Les synergies sont couramment citées comme une des motivations d’une transaction de M&A. L’entreprise initiatrice du projet espère ainsi capturer un potentiel de création de valeur supplémentaire à travers l’association de deux ou plusieurs entités économiques. Néanmoins, la réalisation de ces synergies s’avère être une opération complexe et source de l’échec de nombreux projets. Ainsi, le communiqué de presse du groupe M6 à propos de la fusion avec le groupe TF1 faisait état d’un potentiel de 250 à 300 millions d’euros de synergies annuelles à l’issue des trois premières années suivant la conclusion de la transaction. Dans le même temps, l’entreprise mettait en garde sur les “incertitudes inhérentes à la possibilité que les synergies […] découlant de l’opération ne se réalisent pas dans les délais prévus”.

Qu’est-ce qu’une synergie ? Comment les réaliser ? Comment en éviter les pièges ? Décryptage d’un concept essentiel au succès d’une opération M&A.

 

Les synergies, ou comment 2+2 = 5 ?

Si le terme provient de la physique, les synergies ont une résonance particulière en finance d’entreprise. On parle de synergies lorsque les entreprises réunies dans le nouvel ensemble valent plus que l’addition de leurs valeurs individuelles séparées. Formulé autrement, les synergies correspondent à la création de valeur supplémentaire résultant du rapprochement de deux ou plusieurs entités économiques. Les synergies sont classiquement décomposées entre les synergies de coûts et de revenus. Il convient néanmoins de ne pas oublier les synergies financières qui, comme l’expose JP Morgan en 2009 dans son rapport A shifting landscape for synergies, sont devenues prépondérantes depuis la crise financière de 2008.

m&a_synergies_téléLe rapprochement des deux entreprises peut être source d’une réduction des coûts de production, notamment grâce aux économies d’échelle. De même, la rationalisation des processus de production et des canaux de commercialisation (diminution des coûts de marketing) participent, au même titre que la mutualisation des dépenses de R&D et la réduction de la masse salariale, aux gains espérés d’une opération de M&A. A titre d’illustration, le nouveau groupe TF1/M6 prévoit de sa fusion 167 à 233 millions d’euros de gains annuels par la baisse des coûts alloués aux ressources humaines et l’optimisation de la rotation des stocks. Ces synergies de coûts seraient responsables pour 2/3 de l’amélioration de l’EBITDA. L’autre tiers est attribuable aux synergies de revenus, représentant 83 à 117 millions d’euros d’amélioration du chiffre d’affaires.

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A ce titre, les synergies de revenus correspondent aux opportunités nouvelles de croissance du chiffre d’affaires. Ces synergies trouvent leur origine dans plusieurs sources allant de l’augmentation du pouvoir de marché du groupe du fait de la réduction de la concurrence sur le secteur, à la possibilité d’accéder à de nouveaux marchés géographiques, à de nouvelles technologies et savoir-faire, ou à un plus grand réseau de distribution. De même, la nouvelle entité formée pourra réaliser des ventes croisées (cross-selling) lui permettant de proposer des produits complémentaires au consommateur et offrir un meilleur mix produit. À la suite d’une OPA lancée le 27 septembre 2021, la mainmise du spécialiste français de l’ingénierie automobile Faurecia sur le fabricant allemand de composants électroniques pour véhicules Hella illustre le rôle crucial de ces synergies opérationnelles. Cette opération portant la valeur de l’équipementier allemand à 6,7 milliards d’euros présente un fort potentiel de création de valeur selon le management de l’entreprise acquéreuse. Cette dernière communique sur des synergies de chiffre d’affaires annuelles de 300 à 400 millions d’euros, provenant de l’extension des bases clients et de l’expertise de la société allemande dans l’électronique et les logiciels. L’opération permettra à Faurecia de renforcer ses compétences dans les technologies liées à l’électrification des véhicules, le développement de la voiture autonome et le design de nouveaux tableaux de bord. La société française avance également des gains annuels de 200 millions d’euros d’EBITDA grâce à la rationalisation des coûts de production.

