Nous avons interviewé pour vous, au sein du réseau AlumnEye, un Analyste en Equity Research dans une banque Tier 1 à Londres. Il nous décrit son métier, son quotidien dans le secteur de la recherche Action, et d’où il vient.
Peux-tu présenter ton métier ?
L’Equity Research, encore appelée Recherche Action, ou Analyse Sell-Side, est le département d’analyse financière des banques d’investissements ou des brokers.
Le métier consiste à suivre quotidiennement des entreprises d’un secteur donné ; on appelle ce périmètre le « coverage ». Quelques exemples des différentes équipes existantes : Oil & Gas ; Luxury Goods ; Banks ; Healthcare … L’objectif de cette veille est de communiquer aux clients – gestionnaires d’actifs, asset managers, portfolio managers, … – des idées d’investissement ou, a minima, la température des marchés.
Point important, la Research s’appuie sur la somme d’informations PUBLIQUES fournies par les entreprises cotées elles-mêmes : rapports financiers trimestriels mais
aussi communiqués de presse (« Press releases ») qui peuvent concerner des opérations de M&A, l’annonce de nouveaux contrats ou encore la décision d’investir dans de nouveaux outils de production. Il n’est pas rare non plus d’utiliser des données économiques issues des grandes institutions internationales pour tout ce qui concerne les données macro (PIB…). Concrètement, le métier consiste en la rédaction de notes sectorielles ou portant sur une seule entreprise (« Single Stock ») . Une fois la note achevée, on s’attelle au marketing de ce produit auprès de la clientèle.
Contrairement à l’idée que j’en avais, la comptabilité et la finance ne sont pas au cœur de l’analyse – c’est juste le langage de base qu’il faut maîtriser ; les Analystes financiers tendent a décrypter les stratégies des entreprises et à porter des jugements sur celles-ci, évidemment à partir de la partie émergée de l’iceberg que sont les états financiers et les news quotidiennes.
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Quelles étaient tes motivations pour postuler à un poste en Equity Research ?
Ce métier combine les compétences de finance d’entreprise et l’expérience des marchés financiers (et parfois les horaires !). Généralement, les équipes sont de taille réduite. Il est donc possible, même au niveau junior, d’avoir des responsabilités.
C’est également un métier qui offre la possibilité de devenir un expert dans son domaine. Cela prend quelques années mais au bout de 6 mois, déjà, on devient capable de parler des grandes problématiques de son secteur et d’isoler les winners et loosers au sein de son coverage.
C’est enfin une excellente formation pour, à terme, passer côté investisseur – le fameux « buy-side ».
En quoi consistent tes tâches quotidiennes et celles de ton équipe ?
Bon à savoir avant d’intégrer une équipe d’Equity Research : les équipes sont assez bipolaires. D’un côté, des seniors qui connaissent parfaitement les entreprises et qui génèrent des idées. De l’autre, des juniors qui fournissent les données nécessaires à étayer ces idées et qui allègent la charge de travail dans tout ce qui est du domaine routinier.
En ce qui me concerne, voici la liste de mes tâches quotidiennes en tant que junior :
- Mise à jour quotidienne des tableaux de suivi de performance des actions et des résultats financiers des entreprises. C’est un travail important car il permet de voir au jour le jour si des actions sont chères ou pas, ce qui peut nous amener à revoir nos ratings.
- Préparation de tous les tableaux (« exhibits ») destinés a être publiés lors de la rédaction de notes de recherche. Cela peut aller du très précis (telles données de 20XX a 20XX au plus flou, et dans ce cas, c’est au junior de trouver des données intéressantes à montrer.
- Au moment des résultats trimestriels : préparation des commentaires destinés a être publiés (en attendant l’annonce des vrais résultats financiers). Puis on complète nos modèles avec les chiffres publiés par les entreprises.
- Réponse à des requêtes clients. Cela peut aller de la simple transmission de nos données à la recherche d’informations complexes sur internet et dans les archives des entreprises.
- Recherche sur des projets plus long terme : pas de rush sur ces tâches là. Ces projets sont en toile de fond : les seniors savent qu’ils pourront avoir besoin de ces données dans le futur mais il n’y a pas d’impératif horaire.
Les seniors en Equity Research ont un quotidien sensiblement différent :
- Ils scrutent le news flow, principalement l’actualité concernant les entreprises qu’ils couvrent mais aussi du ou des secteurs voisins et de l’économie en général, ceci dans le but de glaner des idées et de rédiger des commentaires (courts) ou des notes (plus longues).
50 calls par semaine et par analyste est un minimum requis
- Ils passent des coups de fils aux clients – 50 calls par semaine et par analyste est un mimimum requis – ainsi qu’aux personnes chargées des relations investisseurs (« IR ») pour prendre la température des entreprises.
- Enfin, ils animent des meetings clients, souvent directement dans les locaux des clients, ce qui implique des déplacements mais essentiellement à Londres. Les calls et les meetings clients constituent la partie « marketing » du métier d’analyste financier.
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Quels sont les profils typiques des employés de ton équipe ?
Les profils varient en fonction des nationalités. Les britanniques sont surtout issus d’Oxford ou de Cambridge avec en général un diplôme de Bachelor. Ils sont souvent diplômés en Humanités (philosophie, sociologie, histoire, littérature). On trouve aussi des profils scientifiques.
En ce qui concerne les autres nationalités, les cursus académiques sont orientés Business. On trouve par exemple beaucoup d’italiens de la Bocconi, de français issus des Ecoles de Commerce et Science Po. Contrairement aux britanniques, ils sont généralement recrutés au niveau Master.
