Depuis son adhésion à l’OMC en 2001, la Chine a su démontrer qu’elle était une puissance commerciale largement intégrée aux échanges de marchandises internationaux. A l’inverse, l’accès à ses marchés financiers demeure relativement limité pour les investisseurs étrangers. Toutefois, une série d’annonces récentes de la part du gouvernement chinois laisse espérer une ouverture significative de ces marchés courant 2020. Quelles en seraient les modalités ? Quel potentiel pour les investisseurs ? Quels enjeux pour la Chine, dans le contexte d’une guerre commerciale avec les Etats-Unis ?
Une demande de réciprocité de la part des acteurs financiers étrangers
Tout d’abord, pour ce qui touche aux marchés financiers chinois, il convient de différencier le marché « offshore », de petite taille et ouvert aux capitaux étrangers notamment via la place financière de Hong Kong, et le marché « onshore », le marché domestique, de bien plus grande taille et encore largement fermé aux investisseurs étrangers. C’est donc de ce dernier qu’il est avant tout question quand il s’agit d’évoquer une ouverture du marché chinois.
Jusqu’à récemment, les barrières légales à l’établissement de participations étrangères en Chine constituaient un facteur de dissuasion pour les groupes financiers étrangers, notamment les banques. Ainsi, la décennie 2010 a été marquée par le retrait plus ou moins complet de Chine de la quasi-totalité des grandes banques, à l’image de Citigroup, Bank of America, UBS ou encore Goldman Sachs. Seule HSBC a maintenu une assise significative dans l’empire du Milieu, avec une participation de 19% dans BoCom (Bank of Communications), la 5e banque chinoise. En conséquence, la part de marché des banques étrangères en Chine s’élevait à seulement 1,5% en 2016, laissant aux établissements chinois le quasi-monopole du marché onshore.
Dans le même temps, ces derniers entreprennent des plans massifs de prises de participations dans des établissements étrangers, à l’instar de ICBC (Industrial and Commercial Bank of China), la première banque chinoise ainsi que du monde en termes d’actifs. Le Luxembourg, par exemple, constitue une terre de prédilection pour les sociétés financières chinoises souhaitant s’implanter en Europe, avec près de 500 employés répartis entre 7 établissements, faisant du grand-duché la première destination européenne. La prise de contrôle de la Banque d’investissement à Luxembourg (BIL) par le chinois Legend Holding Corporation en septembre 2017 pour un montant de près d’1,5 milliard d’euros en est l’illustration.
Aussi, l’ouverture du marché chinois des capitaux est souhaitée de longue date par les acteurs financiers occidentaux au nom du principe de réciprocité. Or, les structures financières héritées du modèle communiste d’économie administrée en République populaire de Chine ont longtemps impliqué une fermeture quasi totale du marché chinois onshore qui interdisait cette réciprocité. Ce marché a bien fini par se diriger – graduellement et timidement – vers davantage d’ouverture depuis le tournant du XXIe siècle, mais son accès reste très limité en raison des difficultés à rapatrier les actifs investis, de l’accès restreint au yuan ou encore d’une réglementation fiscale dissuasive.
C’est pourquoi l’annonce du vice-ministre des Finances Zhu Guangyao début novembre 2017, lors du dernier jour de la visite d’Etat de Donald Trump en Chine, s’assimile à une petite révolution dans le secteur financier : Pékin s’engage à assouplir prochainement les réglementations en vigueur afin de permette à des sociétés étrangères de prendre le contrôle de sociétés financières chinoises (banques, sociétés d’assurance et de gestion d’actifs). Ces réglementations empêchaient jusqu’à lors les investisseurs étrangers de détenir plus de 20% d’une banque chinoise, 49% dans le cas des fonds d’investissement. Ils étaient donc contraints de s’associer à un partenaire local, dans le cadre d’une coentreprise (joint-venture). Les annonces de 2017 ouvrent la porte à des participations majoritaires possibles jusqu’à 51%, avec l’objectif de supprimer ce plafond à horizon 2021.
En juillet 2019, alors que la guerre commerciale entamée avec les Etats-Unis début 2018 fait rage, les autorités chinoises précisent le calendrier de cet assouplissement réglementaire, désormais prévu pour l’année 2020 – soit un an avant la date prévue initialement. Cette annonce intervient moins d’une semaine après la publication par le Bureau national des statistiques (BNS) des chiffres de la croissance pour le 2e trimestre 2019 (6,2%), qui signent sa plus faible performance depuis 1992 – première année de publication des chiffres de la croissance trimestrielle en Chine. Les annonces de Pékin soulignent un besoin d’oxygène pour l’économie chinoise, sévèrement affectée par l’augmentation des droits de douane sur une partie significative de ses exportations vers les Etats-Unis.
Le marché obligataire : premier aperçu d’une ouverture aux capitaux étrangers
Depuis quelques années, le marché obligataire chinois constitue un exemple précoce et édifiant de ce processus d’ouverture du marché aux investisseurs étrangers.
