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Dernier de sept enfants, Tidjane Thiam a toujours voulu être le meilleur. A l’âge de 12 ans, le petit Tidjane avait récupéré les notes d’Aziz, son aîné, et en avait fait des graphiques afin de s’assurer qu’il était plus performant que son frère.

La volonté de réussite scolaire de la fratrie Thiam vient de leur mère, Mariétou. Descendante de la reine ivoirienne Yamousso, qui a inspiré le nom de la capitale de la Côte d’Ivoire, Yamoussoukro, nièce du président Félix Houphouët-Boigny, elle n’avait pourtant appris à lire qu’une fois adulte, lorsque les plus grands de ses fils étaient entrés au collège.

Quant au père de Tidjane, il avait bénéficié d’une éducation à la française. Né en 1923 à Dagana sur les rives du fleuve Sénégal, à 2 000 km au nord-ouest d’Abidjan, Amadou Thiam avait été inscrit d’autorité à l’école républicaine, malgré les réticences de son père. Compte tenu de l’excellence de ses résultats, Amadou avait pu partir en France métropolitaine, d’où il était revenu diplômé de l’Institut international de journalisme de Strasbourg. A 36 ans, il devient directeur de Radio Côte d’Ivoire, dans sa patrie d’adoption, avant d’être nommé ministre de l’information, en février 1963.

 

Rabat

En août 1963, après quelques mois au ministère, son père est arrêté avec une trentaine de personnes soupçonnées d’avoir fomenté un complot contre le président Felix Houphouët-Boigny. Finalement mis hors de cause, Amadou Thiam est nommé ambassadeur au Maroc en 1966.

Noël 1968, le petit Tidjane est assis sur le canapé au centre.
Noël 1968, le petit Tidjane est assis sur le canapé au centre.

Entre 4 et 15 ans, Tidjane Thiam passe donc l’essentiel de son enfance à Rabat. Tous les matins, un chauffeur emmenait les enfants à l’école. Mais très souvent le petit Tidjane s’endormait dans la voiture. Le chauffeur revenait donc à la maison avec sa précieuse cargaison et il portait Tidjane dans sa chambre. Son grand frère Daouda se souvient encore du jour où ce petit manège s’est arrêté : «L’un d’entre nous l’a regardé et a remarqué que les paupières de Tidjane bougeaient… Il faisait semblant de dormir ! » Alors, pour le motiver, ses parents ont instauré un curieux contrat. Quand il était premier de sa classe, les grands l’emmenaient manger une glace à la vanille. A Rabat, puis à Abidjan, Tidjane en mangeait souvent.

Augustin, l’un des autres frères, détaille le système Thiam : « Quand le mercredi on recevait les bulletins, si ce n’était pas bon, on n’allait pas au cinéma le lendemain. Pareil pour les grandes vacances : ceux qui étaient les premiers allaient en Europe et revenaient avec plein de souvenirs. Les autres allaient au village. Ça n’est jamais arrivé à Tidjane. Il ne sait pas ce que c’est qu’être deuxième.»

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Les études

tidjane polytechniqueAprès le bac, l’adolescent part d’abord en classe préparatoire au prestigieux Lycée Sainte-Geneviève, à Versailles. Ses parents, qui étaient des musulmans pratiquants, se sont toujours montrés très ouverts à l’égard de la religion. Leurs sept enfants ont tous reçu un prénom musulman. Mais si l’un d’eux a fait le pèlerinage de La Mecque, deux sont devenus catholiques et un autre protestant. Tidjane, lui, est resté fidèle à sa religion d’origine et dit volontiers qu’il est musulman.

En 1981, Tidjane est reçu à Polytechnique. Le 14 juillet 1983, en grand uniforme, il entame la descente des Champs-Elysées. Grâce à son mètre 93, lui, premier ivoirien de l’histoire admis à l’X, marche au premier rang du cortège des polytechniciens.

Après Polytechnique, il entre à l’Ecole des mines, dont il sort major en 1986. Seulement, malgré un stage réussi chez Air Liquide, Tidjane Thiam n’est reçu à presque aucun entretien d’embauche.

Sur les conseils du directeur des études des Mines, il s’oriente vers des entreprises anglo-saxonnes. « Je n’avais jamais entendu parler de McKinsey ; je ne connaissais pas leurs activités. Je les ai rencontrés et ils m’ont fait une offre. », racontera Tidjane Thiam des années plus tard.

En 1988, à 26 ans, il obtient son MBA à l’Insead.

 

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Les responsabilités

En 1989, Tidjane Thiam s’envole pour New York, où il intègre pour une année le Young Professional Program de la Banque mondiale. Il rencontre Annette, une Afro-Américaine de Pennsylvanie, qu’il épousera et avec qui il aura deux enfants.