A noter pour les profils d’analyste : le CFA level 1 est exigé pour les juniors – ils le passent dans leur première année d’analyste. La CFA Certification (niveau 3) est fréquente pour les plus Analystes seniors.
Peux-tu nous parler un peu plus en détail des grandes problématiques contemporaines liées à ton métier ?
Dans le métier d’Equity Research en général, j’identifie les problématiques suivantes :
- Il existe de nombreux conflits d’intérêtspossibles avec les autres grands métiers de la Banque :
- Trading : ne pas diffuser nos changements de rating au trading floor avant la publication officielle.
- Asset Management : même conflit d’intérêt.
- Investment Banking : ne pas essayer d’avoir des informations confidentielles auxquelles aurait accès les équipes de M&A, ECM, DCM, Leveraged Finance (ayant accès à de l’information privée). Ne pas être influencé dans nos ratings par les opportunités de deals avec les clients corporate (mettre un rating défavorable à l’un de nos clients M&A peut mettre en péril la relation commerciale par exemple).
- D’un point de vue plus général, il y a une nécessité de rendre les métiers de Recherche plus économiques, afin tout simplement qu’ils puissent perdurer. En effet, le département Recherche est habituellement perçu comme un centre de coûts. Dans un contexte économique difficile et du fait des restructurations récentes, la fonction Research est en plein respositionnement. Dans les faits, il devient difficile d’obtenir le juste prix de la Recherche auprès des clients investisseurs. La rémunération s’effectue en effet par le partage des commissions entre le Trading, les Sales et la Recherche.
- La grande variété des clients de la Recherche nécessite d’adapter son discours en tant qu’Analyste. Par exemple, la multiplication des HedgeFunds, consommateur de recherche mais avec un horizon temporel souvent différent des fonds Long-Only traditionnels nécessite d’avoir des vues sur un share price à disons 6 mois au lieu de 2 ans.
Quelle différence entre l’Analyste en Equity Research (Sell-Side) et l’Analyste Buy-Side ?
Il y a une vraie distinction entre ces deux métiers : même si le métier paraît semblable, la logique est relativement différente : d’un côté le Sell-Side a pour objectif ultime de générer des commissions auprès de son trading floor – et ce en rendant le marché aussi transparent que possible pour inciter les investisseurs a être actifs ; de l’autre l’analyste Buy-Side est là pour conseiller au mieux son gérant de portefeuille après avoir « digéré » les notes du Sell-Side et s’être fait sa propre opinion sur une entreprise ou un secteur. Le marketing du travail d’analyse
est donc très différent En outre, les Analystes sell-side sont très spécialisés – ils couvrent en général une dizaine d’entreprises alors que les Buy-Side sont plus généralistes – 40/50 entreprises sont en permanence sur leur radar. Pour illustrer ceci je dirais que par exemple, en IBD, le secteur pétrolier sera reparti parmi des Analystes en suivant une structure matricielle : 3 grandes régions (Americas, Europe, Asia) et 4 maillons de la chaîne de valeur (Integrated – Services – Raffinage – Exploration & Production) soit une douzaine d’Analystes . En revanche, selon sa taille, une firme Buy-Side couvrira ce secteur avec seulement 2 ou 3 Analystes.
Il est intéressant de noter que d’’après un sondage auprès des investisseurs en Buy-Side, le principal atout du métier d’Analyste en Sell-Side est le corporate access, i.e. l’accès direct à des investisseurs et des clients corporates grâce aux relations entretenues par les départements de Recherche.
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Un analyste en Equity Research buy-side est-il destiné à devenir portfolio manager ?
Il n’y a malheureusement pas de réponse unique à cette question, tout dépend de la structure.
Des fonds de taille réduite auront par exemple des positions de type « Analyste-gérant », qui combine les deux facettes.
Un fonds comme Fidelity ne recrute des juniors, dans son département « Investment », que pour des jobs en Equity Research. Selon leurs qualités (synthèse/analyse, vision macro/micro, etc…) et leur choix, les personnes deviendront PM ou resteront analystes.
Ce qui caractérise le plus un analyste (buy-side ou sell-side), c’est l’expertise sectorielle. Si son fonds est également organisé de manière sectorielle le passage d’analyste à PM semble plus évident. Un fond plus généraliste s’appuiera plutôt sur des analystes, qui conseilleront un PM chargé de la gestion du portefeuille…
L’Equity Research sell-side est-il le meilleur moyen de passer buy-side, et si oui après combien d’années ?
A défaut d’y débuter directement, le sell-side représente la meilleure opportunité pour se diriger vers le buy-side, la technique d’analyse financière étant la même.
Le passage peut se faire à peu près à tous les niveaux. Rare – mais pas impossible – pour un Analyst, il est le plus fréquent au niveau Associate et se corse un peu après – un VP « coûte » cher et le Buy-Side peut se montrer frileux niveau salaire avant d’avoir vu les réelles performances d’un individu (stock picking, market timing, alpha generation). Le fait de couvrir personnellement des entreprises est évidement un plus et en sell-side, l’attribution d’un coverage intervient généralement au niveau Associate, parfois dès l’année d’Analyst 3.
Néanmoins, certaines positions en buy-side privilégient d’autres background : traders pour certains HF voire des profils encore plus mateux (quant/structu…), M&A pour le PE ou certains HF « event-driven », …
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Merci beaucoup pour ces réponses, à très bientôt !
Si vous avez des questions additionnelles concernant le métier de l’Equity Research, n’hésitez pas à les poser en commentaires, nous les ferons passer et les ajouterons en edit de cet article.
Retrouvez des informations sur les différents métiers sur le blog AlumnEye !
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5 septembre, 2013