en cours avec Mike (i.e. le fondateur d’AlumnEye) avec qui j’ai gardé contact lorsque je suis allé à Dauphine et lui à l’Essec. Suite à une année aux Etats-Unis (j’ai effectué une année de master en finance à l’université de Rochester avant de revenir à Dauphine pour le Master 203), j’ai constaté que la préparation aux Summers étaient bien plus approfondie là-bas qu’en France. Les étudiants américains consacrent les 3 premiers mois de l’année à la préparation de leurs candidatures aux Summers internships car c’est la voie royale pour être recruté par une banque.
J’avais suivi le projet de Mike et d’AlumnEye et lors de mon retour en France, il m’a parlé de sa formation en corporate finance, et je maîtrisais suffisamment bien mon sujet pour pouvoir m’occuper de la partie finance de marché. J’ai ensuite fait cela pendant près de 3 ans en formations en école ou privées, séminaires, etc. jusqu’à ce que les voyages Londres/Paris les week-ends deviennent trop compliqués.
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Il paraît même qu’en M2, tu postulais aux Summers et formais pour AlumnEye tes propres « concurrents » d’une grande école de commerce !
J’étais bien préparé aux Summers et ne voyais pas trop les autres candidats comme des menaces. En effet, j’étais sûr de mon projet professionnel et de mon ambition ; cela matchait avec ce que les banques recherchaient. Former mes « concurrents » étaient également une manière de voir ce que je valais. Le projet d’AlumnEye m’intéressait indépendamment de mes propres candidatures et c’est pourquoi j’ai décidé de rejoindre l’équipe.
Pendant le Summer, beaucoup d’interns passaient une grande partie de leur temps à discuter avec un maximum de monde sans vraiment s’intéresser à une équipe en particulier ou travailler sur un véritable projet. Ma stratégie a consisté à me concentrer sur deux équipes en particulier, afin de bien m’intégrer au sein de celles-ci et de pouvoir me concentrer sur des projets intéressants pour eux. Bien sûr, je parlais également aux interns, mais je ne suis jamais rentré dans le jeu de commérage. Cela a payé puisqu’il y a eu peu d’embauches cette année-là, mais j’ai eu une offre !
Aux débuts d’AlumnEye en 2012, peu d’étudiants connaissaient les Summers internships. C’est moins le cas aujourd’hui. As-tu vu toi-même une évolution des profils étudiants intégrant les banques d’investissement ?
A l’époque, très peu de français postulaient aux Summer internships alors qu’aujourd’hui c’est très répandu. Il n’y a plus seulement les anglais qui candidatent ; les français sont très présents et sont les mieux préparés grâce aux formations comme AlumnEye. J’ai vu une grande différence dès 2014/2015 où la moitié des Summers étaient français, ce qui pouvait poser des problèmes de diversité. Aujourd’hui, cela s’est plus ou moins équilibré.
Ce qui fait la différence, c’est davantage la motivation que la préparation en tant que telle. Je n’ai pas fait passer d’entretien pour les Summers mais je voyais des interns qui venaient à mon desk. On voit tout de suite la différence entre quelqu’un qui est vraiment motivé et quelqu’un qui fait semblant. Ce que je recherche chez un intern, c’est qu’il soit curieux et intéressé par mon travail, qu’il vienne me poser des questions et me montre qu’il comprend ce que je lui explique. Les Summers doivent être smarts et motivés. Ils sont tous smarts mais tous ne sont pas réellement motivés et intéressés, et ça se voit rapidement.
Étant Dauphinois, que penses-tu des gens qui disent que seul un ingénieur peut travailler en trading ?
Il y a tellement de sortes de trading que cela veut tout et rien dire à la fois. Cela dépend de quel trading on parle ! Par exemple, le trading de produits vanille demande une certaine compréhension du marché mais pas de compétences mathématiques spécifiques. D’autres produits sont au contraire plus complexes et nécessitent une compréhension plus scientifique. Par exemple, il y avait deux traders dans mon équipe quand j’ai commencé ; l’un ayant fait Polytechnique et l’autre n’ayant pas suivi de formation spécifique et ayant gravi les échelons depuis le back office de la banque. Le premier a fait perdre de l’argent à la banque deux années de suite puis s’est fait remercier, tandis que le second est l’un des meilleurs traders avec qui j’ai pu travailler. Il n’y a pas de règle !
