L’élection d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République a lancé les rumeurs sur la privatisation du groupe ADP. Pour rappel, ce dernier avait désengagé l’Etat des aéroports de Toulouse, Lyon et Nice lorsqu’il était ministre de l’Economie entre 2014 et 2016. Selon plusieurs sources, il avait envisagé la privatisation d’ADP en 2015 puis abandonné suite au refus du premier ministre, Manuel Valls. Nul doute que ses nouvelles fonctions lui permettront d’avancer sur le sujet, comme en témoigne l’annonce par l’exécutif de la création d’un fond pour l’innovation financé par des cessions de participations. Au-delà de l’agenda politique, cette privatisation est-elle souhaitable ?

Engager la réflexion

Les privatisations posent la question du rôle de l’Etat dans l’économie. Elles sont perçues par leurs détracteurs comme des renoncements face aux marchés financiers et à l’Union Européenne, qui encadre les interventions étatiques au sein du marché commun. Pour dépasser les clivages idéologiques, le régime de propriété doit s’envisager selon des indicateurs de performance opérationnelle, commerciale et financière. Les expériences à l’étranger peuvent servir d’appui à cette réflexion, cependant il n’existe pas de consensus : aux Etats-Unis, pourtant attachés au libre marché, les aéroports appartiennent tous aux pouvoirs publics. A l’inverse, la politique engagée par Margaret Thatcher en Angleterre a permis la privatisation de nombreux aéroports dont London Heathrow, aujourd’hui premier d’Europe en nombre de passagers. La solution retenue pour ADP devra également concilier les intérêts des parties prenantes. En particulier, la valorisation des parts fera l’objet de tractations entre l’Etat, le groupe ADP et les acheteurs. Selon Les Echos, la préparation de ce juteux deal a été obtenue par Crédit Suisse du côté de l’Etat français et Goldman Sachs et BNP Paribas du côté d’ADP. Concernant les acheteurs, le groupe Vinci, actif dans le secteur aéroportuaire à travers sa filiale Vinci Airport et détenteur de 8% du capital d’ADP est pressenti pour augmenter sa présence en cas de privatisation. Les instances de représentation du personnel, les collectivités territoriales et les syndicats des professions aériennes ne manqueront pas non plus de s’impliquer dans le dossier. Cette multiplicité d’acteurs aux points de vue parfois divergents rend l’exercice d’objectivation d’autant plus nécessaire.
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Le monopole n’est pas un frein à la privatisation

La spécificité du groupe ADP tient à sa position monopolistique : en effet, les coûts fixes liés aux infrastructures aéroportuaires favorisent l’entreprise déjà en place en raison de sa capacité à générer des économies d’échelle. La présence de l’Etat au capital du groupe peut donc s’envisager sous l’angle de la régulation économique. Pourtant, cet argument est ici insuffisant.  

L’intervention de l’Etat est justifiée pour les monopoles où l’importance des coûts fixes, notamment d’infrastructure, empêche d’atteindre le seuil de rentabilité. Le cas échéant, les subventions publiques versées aux entreprises déficitaires permettent de maintenir leur opérabilité. Ce scénario est inexistant chez ADP car les redevances aéroportuaires versées par les compagnies aériennes et les recettes issues des commerces et du foncier permettent de financer les coûts fixes liés aux infrastructures, comme en témoigne la rentabilité du groupe (marge nette de 15% en 2016). De manière plus générale, les Etats lourdement endettés peuvent être tentés de réduire leurs subventions aux aéroports à travers des privatisations, sources d’amélioration de la rentabilité et d’accès aux financements privés. L’augmentation continue du trafic aérien et les besoins en investissements associés, qui pèsent sur les finances publiques des Etats détenteurs d’aéroports, alimentent ces considérations et ont contribué à l’ouverture du capital d’ADP en 2006.

