Le 4 décembre dernier, la banque d’investissement Saxo Bank publiait ses dix « outrageous » prédictions, parmi lesquelles on trouve entre autres la mise en place d’une parité Dollar/Livre Sterling, l’entrée en récession de l’Allemagne ou encore le rachat de Tesla par Apple.  Depuis maintenant une décennie, la banque danoise émet des hypothèses aussi fascinantes qu’effrayantes pour les années à venir.

Saxo Bank détaille ainsi que la firme à la pomme dispose actuellement d’une trésorerie de près de 240Md$, et pourrait alors conclure un deal all-cash pour le rachat de Tesla. Cette opération aux alentours de 70Md$ représente une simple année de cash-flow pour Apple, qui pourrait aussi aisément couvrir les 10Md$ de dettes contractées par Tesla. Apple offrirait ainsi une prime de 44% pour racheter à 520$ les actions cotées à 360$ le jour de la publication de Saxo Bank : une opération finalement simple et qui répondrait aux besoins respectifs des deux géants de la tech.

 

Apple, un besoin criant de diversification

En effet Apple est aujourd’hui dans une situation délicate, car encore trop dépendante des ventes de ses iPhones qui comptent pour 60% de son chiffre d’affaires. Les analystes prévoient un tassement du marché de la téléphonie mobile (+1% de croissance dans les 5 prochaines années) ; mais pointent surtout la baisse de part de marché du constructeur américain. Ce dernier semble à court de souffle et d’idées, et n’est plus à la pointe de la technologie comme il l’était à ses débuts. Conjointement, l’apparition de nouveaux acteurs asiatiques dans un marché saturé offre aux consommateurs des meilleurs rapports qualité/prix très néfastes à la stratégie haut de gamme d’Apple. Rod Hall (Goldman Sachs) est même allé plus loin en brandissant l’exemple de Nokia, leader incontesté il y a dix ans et aujourd’hui à la dérive.

Malgré les efforts d’Apple pour se diversifier dans les services, la musique et le paiement, ces derniers ne représentent actuellement que 10% de ses revenus, et les analystes estiment que leurs développements ne suffiront pas à pousser la croissance globale à deux chiffres qu’Apple a l’habitude d’afficher. Toutes ces données font donc penser que 2019 sera un point d’inflexion majeur pour la firme californienne, qui va devoir trouver de nouveaux leviers de croissance si elle souhaite rester dans le quatuor des GAFA.

Le secteur automobile est tout désigné comme suite logique dans la stratégie d’Apple : de plus en plus connectés et présents, les véhicules s’immiscent dans la vie des utilisateurs. La firme californienne est d’ailleurs déjà présente avec son logiciel Apple CarPlay ; et avait annoncé à demi-mot sa volonté de créer une voiture Apple d’ici 2023. Si ceci parait peu probable, les récentes embauches des deux designers Andrew Kim et Doug Field provenant de Tesla sont signes de l’intérêt porté à ce marché. Alors si ce n’est par le biais d’une voiture Apple, une acquisition ne serait-elle pas le meilleur moyen d’intégrer ce marché ?

C’est dans cette optique que l’hypothèse de Saxo Bank prend de l’épaisseur, tant les deux entreprises partagent des points communs. Apple et Tesla sont deux pionnières de l’innovation, portant autant d’attention à la qualité qu’au design de leurs produits. Elles disposent aussi chacune d’une très forte image de marque, et se positionnent clairement comme des acteurs haut de gamme. Si Apple n’est aujourd’hui plus considérée comme en avance sur son secteur, elle véhicule encore toutes ces valeurs communes à Tesla.

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Tesla en recherche de liquidités

En face, Tesla est une entreprise tout aussi particulière. A l’image d’Apple, l’entreprise fondée par le visionnaire Elon Musk s’est lancée sur le créneau des voitures électriques dès 2003, et est une véritable pionnière. Si les constructeurs automobiles traditionnels et quelques start-ups lui ont depuis emboité le pas, Tesla bénéficie toujours d’une avance technologique et d’une situation de quasi-monopole sur le marché des véhicules électriques hauts de gamme. Pour rester en tête, le constructeur américain se doit d’accroître ses lourds investissements de R&D mais aussi et surtout de constructions. Pour cela, la firme de Palo Alto multiplie les projets de « Gigafactories », ses usines de fabrication de batteries : la 3ème sort actuellement de terre en Chine, tandis que la suivante devrait voir le jour à la frontière franco-allemande. Bloomberg a ainsi évalué le coût de Gigafactory III à 5Md $.

La venue d’un investisseur serait très bénéfique à Tesla, et lui apporterait des moyens de financement tout en la protégeant des velléités du marché qui reproche au constructeur de ne pas tenir ses engagements de production. Apple apporterait une certaine garantie de stabilité, mais aussi d’autres atouts qui lui sont spécifiques : une bonne connaissance des problématiques logistiques et une communication ultra-efficace.

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L’appétence réduite d’Apple pour le M&A

Mais Apple ne semble pas être une grande adepte des fusions-acquisitions. Si l’on dénombre tout de même une dizaine de rachats majeurs en 2018, l’entreprise californienne n’a jamais dépensé plus de 3Md$ (pour le groupe Beats Electronic en 2014), un montant presque dérisoire comparé à ses 48Md$ de bénéfices en 2018 et sa trésorerie de 250Md$. Et selon les dires de Tim Cook à CNBC en janvier, le groupe ne devrait pas changer de stratégie dans un horizon proche : la porte à une grosse acquisition n’est pas totalement fermée, mais après prospection aucune entreprise n’a satisfait les critères. En clair, les gros deals n’ont jamais fait partie intégrante de son ADN. Enfin, une grosse acquisition pourrait être perçue comme un signe de renoncement de la part d’Apple, et probablement fortement sanctionnée par les marchés financiers.

A l’opposé, les autres GAFA n’ont pas hésité à mettre la main à la poche ces dernières années : 12,5Md$ pour Google sur Motorola, 13,7Md$ pour Amazon sur Whole Foods et 19Md$ pour Facebook sur WhatsApp. Est-ce que le constructeur téléphonique serait prêt à forcer sa nature et emboiter le pas à ses compères ? Rien de moins sûr…

Le mariage Apple-Tesla semble être un conte de fée qui n’attend qu’à être réalisé : l’un apporte une stabilité financière et d’importants moyens de financement, tandis que l’autre garantit une place sur la première ligne de l’innovation. Recréer un bastion à la pointe de la technologie avec un tandem Cook-Musk aussi créatif que pragmatique permettrait à Apple d’utiliser à bon escient ses disponibilités pour retrouver le devant de la scène, et à Tesla d’améliorer sa capacité de production pour honorer toutes les commandes de ses clients.

Mais pourquoi Apple dépenserait subitement vingt fois plus qu’il y a 5 ans pour Beats Electronic ? Une telle opération n’est clairement pas à l’ordre du jours pour une entreprise qui a toujours été considérée comme frileuse en termes de M&A. Il semblerait qu’il vaille mieux attendre en 2019 une nouvelle année de dividendes records qu’une méga-acquisition…

Théophile Augustin, étudiant à HEI Lille et contributeur du blog AlumnEye