La fin de l’année 2023 a été marquée par une nouvelle tentative de concentration majeure dans l’industrie hôtelière, dans un contexte d’incertitude quant à la reprise du marché des M&A à travers le monde. Choice Hotels  (propriétaire des enseignes RadissonBlu, Comfort Inn, Quality Inn, Sleep Inn et Econolodgea) a lancé une offre hostile sur son concurrent mondial, Wyndham Hotels & Resorts. Après six mois de négociations infructueuses, la décision radicale de Choice Hotels de passer à l’offensive souligne l’âpreté des luttes pour la suprématie dans un secteur déjà concurrentiel. Une fusion entre les deux groupes pourrait donner naissance à un groupe rival à Mariott, premier hôtelier mondial avec plus de 1,5 millions de chambres. Cette tentative de concentration hostile, composée à 45 % de titres et à 55 % de cash, d’une valeur de 7,6 milliards de dollars, dévoile ainsi les coulisses de l’art de la guerre financière dans l’univers des transactions en fusions-acquisitions.

Prendre le contrôle d’une société cotée : OPA, OPE et OPA hostiles

Une offre publique d’achat (OPA) est une opération par laquelle une entité, appelée « l’offrant », propose publiquement, par le biais de divers canaux tels que la presse ou tout autre média, d’acquérir les actions d’une société cotée en bourse, appelée « la cible », au moyen d’une transaction en numéraire. L’offre est présentée à un prix déterminé, généralement supérieur au cours de l’action de la société cible, dans le but d’inciter les actionnaires à vendre leurs actions, ce qui permet à l’offrant de prendre le contrôle de la société cible. Il est essentiel de faire la distinction entre une offre publique d’achat et une offre publique d’échange (OPE), cette dernière se distinguant par le fait que l’offrant offre une compensation sous forme d’actions ou d’obligations plutôt qu’en numéraire.

Une OPA est dite hostile lorsque cette tentative d’acquisition de la majorité des actions d’une société cotée en bourse est réalisée sans le consentement ou la concertation du Conseil d’Administration de la société cible. Si le Conseil d’Administration rejette l’offre d’un acheteur potentiel, celui-ci a trois possibilités d’action : faire une OPA hostile, lancer une course aux procurations ou acheter des actions de la société sur le marché libre. Dans ce sens, une OPA hostile a lieu lorsqu’une société, appelée « soumissionnaire » ou « Raider », cherche à acquérir une autre société, la cible, contre la volonté de cette dernière. Contrairement aux fusions et acquisitions amicales, où les deux parties acceptent l’opération, les OPA hostiles impliquent une résistance et souvent une opposition farouche de la part de la direction et du Conseil d’Administration de la société cible.

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Les motivations des Raiders et les risques encourus

La principale raison d’être des fusions et acquisitions est de générer de la valeur pour les actionnaires. Cet objectif peut être atteint en acquérant une entreprise sous-évaluée ou en créant des synergies dont la valeur est supérieure au prix de rachat. Ces synergies peuvent prendre la forme de synergies de revenus ou de coûts. En outre, les entreprises peuvent procéder à des OPA pour accéder à de nouvelles technologies en acquérant des start-ups innovantes qui disposent d’une technologie de pointe et de techniques uniques, ou pour recruter des employés hautement qualifiés qui peuvent constituer le capital ciblé de l’entreprise rachetée. D’autres acteurs utilisent les rachats pour éliminer la concurrence. Par exemple, les géants de la technologie peuvent acquérir de nouvelles start-ups prometteuses dans le seul but de les éliminer du marché pour se débarrasser de toute menace potentielle.

Cependant, une OPA hostile n’est pas une opération de M&A fortuite ou habituelle puisque, dans ce cas, le Raider risque bien plus que si l’opération devait se dérouler dans des conditions amicales et optimales. D’une part, si l’opération devait échouer, toutes les ressources mobilisées pour la mettre en place sont perdues. D’autre part, si l’opération venait à réussir, il y aurait de fortes chances que l’acquéreur ait surpayé les actionnaires de la cible pour les soudoyer et accéder au contrôle de celle-ci.