Le marché obligataire interbancaire chinois (CIBM, sur lequel s’échangent des titres de dette à court terme) est le 3e mondial, derrière les Etats-Unis et le Japon. Les investissements étrangers de ce marché obligataire chinois – qui pèse au total environ $13 000 milliards – ont été multipliés par 3 depuis 2016, pour atteindre aujourd’hui plus de $300 milliards, et devraient s’élever à $450 milliards d’ici 2021, d’après Standard & Poor’s.
On peut y voir l’effet de deux principaux dispositifs introduits en 2011 puis 2017 par la PBC (People’s Bank of China, la banque centrale chinoise) visant à ouvrir les marchés obligataires – notamment le marché obligataire interbancaire – qui faisaient auparavant l’objet d’importantes barrières à l’entrée. Autre facteur accélérant : l’inclusion de la dette d’Etat chinoise dans plusieurs indices d’ampleur mondiale, à commencer par l’incontournable Bloomberg Barclays Global Aggregate Index dès avril 2019, quand d’autres, tels que le FTSE Russell’s World Governement Index, le JPMorgan Government Bond Index-Emerging Markets (GBI-EM) ou encore le Citi World Government Bond Index pourraient l’imiter prochainement.
L’appétence des investisseurs étrangers pour l’obligataire chinois trouve sa source dans les taux particulièrement attractifs de 3,3% pour les obligations à 10 ans de l’Etat, considérées d’autant plus rentables dans le contexte actuel de taux faibles voire négatifs dans la plupart des pays occidentaux. A titre de comparaison, d’après Bloomberg, le taux d’intérêt sur l’emprunt d’Etat à 10 ans s’élève à 1,7% aux Etats-Unis (Treasury Bonds), 0,7% au Royaume-Uni, -0,19% au Japon et -0,39% en Allemagne. On comprend alors l’intérêt que suscite la dette d’Etat chinoise pour les investisseurs occidentaux désespérément en quête de rendement.
Cependant, les progrès de l’ouverture du marché obligataire ne doivent pas faire oublier qu’il s’agit en l’occurrence de titres de créance et non de propriété (actions), sujet sur lequel les autorités chinoises se montrent plus frileuses.
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Un grand potentiel pour le marché boursier
La Chine abrite le 2e marché actions de la planète, mais celui-ci, onshore, reste encore largement fermé aux investisseurs étrangers.
Depuis l’ouverture des Bourses de Shanghai et de Shenzen en 1990, le marché chinois des actions s’est timidement ouvert aux investisseurs étrangers. Cette tendance s’est accélérée avec le lancement du programme « Stock Connect » en 2014, qui relie ces deux places financières à celle de Hong Kong afin de faciliter les échanges de titres entre ces trois marchés. Les actions chinoises incluses dans les indices d’actions mondiaux de référence MSCI n’étaient jusqu’à récemment que des actions de type H, c’est-à-dire cotées à Hong Kong ou à New York respectivement en monnaie locale – à l’image des géants de l’internet Alibaba et Tencent, cotés au Nasdaq, donc sur des marchés offshore.
Le mois de juin 2018 constitue à cet égard un tournant, dans la mesure où il voit apparaître pour la première dans les indices MSCI plus de 220 actions chinoises de type A cotées sur le marché onshore, libellées en yuans – l’unité de compte de la monnaie chinoise (le remninbi). Même si ce premier pas est significatif, il ne concerne pour l’instant que 5% des actions du marché onshore.
Dans la perspective d’une ouverture durable du marché des actions chinoises, les investisseurs étrangers peuvent y trouver trois principaux avantages. D’abord, il est extrêmement diversifié – avec une quinzaine de secteurs clés – contrairement aux marchés boursiers de la plupart des pays émergents, ce qui permet une bonne répartition du risque. Ensuite, étant encore majoritairement dominé par les investisseurs nationaux, il est largement décorrélé des autres marchés boursiers mondiaux, c’est-à-dire qu’il est moins fortement affecté par les fluctuations internationales. Enfin, sa valorisation est relativement faible, avec un PER (price-earning ratio, « cours sur bénéfices » en français) moyen de 13,6 pour le CSI 300 – le principal indice boursier de Chine continentale, coté à Shanghai et Shenzen – contre 22,8 pour le S&P 500 américain.
Un marché convoité par les géants de l’asset management
Avec ses 1,4 milliards d’habitants et une classe moyenne en plein essor dont le patrimoine total devrait croître de $3 000 milliards d’ici 2023 selon le Boston Consulting Group, les gestionnaires d’actifs voient eux aussi en la Chine un marché onshore stratégique.