Un soir il découvre sur son répondeur un message du nouveau président ivoirien Henri Konan Bédié. Il lui propose de devenir directeur du Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement (BNETD), organisme de développement des infrastructures et de conseil économique, à Abidjan, chargé des grands travaux. Tidjane Thiam accepte. « Je ne sais pas si je serai de nouveau confronté à des circonstances aussi exceptionnelles que celles que j’ai trouvées à mon arrivée en Côte d’Ivoire. », dira t-il plus tard. Après la dévaluation de 50 % du franc CFA, le 11 janvier 1994, il faut tout renégocier : les salaires, les tarifs de l’eau, de l’électricité, etc. Son poste le rattache directement au président et au premier ministre et le place au cœur des négociations avec le FMI et la Banque Mondiale. Tidjane Thiam est également un membre clé du Comité de privatisation, où il est chargé de la privatisation d’un grand nombre d’entreprises publiques.

En août 1998, en plus de ses fonctions au BNETD, dont il devient directeur général, Tidjane Thiam est nommé Ministre du Plan et du Développement. Durant les années qu’il passe en Côte d’Ivoire, il encourage la participation du secteur privé au développement des infrastructures. Il met en œuvre plusieurs projets phares, notamment la centrale électrique d’Azito (distinguée par le Financial Times comme une réussite fondée sur l’une des décisions d’investissement les plus audacieuses au monde), la rénovation de l’aéroport d’Abidjan et la construction du pont à péage Riviera-Marcory, dont le financement est finalisé quelques jours avant le coup d’État de 1999.

Entre 1994 et 1999, Tidjane Thiam participe activement au programme de privatisation de grande ampleur qui place la Côte d’Ivoire à l’avant-garde des pays africains, avec la privatisation du réseau téléphonique, des services, de la production d’électricité, des aéroports, du réseau ferroviaire et de nombreuses sociétés du secteur agricole.

Durant cette période, il a construit plusieurs analyses sur l’évolution de son pays jusqu’en 2025. Le scénario le plus optimiste, nommé « La marche des éléphants d’Afrique » appelait à la réalisation d’une série de douze grands travaux. Le plus pessimiste, intitulé « Le Suicide du scorpion », prédisait un coup d’Etat si le président Bédié continuait sur sa lancée.

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Coup d’Etat

Le coup d’état aura bien lieu. Le 24 décembre 1999, le gouvernement est renversé par l’armée ivoirienne. Tidjane Thiam, lui, est aux Etats-Unis chez sa belle-famille. Une semaine après avoir intégré le « Dream Cabinet » du club des « 100 Young Global Leaders », créé sous l’égide du World Economic Forum, le monde s’écroule sous ses pieds.

Avec son passeport français, hérité de son père, il aurait pu décider de ne jamais revenir en Côte d’Ivoire. « Mais je ne voulais pas être un fugitif pour le reste de ma vie. », expliquera Tidjane Thiam. Et puis il avait peur pour son équipe. Il rentre donc à Abidjan, seul, sans sa femme et ses deux fils, alors âgés de 4 et 6 ans. Il est alors arrêté et assigné à résidence pendant plusieurs semaines.

Le 6 janvier 2000, Tidjane Thiam, est contraint de remettre les dossiers du ministère de la Planification de Côte d’Ivoire qu’il dirigeait. Le Général Robert Guéï, qui a pris le pouvoir, lui propose le poste de chef de l’exécutif. Il refuse et quitte le pays.

Arrivé en France, Tidjane Thiam se retrouve sans emploi pendant cinq mois. En mai 2000, il retourne finalement chez McKinsey en tant qu’associé. En 2002 il rejoint Aviva, comme directeur de la stratégie et du développement. Il prend ensuite la direction des opérations internationales puis d’Aviva Europe. En janvier 2007, après l’annonce du départ de Richard Harvey, PDG d’Aviva, Tidjane Thiam est pressenti pour prendre la tête du groupe.

 

Prudential

Mais quelques mois plus tard, c’est Prudential, le principal concurrent d’Aviva, qui décide de l’embaucher comme directeur financier. De septembre 2007 à avril 2008, une clause de non-concurrence lui interdit d’aller travailler. « J’en ai profité pour reprendre contact avec beaucoup d’amis. Il y avait de nombreux signes avant-coureurs de la crise sur les conditions de crédit, les prix de l’immobilier, etc. » Grâce à cette prise de recul forcée, Tidjane Thiam est l’un des rares à avoir anticipé la crise financière de 2008, et parvient à imposer ce point de vue chez son nouvel employeur. Un an plus tard, en mars 2009, il prend la direction générale du groupe et devient ainsi le premier dirigeant noir d’une entreprise du FTSE 100.

tidjane prudentialPrudential lance alors une offre de rachat sur AIA, la branche asiatique de l’assureur américain AIG, très durement touché par la crise. Certains investisseurs jugent excessif le prix de 35,5 milliards de dollars offert par Prudential. L’opération finit par échouer, après le rejet par le conseil d’administration d’AIG d’une offre revue à la baisse. AIA est par la suite introduit à la Bourse de Hong Kong, et sa valorisation monte rapidement au-delà du prix proposé initialement par Prudential.