m&a_healthcare_synergies_sanofiC’est souvent la combinaison de ces deux types de synergies qui motive les transactions M&A, comme l’illustre le rachat en 2011 par Sanofi de Genzyme pour 20 milliards de dollars. Cette opération a permis la réalisation de synergies bien au-delà des estimations initiales. L’acquisition de cette biotech américaine s’inscrivait au cœur du virage stratégique opéré par la société pharmaceutique française, d’une production de médicaments traditionnels vers la recherche en produits biologiques. Les synergies annuelles dégagées par cette opération étaient estimées à près de 300 millions de dollars par les analystes financiers tandis que le directeur financier de l’entreprise annonçait un montant de 600 millions de dollars. Après l’acquisition, le groupe a rationalisé la fabrication, transféré les ventes et le marketing de certaines activités de Genzyme vers Sanofi, et réduit la masse salariale d’environ 2.000 personnes. Dans l’ensemble, il est estimé que l’intégration a permis de concrétiser des synergies de coûts à hauteur de 700 millions de dollars par an. Il faut encore ajouter d’importantes synergies de revenus provenant de la forte croissance du chiffre d’affaires du groupe après l’opération, étant passé de 5 % en 2011 à 17 % en 2012.

m&a_dette_wacc_synergiesNéanmoins, il ne faut pas sous-estimer le dernier type de synergies visant à optimiser le financement et la situation fiscale de l’entité consolidée. Ainsi, en fonction de la structure fiscale choisie, le nouveau groupe pourra bénéficier d’une réduction de sa charge fiscale grâce à une plus grande capacité de déduction de ses charges financières et d’une utilisation optimale des déficits par la création de groupes d’intégration fiscale. De même, ces synergies financières peuvent provenir de la diminution du coût moyen pondéré du capital (WACC). En effet, l’atteinte d’une structure financière optimale (dette nette/fonds propres), la réduction des risques financiers par l’accès à de nouveaux instruments de financement, ou encore la réduction des risques opérationnels permettra de baisser le coût du financement. À titre d’illustration, le rachat par Wolkswagen d’Europcar Mobility Group par voie d’OPA pour 2,5 milliards d’euros formulée en septembre 2021 devrait générer des gains principalement sous la forme de synergies financières. Le conseil d’administration du loueur français, qui a recommandé l’offre du constructeur allemand, précisait qu’Europcar devrait bénéficier de la différence de profil de crédit entre les deux entreprises, la société française étant notée CCC+ (coût moyen de la dette de 3,6 %) alors que Volkswagen est notée BBB+ (coût moyen de la dette de 1,4 %). Dans l’objectif d’assurer une implémentation effective de ces synergies, Volkswagen devrait refinancer une partie de la dette d’Europcar lorsque la transaction sera exécutée. Par ailleurs, d’autres synergies de ce type sont attendues au niveau du coût des leasings destinés à financer la flotte de véhicules.

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Des synergies à la prime d’acquisition

Le concept de synergie est intrinsèquement lié à celui de la prime d’acquisition. Cette dernière est définie comme la majoration du prix d’acquisition par rapport à la valeur réelle de la société en contrepartie du droit de la contrôler. Si nous supposons que les marchés sont efficients, le prix proposé devrait être égal à la valeur réelle de l’entreprise ou valeur stand-alone. Ainsi, si les actionnaires de la société-cible exigent une prime d’acquisition, cela signifie que les nouveaux propriétaires de l’entreprise espèrent obtenir plus de valeur que les anciens propriétaires. Cette valeur supplémentaire correspond aux synergies espérées. Pour citer Pierre Vernimmen : “La valeur de ces synergies représente conceptuellement la prime de contrôle maximum qu’un acheteur est prêt à payer”. Formulé autrement, la prime d’acquisition s’analyse comme une rétrocession au vendeur d’une partie des synergies créées par l’opération.

A titre d’exemple, dans le cadre de son OPA amicale initiée le 3 août 2021 sur la biotech Translate Bio, Sanofi a proposé un prix de 38 $ par action. Le prix proposé pour la société développant des technologies à ARN messagers impliquait une prime de 56 % par rapport au cours de bourse moyen de la cible des 60 jours précédant l’annonce. Celle-ci était en partie justifiée par les perspectives de synergies pour Sanofi provenant de l’association étroite de Translate Bio avec Tidal Therapeutics, une autre biotech américaine acquise en avril dernier par l’industriel français pour 160 millions de dollars. En effet, selon le management de Sanofi, Tidal Therapeutics développe des nanoparticules qui pourraient bénéficier de la technologie ARNm de Translate Bio et inversement.

Il faut cependant noter que d’autres facteurs entrent en ligne de compte lors de la formation de la prime de contrôle tels que la situation macroéconomique, les conditions de négociation ou la rareté de la cible.

Des synergies : oui mais pour qui ?