D’après une information publiée il y a un mois par le très informé Wall Street Journal, l’américain BlackRock serait déjà en négociation avec le géant de l’internet Tencent pour asseoir son assise en Chine dans le cadre d’une ouverture du marché des capitaux. En effet, le premier gestionnaire d’actifs au monde, avec 6 800 milliards de dollars d’actifs sous gestion, cherche depuis longtemps à s’implanter durablement en Chine. La société gère déjà quelques fonds locaux pour le compte de clients chinois fortunés et d’investisseurs institutionnels et possède plusieurs fonds étrangers qui détiennent des actions et obligations chinoises. Pour autant, au même titre que la plupart des asset manager étrangers, elle n’est toujours pas autorisée à proposer ses produits phares tels que les ETF en Chine. Les ETF (Exchange-Traded Funds, « Fonds négociés en bourses » en français), qui constituent près d’un tiers des actifs de BlackRock, sont des fonds indiciels, c’est-à-dire qu’ils permettent d’investir sur l’ensemble des actions composant un indice boursier. Cet instrument financier se veut accessible à tous les investisseurs – car pratique à utiliser – et est censé leur apporter davantage de sécurité que les actions par la diversification du risque qu’il implique. BlackRock espère tirer parti de l’ouverture du marché chinois des capitaux annoncé pour l’année prochaine en y déployant ses ETF auprès des investisseurs. Dans le cadre d’un éventuel partenariat avec Tencent, le géant technologique chinois fournirait la plateforme de diffusion des instruments et portefeuilles élaborés par l’asset manager américain.
BlackRock n’est pas le seul à convoiter le marché chinois. Il y a quelques mois, son concurrent Vanguard a annoncé la création d’une joint-venture avec Ant Financial Services Group, une filiale du géant Alibaba, avec le même objectif : distribuer les produits proposés par Vanguard aux résidents chinois. Le lancement de cette initiative est toujours suspendu à l’approbation du régulateur chinois.
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Les enjeux d’une ouverture pour la Chine
Au tournant des années 2010, la Chine a amorcé une mutation de son modèle de développement. En effet, après près de trois décennies – en particulier la décennie 2000 – axées sur l’industrie exportatrice et les investissements directs à l’étranger, l’empire du Milieu met désormais davantage l’accent sur le développement des services et l’émergence d’une classe moyenne, souhaitant ainsi privilégier un mode de croissance qualitatif à un modèle quantitatif. Ce dernier a produit différents problèmes structurels – impact environnemental, surcapacités de production, endettement important, déséquilibres sur le marché de l’immobilier, etc. – qu’il convient désormais de régler, tout en poursuivant les politiques de R&D visant à asseoir le leadership technologique du pays tout en renforçant sa puissance géopolitique en Asie, Afrique et Europe au travers de l’initiative « One belt, one road » (OBOR).
Ce nouveau paradigme de croissance constitue à l’évidence un potentiel de rendement important pour les investisseurs étrangers, et la Chine compte en tirer parti pour servir plusieurs objectifs : monétaire, financier et économique.
En premier lieu, l’ouverture des marchés financiers constitue un moyen d’imposer le renminbi comme monnaie internationale. Intégré dans le panier des réserves de monnaie du FMI à l’automne 2016, il ne représente que 2% des réserves de change mondiales à l’été 2019, contre 4,5% pour la livre sterling, 5,5% pour le yen, 20% pour l’euro et 62% pour le dollar américain. Pourtant, la confiance des investisseurs dans la monnaie chinoise est largement tributaire de sa capacité à se maintenir à un niveau satisfaisant. Aussi, le dépassement du seuil symbolique – jamais percé depuis 2008 – de 7 yuans pour un dollar début août 2019, a constitué pour les investisseurs un signal d’alerte qui souligne les incertitudes entourant encore les marchés financiers chinois.
Ensuite, la volonté de la Chine d’ouvrir son marché onshore s’explique par un besoin de liquidité, qui lui fait de plus en plus défaut. En particulier, dans le cas du marché interbancaire, la liquidité est entravée par les pratiques actuelles de détention des titres de créances par les banques. En effet, les banques commerciales chinoises ont pour habitude de conserver ces titres jusqu’à leur échéance, d’où de faibles volumes de trading, sources d’une faible liquidité qui peut s’avérer risqué en cas de credit crunch – un resserrement du crédit de la part des banques. Ce besoin de liquidité se conjugue au problème de l’endettement massif des entreprises d’Etat et des autorités locales.
Enfin, l’ouverture aux capitaux étrangers est aussi pour la Chine un moyen de diversifier les sources de financement de son économie. En effet, les investisseurs sur les bourses chinoises sont encore à 85% des particuliers. Il existe par ailleurs une demande de la part des épargnants chinois en faveur de nouveaux investissements, exposés aux marchés financiers mondiaux.
En somme, l’ouverture financière chinoise correspond moins à une faveur faite aux investisseurs étrangers qu’à un besoin structurel interne, même si les conséquences néfastes de la guerre commerciale sur l’économie chinoise semblent devoir accélérer les choses. Cette ouverture est inéluctable et la lenteur du processus ne tient qu’à la rigidité et à la complexité du cadre réglementaire en vigueur, censé rester conforme aux objectifs politiques définis par le Parti communiste, qui fêtait il y a un mois le 70e anniversaire de son arrivée au pouvoir. Quoi qu’il en soit, si la décennie 2000 a été celle de l’expansion de la puissance économique et commerciale chinoise, la décennie 2020 sera indubitablement marquée par l’explosion de sa puissance financière, dans le sillage de l’ouverture de ses marchés onshore.
Nathanaël Zobel-Pantalacci, étudiant à Grenoble Ecole de Management et contributeur du blog AlumnEye
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