À titre d’exemple, Royal Bank of Scotland (RBS), aux côtés de Fortis et Banco Santander, a mené une OPA hostile sur ABN Amro. Les acquéreurs ont offert une prime considérable à savoir 33 % par rapport au cours d’action d’ABN Amro, mais la crise financière de 2008 a eu un impact sévère sur la valeur des actifs d’ABN Amro, entraînant des pertes importantes pour les acquéreurs, en particulier pour RBS. En conséquence, RBS a été fortement affectée, enregistrant l’une des plus grandes pertes annuelles de l’histoire des entreprises britanniques en 2008, à hauteur de 24 milliards de livres sterling. En raison de ses pertes massives et de sa situation financière précaire, RBS a été partiellement nationalisée par le gouvernement britannique. Celui-ci a pris une participation majoritaire dans la banque pour la stabiliser et éviter son effondrement total.

En plus des risques mentionnés précédemment, il existe un autre risque important porté à la fois par le Raider et par la banque-conseil en Buy-Side qui l’accompagne : le risque réputationnel. En effet, ce risque non-quantifiable est si important que plusieurs banquiers d’affaires refusent d’accompagner un client sur un mandat d’achat hostile. À contrario, les banques se félicitent d’accompagner leurs clients sur des stratégies de défense face aux OPA hostiles comme en témoigne la défense menée par J.P. Morgan face à Vivendi dans le cadre de l’OPA hostile menée sur Ubisoft. Force est de constater que les OPA hostiles sont un phénomène plutôt rare en M&A. Les banquiers privilégient généralement l’accompagnement à long terme de leurs clients dans leurs stratégies de croissance externe plutôt que de se livrer à des opérations opportunistes risquées.

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Pourquoi résister à une OPA (hostile) ?

Si le processus des OPA hostiles est à la fois coûteux, risqué et dangereux aussi bien pour les entreprises victimes d’OPA que pour les Raiders qui mènent l’offensive, il est judicieux de comprendre les raisons qui motivent les conseils d’administration des premiers à résister et à ne pas céder face aux Raiders. Nous pouvons nous limiter à deux raisons principales.

La première raison est que l’offre d’achat est souvent jugée trop basse et faible par rapport aux attentes des vendeurs. À cet égard, nous pouvons rappeler l’exemple emblématique de l’offre d’acquisition non sollicitée de Yahoo par Microsoft, pour un montant colossal de 44,6 milliards de dollars, représentant une prime de 62 % par rapport au dernier cours de Yahoo! au moment de l’offre en février 2008. La concurrence féroce avec Google a incité Microsoft à chercher des moyens de renforcer sa présence et sa part de marché. Yahoo! a initialement résisté à l’offre de Microsoft, arguant que le prix proposé sous-évaluait considérablement la valeur de l’entreprise. Face à la résistance de Yahoo!, Microsoft a entamé des négociations pour parvenir à un accord. Cependant, les discussions n’ont pas abouti à un consensus sur le prix et les conditions de l’opération après plusieurs mois de négociations infructueuses. Microsoft a finalement abandonné ses efforts pour acquérir Yahoo! en mai 2008.

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La deuxième raison, souvent évoquée, découle du conflit d’intérêts entre le management représenté par le Conseil d’Administration et les actionnaires qui possèdent des parts dans l’entreprise ciblée. La théorie du « Principal-Agent » (théorie de l’agence en anglais) permet d’expliquer la résistance de la direction face aux offres publiques d’achat hostiles. Cette théorie examine la relation entre les actionnaires (mandants) et la direction (mandataires), en identifiant les conflits d’intérêts potentiels lorsque les mandataires prennent des décisions pour le compte des mandants. Dans le cas des offres publiques d’achat hostiles, ces conflits peuvent se manifester de plusieurs manières. Dans l’affaire Broadcom-Qualcomm datant de 2018, Broadcom, le Raider, visait à maximiser la plus-value actionnariale par le biais de l’acquisition. La direction de Qualcomm, quant à elle, a exprimé des préoccupations allant au-delà de la seule considération de la valeur actionnariale, citant notamment de potentiels problèmes antitrust, des implications pour la sécurité nationale et la sous-évaluation de l’activité de Qualcomm. Au contraire, les actionnaires souhaitaient que Qualcomm soit une cible d’OPA, car le succès de celle-ci leur permettait de bénéficier d’un joli premium par rapport à la valeur de l’action sur le marché. Cette situation reflétait une divergence d’intérêts entre Broadcom et la direction de Qualcomm.