La présence de l’Etat peut aussi servir à empêcher les abus des monopoles. En effet, ces derniers sont libres de fixer leurs prix afin de maximiser leurs bénéfices au détriment de l’optimum sociétal qui requiert l’égalisation du prix et du coût marginal de production. Pour pallier cet effet, un Contrat de Régulation Economique (CRE) est négocié tous les quatre ans entre l’Etat et ADP afin d’encadrer les montants des redevances aéroportuaires réclamées par ADP aux compagnies aériennes et de tendre vers des tarifs optimaux pour les deux. Ce contrat, mis en place au moment de la privatisation partielle d’ADP en 2006, pourra être maintenu en cas de nouveau désengagement de l’Etat. Cependant, des craintes existent sur les impératifs de rentabilité des actionnaires privés et leurs potentiels effets à la hausse sur le montant des redevances aéroportuaires ou à la baisse sur le montant des investissements productifs. L’aéroport de Toulouse par exemple a vu une hausse des prises de dividendes après l’arrivée d’actionnaires chinois à hauteur de 49,99% de son capital. Pour l’instant, ADP reverse 60% de son résultat net en dividendes mais ce chiffre est susceptible d’augmenter en cas de privatisation. Le cas échéant et afin d’éviter une augmentation des redevances, la baisse des bénéfices non redistribués devra être compensée par une augmentation de la productivité du groupe.
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Privatisation : ne pas surestimer les effets bénéfiques

Ainsi, la nature monopolistique du groupe ADP ne semble pas préjudiciable à une privatisation en raison de sa bonne rentabilité qui lui permet d’autofinancer ses activités et à la condition qu’une régulation soit maintenue en place pour encadrer les redevances aéroportuaires, les investissements et la qualité de service. Cependant, l’absence d’obstacle à la privatisation ne constitue pas nécessairement une porte ouverte à sa mise en place. En effet, il a été démontré que les gains de productivité issus des privatisations des entreprises publiques sont en partie imputables au cadre incitatif qui les accompagne, sous forme de règles interne de corporate gouvernance et de reddition des comptes. Or, ce cadre peut exister indépendamment d’une privatisation. Les anglo-saxons utilisent le terme de corporatisation pour désigner la mise en place de principes de management proches du secteur privé au sein d’une entreprise détenue en majorité par les pouvoirs publics. Ces principes sont axés autour de la recherche de rentabilité et d’autofinancement, grâce au développement des activités commerciales et à une plus grande place accordée à la relation clients. L’ouverture du capital d’ADP en 2006 a permis d’introduire ces principes, désormais solidement ancrés dans la stratégie du groupe sans avoir eu recours à une privatisation totale. De plus, il a été démontré que les gains issus des privatisations sont plus importants si l’entreprise concernée évolue dans un environnement concurrentiel. Or, le groupe ADP qui concentre le trafic aérien parisien à travers ses aéroports de Roissy et d’Orly est peu exposé à la compétition. L’exemple Londonien a montré qu’il était possible d’ouvrir la propriété des aéroports à la concurrence, mais cela constitue un enjeu de politique industrielle éloigné des considérations actuelles du gouvernement.

De la bonne utilisation des fonds publics

Finalement, une solution intermédiaire consisterait à réduire la présence de l’Etat au capital d’ADP sans passer sous le seuil de la minorité de blocage, soit un tiers des voix plus une, afin de conserver son veto sur les décisions hautement stratégiques telles que le changement de membres, de statut ou de caractéristiques de la société. Cependant, cette décision ne serait pas sans conséquences sur les capacités de financement d’ADP, qu’une privatisation totale aurait le mérite d’élargir. Selon la Cour des Comptes, « le blocage des participations au-dessus d’un seuil souvent symbolique pénalise les entreprises en limitant les possibilités d’évolution de leur capital, l’Etat refusant d’être dilué ou n’ayant pas les moyens de suivre une augmentation de capital ».

 

Les enjeux de la privatisation d’ADP oscillent entre accès aux financements et bonnes pratiques du secteur privé d’une part et nécessité de conserver la mainmise de l’Etat sur des infrastructures stratégiques d’autre part. Indifféremment de la direction choisie, le risque de faire fausse route est minime en raison des mécanismes de compensation qui existent : présence d’actionnaires privés au capital et corporatisation si l’Etat décide de maintenir le statu quo et pouvoir du régulateur s’il décide de se désengager. En l’absence de solution uniformément supérieure, l’argument décisif pour la privatisation porte sur l’utilisation des recettes dégagées en faveur d’une politique industrielle innovante et tournée vers les enjeux industriels de demain. A ce titre, le fond pour l’innovation qui aura pour vocation d’accompagner des projets dans les domaines de l’intelligence artificielle ou de la réalité augmentée est prometteur.

 

Matthieu Caron, étudiant à Sciences Po et contributeur du blog AlumnEye