Tidjane Thiam fait l’objet de vives critiques personnelles après cet échec, en raison notamment des coûts supportés par la société (600 millions d’euros) pour le lancement de cette opération. Il est cependant réélu Directeur général lors de l’AGO de mai 2011, avec 99,3 % des voix. La performance de la société ne semble pas avoir eu à souffrir de cet épisode ; sur les neuf premiers mois de 2011, Prudential affiche un profit sur les nouveaux contrats en hausse de 14 % par rapport aux chiffres de 2010 à la même période, tandis que le chiffre d’affaires total de l’assurance progresse de 10 %.

L’histoire a fait la preuve que le prix offert par Tidjane Thiam pour AIA était correct, la société étant désormais valorisée à 36,5 milliards de dollars (17 octobre 2011) à la Bourse de Hong Kong. Tidjane Thiam ne regrette pas d’avoir essayé : « J’avais à 35 milliards de dollars ce qu’il faudrait payer 80 milliards aujourd’hui. Les faits m’ont donné raison. » déclare-t-il trois ans après les faits.

Tidjane Thiam a fait grandir Prudential qui a dégagé un bénéfice net de 2,2 milliards de livres en 2014 (environ 3 milliards d’euros), contre 1,3 milliard un an plus tôt, soit un bond de 65 %, pour un chiffre d’affaires en hausse de 15 %, à 60,1 milliards de dollars.

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Credit Suisse

Le 10 mars 2015, Credit Suisse annonce que Tidjane Thiam succèdera à l’Américain Brady Dougan fin juin : le cours de l’action s’apprécie de 6,7% dans la journée tandis que celui de Prudential décroit de 2,6%. La réaction du marché illustre bien la réputation de Tidjane Thiam dans les cercles financiers londoniens.

Pour le banquier d’investissement franco-béninois Lionel Zinsou, un ami de trente ans, Tidjane Thiam aurait pu tranquillement se reposer sur la performance boursière exceptionnelle de Prudential « Mais Tidjane a besoin de changer et une entreprise aussi globalisée que Crédit Suisse lui conviendra certainement. ».

Sa nomination souligne la volonté de changement souhaitée par Crédit Suisse qui a du assumer durant plusieurs années des dépenses de justices importantes, suite à sa condamnation pour son aide à l’évasion fiscale aux Etats Unis. Plus encore, une révolution stratégique était attendue par les investisseurs dans un environnement réglementaire et économique difficile pour les grandes banques européennes à l’image de Deutsche Bank qui a procédé au remplacement de l’équipe dirigeante et à une réduction drastique de ses effectifs.

Chez Credit Suisse, le secteur de la banque d’investissement est sous pression en raison d’exigences toujours plus élevées en matière de fonds propres et de taux d’intérêt à un plancher historique. Monopolisant la moitié des actifs, la banque d’investissement a présenté sur le premier semestre 2015 un rendement du capital de 12%, tandis que la gestion de fortune et la banque privée rapportaient 22%. Depuis 2013, l’action UBS a progressé de 36% contre 13% pour Credit Suisse sur la même période.

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Très attendue, l’annonce du nouveau plan stratégique de Credit Suisse présenté par Tidjane Thiam le 21 octobre 2015 à Londres a déçu ceux qui pensaient à un changement radical car la banque s’apprête à faire une réduction de « seulement » 11% de ses effectifs. L’action a ainsi plongé immédiatement de 3,3%. Pourtant, le plan de Tidjane Thiam est ambitieux : en plus de vouloir retrouver une rentabilité pour ses actionnaires, Thiam a insufflé une nouvelle ambition à Credit Suisse sur le long terme avec un nouveau focus sur l’Asie et la gestion de fortune. Credit Suisse est la quatrième plus grosse banque privée du monde et la troisième en Asie. Thiam veut doubler les bénéfices de la banque en Asie d’ici 2018 pour atteindre 2,1 milliards de francs suisses.

Credit Suisse va également procéder à un recentrage de ses activités en Suisse pour augmenter ses bénéfices de 44% dans son pays d’origine. Des économies de l’ordre de 3,5 milliards de francs suisses doivent être réalisées sur une durée de trois ans, impliquant la suppression de 1600 emplois en Suisse et 5000 dans le monde. La banque universelle en Suisse fera encore l’objet d’une entrée en Bourse partielle prévue à fin 2017. Très gourmande en capitaux, la banque d’investissement va être sévèrement touchée, notamment à Londres, où 1800 postes devraient être supprimés. Les activités de banque privée et gestion de fortune aux Etats-Unis vont être vendues à Wells Fargo.

Credit Suisse a également prévu de lever près de 6,3 milliards de dollars pour répondre aux exigences des régulateurs européens et améliorer son ratio de fonds propres au dessus des 12% alors que ce dernier est actuellement un des plus mauvais de l’industrie bancaire (juste au-dessus des 10%).

 

 

Vincent LAVIE, étudiant à Centrale Lyon et Contributeur du Blog AlumnEye