Comment se déroule une OPA hostile ?

La plus commune des OPA hostiles est nommée Bear Hug. Comme son nom l’indique, le Bear Hug insinue que le Raider est un ours géant qui tente d’étreindre sa cible. En jargon financier, l’étreinte de l’ours consiste à faire une offre si attrayante et si effrayante que la cible ne peut que se soumettre à son sort et l’accepter, car toute tentative de résistance sera vaine. Dans la plupart des cas, l’intérêt de l’offre ne se limite pas seulement au ticket du rachat, mais inclut également des promesses alléchantes comme le maintien de certains employés clés et de certains administrateurs du conseil ou encore la préservation de la culture de l’entreprise. Le Raider envoie une lettre au Conseil d’Administration et/ou à l’équipe de direction de la société cible ou annonce publiquement l’offre comprenant l’ensemble des avantages, surtout si la société cible n’est pas réceptive à l’offre. C’est ce que l’on appelle une « lettre d’accolade » (Bear Hug Letter). Pour illustrer ce cas, nous pouvons rappeler la lettre envoyée en novembre 2019 par le premier fabricant d’imprimantes Xerox à HP, une entreprise de taille plus grande que le Raider indiquant une OPA non sollicitée de 33 milliards de dollars.

La deuxième forme de rapprochement hostile est la Tender offer. Il est à noter qu’une Tender Offer peut être hostile ou amicale. Elle est qualifiée d’hostile lorsqu’elle n’est ni sollicitée par le Conseil d’Administration de la cible ni bien accueillie par celui-ci. Une tender offer est un appel d’offres pour un projet ou l’acceptation d’une offre formelle telle qu’une offre publique d’achat. L’investisseur propose généralement un prix par action plus élevé que le cours de l’action de la société, ce qui incite davantage les actionnaires à vendre leurs actions. La plupart des offres publiques d’achat sont faites à un prix déterminé qui représente une prime importante par rapport au cours actuel de l’action.

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Le troisième cas de rapprochement hostile prend la forme d’un Proxy Fight. Il s’agit d’une course aux procurations où un groupe d’actionnaires mène une manœuvre consistant à unir leurs forces et à tenter de réunir suffisamment de votes par procuration pour imposer le changement de contrôle d’une société. Concrètement, l’entreprise Raider établit une liste d’actionnaires les plus favorables à l’opération. Elle envoie ensuite des circulaires confidentielles de sollicitation de procurations pour les inciter à voter en faveur de ses candidats favoris au rapprochement au sein du Conseil d’Administration et à exclure les dirigeants les plus réticents à l’opération. Le défi est donc d’être capable d’avoir dans son camp le plus grand nombre d’administrateurs favorables au rapprochement et de se débarrasser au plus vite de ceux qui pourraient poser des obstacles en cours de route. Il est à noter que les autorités de la concurrence peuvent condamner dans certains cas de telles pratiques et empêcher de fait la réalisation de la transaction : l’enjeu de la confidentialité est alors de taille.

Il est important de souligner qu’en théorie nous distinguons trois formes d’OPA hostiles alors qu’en pratique, il est souvent question d’essayer une combinaison entre une Tender Offer et l’une des deux autres formes mentionnées antérieurement.

 

Quelles sont les stratégies de résistance les plus efficaces ?

Si une OPA hostile est déclenchée, plusieurs stratégies de résistance sont souvent déployées pour empêcher les conquérants de s’approprier l’entreprise cible en toute impunité.

