Avec 17 années d’expérience en banque d’investissement, Tim Muehlenbach fait partie de cette génération de banquiers ayant (presque) tout vécu. La succession des crises financières depuis 2001 et l’essor des fintechs, des missions au sein de prestigieuses institutions financières telles que Goldman Sachs, BNP Paribas ou RBS, à des postes très différents (marchés des capitaux, Asset Management)… Aujourd’hui, il a rejoint Kantox, une fintech londonienne spécialisée dans la gestion des risques de devises pour les entreprises. Dans cet article, il nous raconte son ancienne vie de banquier, et celle plus nouvelle en startup. Comment son expérience l’a aidé à se diriger vers la fintech, ce qu’il retient de ses années dans les plus belles banques, ses conseils pour les étudiants : une interview pleine d’enseignements.
Bonjour Tim, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions.
Pouvez-vous nous décrire votre parcours ?
Après avoir validé mon Master à l’ESCP Europe, j’ai obtenu mon premier CDI, en 2001, à la BNP Paribas en Debt Capital Market. En 2004, j’ai ensuite décidé de suivre une partie de mon équipe et d’intégrer la Royal Bank of Scotland. A l’époque, ils cherchaient des talents parmi les meilleures banques européennes afin de développer considérablement leur présence en Debt Capital Market en Europe. Pendant 7 ans, j’ai travaillé pour la RBS où j’ai évolué très rapidement d’Associate à Executive Director. Ensuite, mes bonnes performances post-crise des Subprimes chez RBS ainsi que mon solide réseau ont convaincu Goldman Sachs de m’appeler afin de rejoindre leurs rangs. En 2011, j’ai donc eu la chance d’évoluer professionnellement et d’intégrer une banque d’investissement de renommée mondiale. Après 6 années de dur labeur chez Goldman Sachs, j’ai décidé de prendre un tournant dans ma vie professionnelle et personnelle en intégrant la fintech Kantox.
Vous avez travaillé pour 3 banques internationales différentes : BNP Paribas, RBS, et Goldman Sachs. En quoi est-ce différent d’exercer dans chacune de ces banques ?
J’ai commencé chez BNP Paribas juste après leur fusion donc ce que je vais dire est peut-être différent de la réalité actuelle. Quand j’y travaillais, BNP Paribas était une banque d’affaires, leader européen, aux ambitions très fortes dont le fonctionnement était bien différent du modèle anglo-saxon car il s’agissait d’une banque d’affaires où la structure et la hiérarchie étaient très pesantes. Au contraire, travailler chez RBS a été un véritable changement car je suis passé d’une banque d’affaires très structurée à une banque d’affaires en pleine expansion qui recherchait des talents entrepreneuriaux. C’est cet esprit entrepreneurial, cette volonté de grandir qui m’ont poussé à changer de banque. RBS était une machine de croissance.
Enfin, Goldman Sachs est la seule banque d’investissement non européenne pour laquelle j’ai travaillé. Mon expérience là-bas a été très différente de celles chez BNP Paribas et RBS car les exigences y étaient bien plus élevées. Les targets annuelles et les deals étaient d’une plus grande ampleur. De plus, chez Goldman Sachs, les frontières entre les métiers sont bien moins dessinées et il n’y pas de gestion de la relation-clients (Relationship Management). Ainsi, je me retrouvais à travailler non seulement sur la partie technique des suites de produits dettes mais également sur la partie commerciale avec les relations-clients. Chez Goldman Sachs, les banquiers ont beaucoup plus de responsabilités car ils doivent tout prendre en main. Cette stratégie permet à Goldman Sachs d’avoir une meilleure maîtrise de ses risques car les banquiers sont beaucoup plus proches des enjeux de chaque transaction.
Vous avez décidé de passer d’une carrière sur les marchés des capitaux à une carrière en gestion d’actifs ; quelles ont été́ les raisons de ce choix ?
Je suis passé à la gestion d’actifs lorsque je travaillais chez Goldman Sachs. Je suis allé travailler pour Goldman Sachs Asset Management en tant que Senior Responsable afin de booster les ventes de certains produits spécialisés dans la gestion de fonds dédiés. J’ai saisi cette opportunité comme une évolution professionnelle vers une carrière de long-terme en banque d’affaires.
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On dit souvent qu’en banque, le passage d’un niveau junior très opérationnel à un rôle senior plus commercial est un moment clé où plusieurs banquiers échouent. Comment avez-vous réussi ce virage ?
Pour moi, ce virage a légèrement commencé chez RBS. Du fait de leurs fortes ambitions de croissance et de progrès, j’ai rapidement évolué vers un statut de mentor. Chez BNP Paribas, j’aurais mis plus de temps à monter les échelons vers un rôle senior. Grâce aux responsabilités que l’on m’a donné chez RBS, j’ai pu renforcer mon « skills set » et élargir mon réseau professionnel. Ce sont ces deux atouts qui m’ont aidé à conclure de gros deals au point d’être recommandé pour Goldman Sachs.
L’Asset Management attire beaucoup d’étudiants, et pourtant la plupart ne savent pas expliquer le fonctionnement global d’une division AM. Si vous deviez expliquer à un néophyte le rôle du département AM d’une banque, que diriez-vous ?
Le département AM des banques d’investissement est souvent dans l’ombre du département M&A (ou marchés des capitaux) qui génère de plus gros revenus. Toutefois, la division AM permet à la banque de s’intégrer dans une vision plus long-termiste. Les mandats en AM sont de plus longue durée donc ils rapportent un revenu plus visible. Par contre dans le M&A et les marchés des capitaux, la banque met à disposition un capital plus important qu’elle cherche à faire fructifier, ce qui pousse les équipes à être d’autant plus rigoureux sur les contrats signés.