Avoir un background scientifique est un plus pour être recruté mais ce n’est pas un prérequis ! De nos jours, ce qui est vraiment utile est de savoir coder mais c’est très facile de l’apprendre par soi-même. Ce qui peut être intéressant pour un trader plus senior est d’avoir avec lui un junior qui sache coder et puisse l’aider à automatiser certaines tâches. Cela peut être un vrai plus !
Concrètement, que fais-tu en trading ? Comment s’organise ta journée ?
Il n’y a pas de journée type mais je vais donner les grandes lignes. Lorsque j’arrive au travail (avant que les marchés n’ouvrent), je lis mes mails et prends connaissance de l’actualité. Il y a des jours où les marchés sont plus calmes et où on peut se concentrer sur des projets à plus long terme de développement de produits, d’élaboration de nouvelles stratégies à pousser auprès des clients, etc. A l’inverse, lorsque les marchés sont volatiles, on est beaucoup plus dans le feu de l’action. Bien sûr, on passe aussi beaucoup de temps à faire des prix et trader pour les clients, à surveiller nos books pour bien comprendre nos risques. Lorsque les marchés sont fermés le soir, on traite d’avantage l’administratif.
Quelles sont les différences/similarités entre les trading floors de Londres et New York ?
Le trading floor de Londres est très international. Celui de New York l’est également, mais un peu moins car il reste davantage américain. C’est à New York que tout se passe ; le trading floor est donc plus dynamique, tout va plus vite. Ma vision est peut-être propre à ma banque mais c’est l’impression que j’ai. Les différences ne sont finalement pas si grandes car je travaille toujours pour la même équipe (basée entre Londres et New York) ; je suis donc régulièrement en contact avec mes anciens collègues de Londres.
En parallèle de ta vie de trader, tu es passionné de photographie, avec 35 000 followers sur ton compte Instagram @nickmillers. Comment expliques-tu ce succès ?
Je me suis acheté un appareil photo Reflex avec mon premier bonus en 2013 car j’avais déjà un intérêt pour la photographie. Néanmoins, je m’y suis réellement intéressé lorsque je suis arrivé à New York. A Londres, je travaillais beaucoup car je couvrais les marchés anglais et américains. Je travaillais en général de 7 à 21h ; j’avais donc très peu de temps pour les loisirs. Lors de mon arrivée à New York, j’ai uniquement couvert le marché américain. Je me suis donc retrouvé avec pas mal de temps libre et ai commencé une collection de livres de photographies. J’ai également fait des recherches et regardé des tutos, lu des livres, etc. pour apprendre aussi bien le côté technique (manipulation de l’appareil) que la partie plus artistique sur la manière de composer une photographie.
New York est une ville qui m’a toujours fascinée ; je me suis donc lancé. Je peux parfois marcher des heures avec mon appareil photo jusqu’à trouver un endroit à photographier. C’est également une ville qui a l’avantage d’être la plus dynamique au monde en photographie. J’ai ainsi pu assister à de nombreux évènements et rencontrer des photographes qui m’ont beaucoup appris. J’ai ainsi pu créer une communauté de fidèles qui suivent mes photos. Par la suite, j’ai étudié le fonctionnement du réseau social. On dit qu’il faut 2 ans pour atteindre les 10k followers, mais cela ne m’a pris qu’un an ! Au début mes photos ont été repostées par des pages connues de photographies de rues. Suite à cela, j’ai commencé à gagner beaucoup d’abonnés. Egalement, lorsqu’une personne s’abonne à un photographe, j’apparais souvent en suggestion, ce qui aide à construire sa communauté.
Comment définirais-tu ton « style » de photographie ? On voit que tu aimes beaucoup les photos sombres, de nuit ou tôt le matin.
Je fais de la photographie de rue, souvent dans des conditions dramatiques telle que du brouillard, de la pluie, sous la neige etc. Je m’efforce à adopter un style très cinématique aussi bien au niveau de l’atmosphère, que des couleurs et des lumières. Je veux donner l’impression à la personne qui regarde mes photos qu’il s’agit de Gotham City et non pas de New York, ou qu’il en train de regarder un film neo-noir.
Est-ce qu’on te propose de bosser en tant que photographe sur des projets ?