Le potentiel de réalisation de synergies est naturellement plus important dans le cadre d’opérations accomplies par des groupes industriels. En effet, il sera plus difficile pour un fonds d’investissement de créer des synergies avec une entité achetée dans la mesure où ce dernier n’a pas d’activité opérationnelle de production. Ainsi, en principe, un groupe industriel pourra proposer un prix supérieur pour la même cible étant donné qu’il lui sera plus aisé de rentabiliser l’acquisition à travers les synergies produites selon le Swiss Institute of Banking and Finance de l’Université de Saint Gall. Son étude Do Private Equity Funds Always Pay Less? A Synergy-Related Explanation Based on Add-on Acquisition explique que les fonds de Private Equity paient, en moyenne, 20 % de moins que les industriels pour des sociétés cibles comparables.

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Néanmoins, les fonds qui mettent en œuvre des stratégies de Buy & Build vont aussi pouvoir capturer des synergies. Pour ce faire, un fonds va acheter un ensemble d’entreprises gravitant autour d’une société plateforme dans l’objectif de revendre par la suite le groupe ainsi formé, et à une valorisation bien supérieure du fait de la création de valeur issue des différentes synergies réalisées. À ce titre, l’étude de l’institut suisse démontre que les fonds qui mettent en œuvre de telles stratégies en perspective de synergies futures, sont prêts à renoncer au discount price et à payer le même niveau de prix que les acquéreurs industriels.

C’est dans le cadre d’une stratégie de Buy and Build que le fonds de LBO Charterhouse vendait en mars 2021 Cooper-Vemedia, un spécialiste français de la vente de médicaments sans ordonnance, au multiple de 14,3 fois l’EBITDA. Après avoir acheté Cooper au prix de 700 millions d’euros en 2015, Charterhouse a conclu cette transaction pour le prix de 2,2 milliards d’euros. Cet accroissement de la valeur du groupe trouve son origine dans une série d’acquisitions menées dans le cadre d’une stratégie de Buy & Build ayant permis de faire passer le chiffre d’affaires du groupe de 216 à 500 millions d’euros. Parmi elles, on compte le rachat du néerlandais Vemedia pour 375 millions d’euros en 2016, l’acquisition de 12 marques auprès de Sanofi en 2018 et la prise de contrôle des laboratoires Diepharmex en 2019.

La réalisation des synergies, ou le risque que 2+2 = 3 ?

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Source : CapIQ S&P Index December 2015 (KPMG – U.S. executives on M&A: full speed ahead in 2016)

Une enquête KPMG de 2016 (US Executives Survey on M&A) montre que la recherche de synergies est le premier facteur déterminant d’une transaction M&A. Celles liées aux revenus reviennent plus souvent dans le rapport contrairement à celles liées aux coûts qui étaient plus marginalement citées. En effet, ce sont les opportunités de croissance du chiffre d’affaires, à travers l’acquisition de nouvelles gammes de produits ou de technologies, l’atteinte de nouveaux clients, ou encore la conquête de nouvelles zones géographiques, qui motivent les décisions d’acquisition.

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Source: Survey of 352 executives in North America, Europe and Asia, conducted by the Economist Intelligence Unit on behalf of Bain & Company, 2012

Néanmoins, la mise en place des synergies est hautement incertaine. Une étude publiée en 2014 par Bain & Company (M&A Survey) montre que, selon les responsables interrogés, la surestimation des synergies est la deuxième cause d’échec d’une transaction. Selon le même rapport, plus de 70 % des entreprises échouent à mettre en œuvre les synergies annoncées.

Cette incertitude vis-à-vis de la réalisation des synergies provient notamment de la difficulté à estimer précisément leur montant. Selon McKinsey, dans 50 % des cas, les Due Diligences ne parviennent pas à proposer un plan permettant de capturer de manière efficiente les synergies. L’asymétrie d’information constitue l’un des principaux freins à leur bonne estimation. L’acquéreur a un accès limité aux dirigeants, fournisseurs et clients de la société cible. De même, les contraintes temporelles et de confidentialité peuvent être des barrières importantes à une juste estimation des gains potentiels comme le souligne le cabinet McKinsey dans son article Where mergers go wrong (2004). Il conviendra de préciser que les synergies de coûts sont réputées plus faciles à valoriser. En effet, elles correspondent à des coûts internes dépendant moins du marché et de la concurrence, tandis que les deux autres types de synergies peuvent se révéler plus délicats à accomplir.

