Si les fusions-acquisitions peuvent être un moyen efficace pour les entreprises d’avoir une croissance externe, d’acquérir de nouvelles compétences et technologies, d’accéder à de nouveaux marchés ou encore de réduire la concurrence sur son segment, nombreuses sont celles qui échouent et dans plus de la moitié des cas, l’opération est un échec. Selon une étude de McKinsey, près de 60% des transactions de M&A sont des échecs stratégiques, laissant les entreprises impliquées avec des pertes financières importantes et des impacts négatifs sur leur réputation. Voici les différentes raisons pour lesquelles certains deals échouent ainsi que des exemples de transactions infructueuses.

Une due diligence insuffisante

Une due diligence minutieuse lors de la phase d’un process M&A est essentielle pour déterminer les risques et opportunités stratégiques, financiers, légaux ou opérationnels. Elle est d’autant plus utile lors d’un mandat buy-side où l’acheteur a tout intérêt à avoir une valorisation d’entreprise la plus précise possible. La “target” se doit donc de transmettre un maximum d’informations souvent confidentielles et faire également appel à des conseils produisant des rapports de Vendor Due Diligence, l’objectif principal étant de crédibiliser la cible. Si cette étape est négligée, elle peut entraîner des problèmes potentiels post-intégration qui n’ont pas été identifiés avant le closing du deal. Par exemple, en 2011, Hewlett-Packard acquiert Autonomy – une entreprise de logiciels – pour 11,7 milliards de dollars. Cependant, le mandat buy-side n’ayant pas effectué une due diligence adéquate va conduire à une surévaluation des actifs d’Autonomy. Hewlett-Packard déclare finalement que les pratiques comptables d’Autonomy avaient été frauduleuses et enregistre des provisions de 8,8 milliards d’euros en 2012. Cette acquisition ratée eut un impact significatif sur les résultats financiers et la réputation d’Hewlett-Packard, et conduira à une enquête des autorités réglementaires.

LA4Lire aussi : Entretien en M&A : les questions techniques fréquentes

Des objectifs opérationnels incompatibles

Un exemple concret de cette situation est la fusion entre AOL et Time Warner pour près de 165 milliards de dollars en 2000, connu comme étant le plus gros deal historique de l’époque mais aussi un des plus grands échecs de l’histoire des M&A. Considérée comme une fusion inattendue à l’époque, AOL était le leader mondial des fournisseurs de services Internet, tandis que Time Warner était un géant des médias. L’objectif de la fusion était de combiner les activités des deux entreprises pour créer un conglomérat de médias et de technologies de pointe. Cependant, les objectifs des deux entreprises étaient incompatibles. AOL cherchait à devenir une entreprise de médias traditionnels dans un contexte de bulle internet, tandis que Time Warner se développait très fortement dans le monde numérique selon l’analyse du think tank de Rebellion Research. Cette incompatibilité a finalement conduit à l’échec de la fusion, entraînant une perte de 99 milliards de dollars un an après l’opération et une chute du prix de l’action de 90%. Ce deal est aujourd’hui considéré comme un des pires de l’histoire, l’actionnaire majoritaire de la nouvelle entité AOL Time Warner déclare même dans le New-York Times : “La fusion Time Warner-AOL devrait rentrer dans l’histoire comme la guerre du Vietnam et les guerres d’Irak et d’Afghanistan. C’est l’un des plus grands désastres qu’ait connu notre pays.

L’incompatibilité des cultures d’entreprise

Selon une étude de McKinsey, les entreprises ayant réussi leurs transactions M&A ont consacré près de la moitié de leur temps à la gestion de la culture d’entreprise et 25% des opérations ratées placent l’incompatibilité culturelle comme facteur principal de l’échec. La fusion entre Daimler-Benz et Chrysler pour 36 milliards de dollars en 1998 en est un bon exemple. Le deal avait pour objectif de créer un géant mondial de l’automobile. Cependant, les cultures des deux entreprises étaient très différentes : Daimler-Benz était une entreprise traditionnelle et hiérarchique dans la lignée du modèle allemand, tandis que Chrysler était une entreprise américaine plus flexible et orientée vers l’innovation. Selon un article de Michael D. Watkins publié dans la Harvard Business Review, cette incompatibilité culturelle a finalement mené à l’échec de la fusion, Daimler ayant réinjecté 5 milliards de dollars trois ans plus tard en vain, avant de céder 80,1% de Chrysler pour seulement 7,4 milliards de dollars. Ceux pour qui l’opération aura été le plus bénéfique sont les concurrents directs du groupe tels que BMW.