Instagram est devenu une plateforme incontournable pour diffuser tous types de contenus. Même les plus grands photographes l’utilisent maintenant pour communiquer ; c’est devenu la manière d’exposer son travail.
On me propose souvent de faire de la publicité pour des produits, ce que je refuse dans 99,9% des cas car cela ne m’intéresse pas. Je comprends que certains photographes qui vivent de ça acceptent, mais j’ai un salaire confortable qui me permet de faire de la photographie uniquement par passion. La pureté de la photographie et de mon compte Instagram est ce qui attire ; c’est quelque chose que je souhaite conserver. Je ne suis pas non plus intéressé par les shootings photos.
Je ne souhaite pas faire de la photographie mon travail principal, je fais cela pour le plaisir non pas pour l’argent. Par contre, j’aimerais beaucoup publier un livre de photographies ou faire une exposition sur mon travail. Je pense que c’est le rêve de tout photographe.
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Tes collègues de bureau sont au courant de tout cela ? Si oui, ils en pensent quoi ?
Certaines personnes de mon entourage proche sont au courant (telles que mon boss ou quelques collègues). Ils suivent mon travail de manière admirative ! C’est marrant de voir la réaction de certains collègues lorsqu’ils apprennent ma passion pour la photographie car ce n’est pas courant. Beaucoup de collègues excellent à la fois en finance et dans leur passion, le sport le plus souvent. Mais les passions artistiques sont peu répandues.
Quelle qualité développée grâce à la photographie mets-tu aujourd’hui à profit dans ton travail ?
La patience ! Depuis que j’ai commencé à faire de la photographie, je me rends compte que je suis plus calme et posé dans mon travail, ce qui n’était pas toujours le cas auparavant. Pour certaines photos je peux parfois attendre durant une ou plusieurs heures le bon moment. Sur mes photos, il y a en général une composition étudiée et réfléchie. Lorsque le décor est fixé, je m’installe avec mon appareil photo et attends qu’une personne ou un sujet intéressant vienne se glisser dans ma composition. Le sujet idéal porte une trench coat et un chapeau, tel un personnage de film noir.
S’il faut choisir entre NYC et Londres : quelle ville pour faire du trading ? Laquelle pour faire les plus belles photos ?
New York pour les deux, il n’y a pas photo ! On ne peut pas forcément commencer sa carrière à New York en étant français ou Européen de manière générale, car les visas ne sont pas faciles à obtenir. J’aurais bien aimé commencer à New York mais ce n’était pas possible. J’ai donc commencé quelques années à Londres et ai orchestré mon move lorsque cela a été possible. En effet, il y a des visas spéciaux pour ce type de transfert en interne. Pour toute personne qui travaille en finance de marché, New York est quelque chose de plus gros que l’Europe ; c’est une belle expérience. Après c’est une jungle comparée à Paris ou Londres et il faut aimer. C’est également loin de l’Europe.
Je suis allé pour la première fois à New York en 2009 lorsque j’étais étudiant à Dauphine et je me suis pris une claque. J’ai su que c’était ici que je voulais vivre et travailler. Onze ans plus tard j’aime toujours autant cette ville ! Certaines personnes peuvent trouver cela suffoquant alors que je me sens ici comme chez moi. Au bout de quatre années passées à Londres, je me suis dit que j’y avais fait mon temps. J’aimais bien la ville mais je voulais passer à autre chose. J’étais donc content de partir à New York même si j’ai de bons souvenirs à Londres. Je suis à New York depuis deux ans et demi et je m’y sens bien. Je n’ai pas du tout envie de retourner en Europe !
Pour la photographie de rue, New York c’est une autre dimension. C’est la ville la plus impressionnante à photographier, devant Hong Kong et Tokyo.
Je n’exclus pas de rentrer un jour à Paris, mais pas pour tout de suite. Cela serait pour travailler dans un fonds d’investissement par exemple, ou dans quelque chose de différent car il n’y aura pas d’opportunités en banque. C’est comme un sportif qui va faire sa carrière dans les plus grands clubs d’Europe et qui revient au pays avant sa retraite. C’est là d’où tu viens et où tu te sens le mieux, c’est donc normal de vouloir rentrer à un moment ou un autre. J’ai des idées en tête mais n’ai pas de plan arrêté et défini.
Camille Hutt, étudiante à Grenoble Ecole de Management et Responsable Editoriale du blog AlumnEye
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