Je pense que les banques choisissent d’élargir leurs activités à l’AM parce qu’elles veulent augmenter leur visibilité sur les revenus et diversifier leurs activités et risques. Toutefois, les leaders en AM sont les entreprises qui ne font que ça (ex : BlackRock, Allianz/PIMCO, Fidelity, Amundi, etc.)
Vous étiez chez RBS en 2008, banque qui a beaucoup souffert durant la crise. Que retenez-vous de cette période ? Une anecdote marquante ?
Ce fut une période très difficile car nous n’avions absolument pas conscience de la crise à venir et des risques qui planaient sur RBS notamment sur le marché anglais pour lequel je travaillais à l’époque. Chez RBS nous étions déjà fragilisés du fait du rachat de la banque néerlandaise ABN AMRO. En effet, suite à leur rachat en 2007, il y avait 2 banquiers pour chaque poste chez RBS donc personne n’était sûr de rester dans l’entreprise et la crise a amplifié ce sentiment d’incertitude. Cette période était chaotique.
Qu’est-ce qui a fondamentalement changé dans la banque d’investissement entre les années 2000 et aujourd’hui ?
Dans les années 2000, les banques étaient en pleine mondialisation (ex : l’euro a été introduit dans 12 pays formant la zone euro en 1999) et en plein essor technologique donc elles cherchaient énormément de talents. C’était une période rêvée pour ceux qui souhaitaient travailler en banque car il y avait de l’offre et de l’embauche. Aujourd’hui, les crises sont passées par là et les banques ont totalement changé d’optique. Il est dorénavant difficile d’intégrer une banque d’investissement. De nombreux talents se voient refuser des offres ou contraints d’en accepter à des salaires inférieurs. Par exemple, aujourd’hui, il n’est plus possible pour un candidat de postuler chez une banque d’affaires pour essayer/voir si cela lui plaît et espérer être pris. Les candidats doivent être motivés, confiants et sûrs de leur choix de carrière pour intégrer les meilleures banques au monde.
Pourquoi avoir, ensuite, décidé́ de quitter Goldman Sachs pour partir travailler chez Kantox ?
J’ai décidé de quitter Goldman Sachs pour des raisons personnelles. J’avais envie de changer de cadre de vie et de passer plus de temps avec ma famille. A l’époque, je connaissais le CEO de Kantox, Philippe Gelis, et je correspondais tout à fait au profil recherché donc j’ai été facilement embauché. Ainsi, j’ai quitté Londres et ma carrière en banque d’affaires pour Barcelone et une vie plus équilibrée.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la fintech Kantox ?
Une petite dizaine d’années auparavant, les fintechs avaient pour objectif de concurrencer les banques afin de les remplacer. Aujourd’hui, les fintechs cherchent d’avantage à s’allier aux banques, à leur faire profiter de leur technologie par l’intermédiaire de partenariats ou de plateformes. Chez Kantox, notre technologie permet une autonomisation des fonctions de trésorier et des transactions en différents changes grâce à des solutions de gestion des devises et du risque de change. Nous nous adressons aux entreprises ainsi qu’aux banques et c’est mon métier de trouver et consolider ces partenariats bancaires.
Kantox a une technologie puissante qui maintenant génère un revenu important sur le long terme (Kantox est « self-sustaining »), un tournant important pour une jeune fintech. Nous cherchons une croissance rapide du business.
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En quoi est-ce différent de travailler pour une banque d’affaires telle que Goldman Sachs que pour une jeune fintech comme Kantox ?
Même si tout les oppose, Goldman Sachs et Kantox ont un esprit entrepreneurial assez similaire. Ce qui diffère réellement ce sont leur structure ; Goldman Sachs est la banque d’affaires la plus reconnue au monde, établie et organisée alors que Kantox est une jeune fintech en pleine évolution.
Ce que j’aime particulièrement chez Kantox c’est le fait de l’accompagner dans sa croissance, d’avoir un impact réel et responsable sur l’entreprise.
Avec le recul, et maintenant que vous évoluez en startup, quel regard portez-vous sur vos années dans de grandes institutions financières ?
Je suis très fier de ma carrière dans de grandes institutions financières car c’est grâce à elle que j’ai intégré Kantox. En effet, mon poste actuel nécessitait quelqu’un ayant un bon réseau et sachant parler le langage des banquiers. Ces qualités étaient essentielles afin de signer de nouveaux partenariats avec les banques. Il fallait une personne ayant de l’expérience en banque d’affaires, peut-être pas autant que moi mais de l’expérience. Il ne faut jamais regretter une carrière en banque d’affaires car c’est très enrichissant et formateur pour la suite.
Quels sont vos conseils pour nos lecteurs qui souhaitent s’orienter vers une carrière en banque d’investissement ou en Asset Management ?
S’ils souhaitent s’orienter vers une carrière en M&A, je conseillerai aux lecteurs d’intégrer une banque d’investissement américaine car les États-Unis sont leaders sur ce marché (GS, JP Morgan, Morgan Stanley, BAML, Citi, etc.). Au contraire, l’Asset Management est plus régional, je suggère plutôt de postuler dans des fonds nationaux. Par exemple, les français, les allemands, les anglais sont parmi les leaders dans leur marché et en Europe. Pas besoin de partir aux États-Unis pour faire une belle carrière en AM.
Ariane Guillaume, étudiante à l’EDHEC Business School et Responsable Editorial du blog AlumnEye
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27 avril, 2016