  • Le rachat d’actions : face à une OPA hostile, une entreprise ciblée peut se défendre en lançant une OPRA, une offre publique de rachat d’actions. Ce processus implique l’achat et l’annulation de ses propres actions, permettant d’augmenter le bénéfice par action (BPA) et de contrer une dilution excessive. Soumise à l’approbation de l’Assemblée Générale selon l’article L225-207 du Code de commerce, cette stratégie est réglementée par l’AMF en France. Un exemple concret s’est déroulé en 2016 lorsqu’Hershey’s a lancé un programme de rachat d’actions de 4 milliards de dollars pour contrer l’OPA hostile de Mondelez International. En consolidant sa position et offrant une prime aux actionnaires, cette tactique a rendu l’offre de Mondelez moins attrayante sur le plan financier, aboutissant à l’échec de l’OPA

 

  • Poison Pills : parmi les stratégies de défense fréquemment employées, les ‘pilules empoisonnées’, également appelées ‘Bons de Souscription d’Action’, permettent aux actionnaires existants d’acquérir des actions supplémentaires à un prix avantageux en cas d’offre non sollicitée. Activées seulement après l’opération, ces mesures peuvent dissuader l’acheteur en limitant ses avantages et en créant une valeur dilutive. Un exemple notable est l’utilisation par Netflix d’une ‘pilule empoisonnée’ en 2012 pour contrer une OPA hostile de l’ancien dirigeant de Blockbuster, Carl Icahn. Cette mesure visait à diluer la participation de toute personne acquérant plus de 10 % des actions, incitant ainsi les autres actionnaires à acheter deux actions pour le prix d’une. »

 

  • Sale of Crown Jewels : Une tactique exceptionnelle mais peu courante dans la défense contre les OPA consiste à vendre des actifs précieux et stratégiques de la cible, tels que des brevets ou des immobilisations corporelles, pour décourager les prédateurs. Cependant, cette approche radicale doit respecter les limites de l’objet social de l’entreprise, selon l’Article L225-56 du Code de Commerce. Les instances managériales sont tenues d’agir dans cette limite, sous peine d’engager leur responsabilité civile, comme le dispose l’Article L223-22. Cette stratégie est pertinente uniquement si les actifs ciblés ne sont pas vitaux pour la survie de l’entreprise et peuvent être cédés sans enfreindre l’objet social

 

  • Stratégie du White Knight : La stratégie du chevalier blanc, employée contre une OPA hostile, consiste pour une entreprise cible à rechercher un acquéreur favorable avant d’être rachetée par un soumissionnaire inamical. Préférée à une acquisition hostile, cette approche permet de maintenir la direction en place et d’offrir une meilleure compensation aux investisseurs. Un exemple récent est celui de Worldline, qui, après une chute de plus de 60 % au dernier trimestre 2023, a cherché un chevalier blanc pour éviter une OPA hostile. Cette recherche inclut une stratégie d’écuyer blanc ‘White Squire’, privilégiant une participation minoritaire pour fidéliser l’actionnariat et contrer les manœuvres du Raider.

 

En définitive, le monde des OPA hostiles se présente comme un champ de bataille complexe où s’affrontent les stratégies financières, les manœuvres tactiques et les mécanismes de défense des entreprises. La tentative d’acquisition de Wyndham Hotels & Resorts par Choice Hotels en 2023 en est un exemple frappant, qui met en lumière les subtilités de la guerre financière dans le domaine des fusions et acquisitions.

Les OPA hostiles sont souvent motivées par la création de valeur pour les actionnaires, l’accès aux nouvelles technologies ou l’élimination de la concurrence. Cependant, les risques associés à de telles entreprises sont considérables, allant d’un goodwill potentiellement trop élevé pour les entreprises cible à une grave atteinte à la réputation de l’acquéreur si jamais il échoue à traduire ses manœuvres en succès.

Zakaria Bennis, étudiant à l’EM Lyon et contributeur du blog