    PRÉPARE TES ENTRETIENS TECHNIQUES EN CORPORATE FINANCE

Découvre gratuitement les questions techniques en entretien de M&A, Private Equity, etc., corrigées par un pro.

Une valorisation imprécise ou surestimée

L’acquisition d’Alcatel-Lucent par Nokia pour 16,6 milliards de dollars en 2015 est un parfait exemple de valorisation d’entreprise erronée. Nokia avait pour objectif de renforcer sa position sur le marché des équipements de réseaux de télécommunication et de rivaliser avec des concurrents tels que Ericsson et Huawei. Après cette transaction historique, Nokia admit que la valorisation de la target avait été surévaluée et la prime d’acquisition de 34% fit l’objet de vives critiques. Selon un article paru dans Reuters, cette surévaluation provoqua des pertes financières importantes pour l’entreprise : en 2018, Nokia déprécia de 1,7 milliard d’euros la valeur d’Alcatel-Lucent, provoquant des licenciements massifs en France où 5 000 emplois furent supprimés.

Des délais d’intégration trop longs

La fusion entre Dow Chemical et DuPont en 2017 fut un exemple d’opération de fusion-acquisition ayant connu de grandes difficultés d’intégration. Ce deal M&A créa le plus grand groupe chimique mondial, avec une valorisation s’élevant à plus de 130 milliards de dollars. En revanche, le processus d’intégration prit plus de temps que prévu, en grande partie en raison des enquêtes antitrust menées par les autorités de réglementation. Les régulateurs émettaient des préoccupations quant à la taille du nouveau groupe et à son potentiel d’influence sur les prix du marché. Selon Howard Ungerleider dans un article pour McKinsey, ces retards dans le processus d’intégration ont conduit à une baisse des bénéfices de DowDuPont, les diminuant de 51% en 2018 par rapport à l’année précédente. En conséquence, le cours de l’action de la nouvelle entité – DowDuPont – chuta également, perdant environ 25% de sa valeur en 2018, signifiant une large perte de valeur pour les actionnaires et marquant le clair échec de la transaction. Finalement, DowDuPont fut scindé en trois entreprises distinctes : Dow, DuPont et Corteva en 2019. 

LA4Lire aussi : Synergies en M&A, entre mythes et réalités

Mais dans la plupart des cas, c’est une multiplicité de facteurs qui interviennent

Les raisons qui mènent un deal M&A à l’échec sont nombreuses et dans la majorité des cas, c’est une multiplicité de facteurs qui rentrent en jeu. L’acquisition de aQuantive par Microsoft, une société de publicité en ligne pour 6,3 milliards de dollars en 2007 fut un véritable gouffre financier. Seulement 5 ans après l’opération, la firme américaine enregistrait une dépréciation avoisinant la totalité de la somme déboursée lors du deal selon CNET (6,2 milliards de dollars). A postériori, on peut citer 4 grandes raisons à cet échec. D’abord une mauvaise intégration, Microsoft n’ayant pas réussi à intégrer avec succès les activités de aQuantive dans ses propres activités publicitaires. Les objectifs fixés étaient irréalistes, la firme américaine avait des plans bien trop ambitieux en ce qui concerne les revenus publicitaires. Néanmoins, les synergies prévues n’ont pas été au rendez-vous, notamment en raison de la concurrence intense sur le marché de la publicité en ligne. Le deal a aussi souffert d’une conjoncture défavorable, l’acquisition s’est faite lors d’une phase de croissance avant que la crise des subprimes ne touche tous les pans de l’économie. Enfin, la dépréciation des actifs de aQuantive quelques années plus tard laisse penser que la valorisation de la firme fut largement surévaluée.

Ainsi, bien que les processus de due diligence, de négociation et de clauses contractuelles soient rigoureusement établis par les parties prenantes des deals M&A, il demeure toujours des risques d’échec. Néanmoins, il est important de garder à l’esprit que de nombreuses transactions réussissent et que des entreprises prospères ont été créées grâce à des fusions et acquisitions réussies. À titre d’exemple, la fusion entre Nestlé et Ralston Purina en 2001 a permis à Nestlé de devenir leader mondial de l’alimentation animale, tandis que l’acquisition d’Instagram par Facebook en 2012 a été un succès incontestable pour les deux entreprises. Il convient donc de continuer à explorer les opportunités offertes par les deals M&A et de mettre en place des processus solides pour maximiser les chances de réussite.

 

Loïc Banh, étudiant à HEC Paris et Responsable du blog AlumnEye