Le risque financier semble s’être déplacé durant la décennie suivant la crise de 2008, Cette mutation intrinsèque aux marchés financiers a des incidences sur plusieurs variables comme la solvabilité des fonds de pension et les retraites des ménages…
Un premier transfert de risque purement financier…
Avant 2008, les banques supportaient le risque avec des bilans qui pouvaient être constitués d’actifs toxiques ou à fort effet de levier, mais cela a fortement évolué ces dernières années. En effet, les banques centrales ont tout fait pour assainir les établissements bancaires à travers le rachat d’actifs toxiques et risqués (via le Quantitative Easing et le Qualitative Easing). Cependant, le risque n’a pas disparu mais s’est déplacé entre les différentes institutions financières en se logeant notamment dans le cœur d’intermédiaires tels que les fonds de pension. Ces derniers ont souffert des rendements obligataires bas, les obligeant à détenir davantage d’actifs risqués pour pouvoir continuer à croître. Leur stratégie s’est donc tournée vers les anciennes activités risquées des banques, maintenant largement courantes chez les autres intermédiaires financiers (hedge funds,…). On voit donc un premier transfert du risque, des banques aux intermédiaires financiers.
Lire aussi : Une nouvelle crise financière pour demain ?
Dont les effets mènent à un déplacement entre la sphère financière et l’économie réelle
Les banques se sont détournées des activités risquées à fort effet de levier. Problème : le recentrage sur des activités moins risquées, ainsi que la baisse des taux, poussent dès lors les banques à faire du volume. Afin de maintenir un niveau élevé de revenus, elles doivent à présent prêter plus, étant donné qu’elles margent moins. En conséquence, les acteurs de l’économie réelle, tels que les entreprises ou les ménages, ont profité de cette conjoncture pour s’endetter à bas coût. Un endettement qui peut devenir significatif, notamment pour les entreprises qui y voient une source importante de liquidités facile à obtenir. Mais qui les fragilise dans le même temps, si les résultats opérationnels futurs ne sont pas au rendez-vous.
Par ailleurs, le marché du crédit s’est déplacé en Chine où 70% des octrois de crédit pour le secteur privé sont créés. Ainsi, la Chine est devenue le premier prêteur mondial et jette alors un voile d’inquiétude autour d’elle puisque l’économie mondiale ne peut tenir que si la Chine est assez résiliente sur le long terme. Les anticipations sur les marchés occidentaux sont donc plutôt pessimistes et la dynamique de croissance est plombée par ces inquiétudes. De facto, l’Europe est aux portes de la déflation si on s’appuie sur le cours de l’or qui baisse depuis la crise des dettes souveraines alors qu’il suppose une corrélation positive avec l’inflation. De plus, le risque de stagnation séculaire plane au-dessus des pays occidentaux comme une épée de Damoclès avec une croissance molle des salaires, ainsi que des rendements financiers escomptés faibles depuis 2008. C’est là qu’on peut voir se dessiner un déplacement du risque latent à la baisse des rendements et à l’endettement des entreprises.
En effet, du fait de ces deux phénomènes, les firmes doivent revoir leur fonctionnement interne car leurs profits se sont amoindris durant cette décennie, et cela entraîne des restructurations financières de long terme dont la retraite des employés fait partie intégrante. Ceci est logique puisque les revenus financiers escomptés des firmes sont plus bas qu’auparavant (elles perçoivent de faibles gains et encaissent un fort endettement) auxquels on ajoute la morosité des ménages -et donc de la demande globale-, liée aux bulles haussières financières qui viennent nourrir la finance plutôt que l’économie réelle. Ainsi, il semblerait que les entreprises américaines aient placé le fardeau des retraites dans le portefeuille des employés puisque ces derniers sont tenus de gérer et de planifier leur propre retraite –malgré le fait que ce soient les agents économiques les moins résilients à l’incertitude-.
Lire aussi : Les nouvelles politiques monétaires : le Quantitative Easing
De facto, on perçoit un danger majeur pour la résilience de l’économie réelle et la cohésion sociale
Bien que ce système en vogue contribue à l’amoindrissement du risque de faillite du côté des entreprises, il encourage la prise de risque pour les ménages qui sont moins résilients à ces dangers que les établissements financiers.
En effet, le système de retraites qui prédominait auparavant était le defined benefit pension plan i.e un système où les retraites individuelles des salariés étaient prédéterminées par une formule prenant en compte l’âge du salarié, ses revenus historiques, le temps passé en tant que salarié…Ce système est d’ores et déjà défini et le salarié connaît à l’avance le montant de sa pension, a contrario de l’autre système qui s’impose depuis 2008, le defined contribution plan : les retraites se font à travers des annuités versées en amont par l’employé et donc sont in fine un retour sur investissement. On pressent que ce système est plus risqué pour les ménages puisqu’à horizon long, l’individu ne connaît pas le montant de sa retraite future et n’a aucune garantie dessus. De plus, il s’agit d’investissements et donc on confère à ce système une prise de risque qui n’est pas existante dans un defined benefit plan. En 2006, ce dernier représentait plus de 80% des systèmes de retraite aux Etats-Unis, contre 55% en 2016, ce qui légitime le risque social de retraite insuffisante pour une large part des ménages américains. En effet, un tiers des Américains ne peuvent pas placer d’argent du fait de revenus insuffisants et 35% des ménages qui le peuvent, n’ont pas la capacité d’épargner au final plus de 100 000 dollars. Or, les économistes montrent qu’il faut en moyenne épargner 70% de son revenu pré-retraite pour pouvoir vivre confortablement durant la retraite, niveau de pourcentage que trop peu de ménages arrivent à atteindre.
Dès lors, la cohésion sociale est mise à mal puisqu’avec un tel système, les inégalités s’accroissent et cela est d’autant plus voyant que les marchés financiers s’épanouissent dans le même temps. La croissance américaine est permise en grande partie par la sphère financière qui, bien qu’instable du fait d’une forte volatilité actuelle, permet de forts revenus, ce qui creuse l’écart entre les ménages aisés et ceux qui ont du mal à épargner.
Finalement, on observe un double déplacement du risque financier avec une première transition des banques vers les intermédiaires financiers, puis une seconde, de ces derniers vers les ménages. Ceci exacerbe les potentialités d’une crise systémique à laquelle on pourrait ajouter une crise sociale du fait des nouvelles conditions des ménages en termes de retraites futures.
Ulysse M’Bouti, étudiant à l’EDHEC Business School et contributeur du blog AlumnEye
Articles associés
14 avril, 2016
Zoom sur Georges Doriot : Père du capital risque
14 octobre, 2015