m&a_microsoft_synergiesL’exemple de la reprise de Nokia par Microsoft démontre qu’une mauvaise estimation des synergies peut compromettre la profitabilité d’une opération. Le géant de l’informatique annonçait en septembre 2013 le rachat de la branche téléphonie de Nokia pour 7,2 milliards de dollars, une transaction qui s’avérait finalement être un fiasco stratégique et financier pour le groupe. Il s’agissait pour Microsoft de rattraper son retard sur Apple, Samsung et Google par l’acquisition des brevets, de nouvelles compétences en ingénierie hardware, et de la chaîne d’approvisionnement et des canaux de distribution du groupe de téléphonie mobile. La valeur nette des synergies étaient estimées à plus de 5 milliards de dollars après déduction des coûts d’intégration. Néanmoins, le Windows Phone n’a jamais pu concurrencer le duopole formé par Google et Apple, représentant seulement 2,5 % des parts de marché en 2015, bien en deçà de l’objectif fixé de 20 %. De même, l’entreprise n’a jamais réussi à résoudre les problématiques d’adaptation des 220 millions d’appareils produits par Nokia qui n’étaient pas configurés sur le système de Windows Phone. Dès juillet 2014, l’entreprise procédait au licenciement de 12.500 employés, suivi du départ de 7.800 collaborateurs en juillet 2015. À la fin de la même année, Microsoft provisionnait en pertes l’ensemble des actifs achetés à Nokia en plus des 850 millions de dollars de frais de restructuration. Enfin, elle revendait l’entreprise pour 350 millions de dollars en 2016.

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Au-delà de ces difficultés, il ne faut pas sous-estimer le risque de « synergies négatives » qui provoqueraient une destruction de valeur. En effet, une opération de M&A risquerait non seulement de provoquer une fuite de certains fournisseurs ou clients disposant de clauses de changement de contrôle, un choc culturel entre les différentes entreprises, ou encore une perte de flexibilité liée à la gestion d’une plus grande entité économique. Enfin, le lancement de nouveaux produits issus des ventes croisées pourrait se faire au détriment des articles anciennement commercialisés, résultant en une baisse de la rentabilité.

m&a_societe_generale_credit_nordAinsi, l’éventualité d’un choc culturel est présentée comme l’un des principaux risques opérationnels relatif à l’absorption de Crédit du Nord par la Société Générale dont le projet de fusion a été précisé en octobre 2021. Le rapport d’experts indépendants délivré par SECAFI fait état de deux organisations et cultures d’entreprise très éloignées. Alors que la Société Générale est une banque centralisée, le Crédit du Nord s’appuie sur un réseau régional décentralisé. De même les experts émettent des doutes quant à la capacité de la Société Générale d’évoluer d’une culture de grande banque internationale vers celle “d’une fédération de PME régionales”. Cette révolution culturelle est synonyme, selon ce rapport, d’un changement de fonctionnement à l’échelle de l’ensemble de l’entreprise.

Ces chocs culturels sont d’autant plus problématiques qu’ils provoquent généralement un désengagement notable chez les employés de l’entreprise cible. Une étude d’Aon Hewitt sur la gestion des employés pendant les périodes de changement révèle que la part des employés activement désengagés augmente de 23 % après l’acquisition, et qu’il faut en moyenne 3 ans pour revenir au niveau d’engagement pré-opération. Une autre étude menée par Pritchett dans le cadre de ses activités de conseil d’intégration du management post-acquisition constate que 4 managers sur 10 quittent l’entreprise lors des 24 premiers mois suivant une acquisition, ce qui est 3 fois supérieur au taux classique. Ainsi, le désengagement et le remplacement des “leavers” engendre irrémédiablement des coûts supplémentaires.

m&a_danone_faberC’est notamment sous cet angle d’attaque que les fonds activistes à l’origine du départ en mars 2021 de l’ancien PDG de Danone, Emmanuel Faber, lui ont reproché l’acquisition de l’américain WhiteWave pour 11,7 milliards d’euros. L’opération, qui devait permettre la réalisation de 300 millions de synergies annuelles et un retour sur investissement sur trois ans, aurait été un échec stratégique selon le fonds Bluebell. Ce dernier avance que les objectifs espérés n’auraient pas été atteints et que l’acquisition aurait dérivé des ressources qui n’ont donc pas été allouées à la R&D et au marketing.

La réalisation des synergies est donc une opération hautement incertaine, et même les entreprises les plus prospères comme Microsoft ont pu se tromper dans leurs prévisions. Les dirigeants doivent donc faire preuve de prudence dans leurs estimations et préparer un plan d’intégration adapté permettant de maximiser les chances de réussite de l’opération.

Arthur Munier, Aurélien Blachon et Clément Béchet, étudiants à Sciences Po Paris et contributeurs du blog AlumnEye