Trafigura est une entreprise spécialisée dans le courtage pétrolier et l’affrètement maritime. Elle a su se placer parmi les cadors du marché en moins de trente ans. En effet, l’entreprise est créée en 1993 par Claude Dauphin et Eric de Turckheim et présente un chiffre d’affaires de 180,7 milliards de dollars en 2018 pour un résultat net de 872,8 millions de dollars. Cette croissance exponentielle repose en partie sur des fusions-acquisitions stratégiques comme l’acquisition des activités pétrolières d’Essar pour 12,9 milliards de dollars avec ses partenaires Rosneft (société russe pétrolière) et UCP. L’entreprise emploie 4 316 salariés et est présente sur tous les continents avec une forte empreinte dans les pays pétroliers en voie de développement (en particulier les pays du continent africain). Cependant, cette vue d’ensemble cache une entreprise qui a dû (et su) renouveler son image et sa stratégie pour pouvoir être ce qu’elle est aujourd’hui, à savoir l’un des principaux piliers du marché pétrolier.
Une success story aux débuts houleux
La création de Trafigura est avant tout liée à deux personnalités : le français Claude Dauphin et Marc Rich, le PDG de Marc Rich + Co. U.S. Ce dernier était poursuivi par les autorités américaines pour évasion fiscale, violation d’embargo, extorsion de fonds tandis que Claude Dauphin était courtier de commodities dès 1977 au sein de l’entreprise de Rich et s’occupait du marché bolivien avant de diriger l’équipe londonienne de trading pétrolier. Normand d’origine, il reprend en 1992 la société paternelle Guy Dauphin Environnement spécialisée dans le traitement des déchets après avoir quitté la société de Marc Rich : celui-ci essayait toujours d’échapper à la justice américaine en se réfugiant en Suisse, suscitant l’exaspération du français qui n’y voyait qu’une source d’instabilité pour la firme. Bien que Dauphin s’attela à faire de l’entreprise familiale une entité internationale (et cela jusqu’à sa mort en 2015), il décide dès 1993 de créer avec cinq anciens collègues de Marc Rich + Co. U.S Trafigura, la rivale directe de Glencore, elle-même fondée sur les vestiges de la première entreprise de Rich.
Via l’achat de firmes hollandaises et d’affrètement roumain, leur activité a pu se lancer, non sans difficultés. En effet, l’épisode de baisse de prix des matières premières s’est estompé au début des années 1990 pour laisser place à une stabilité des prix peu profitable au trading de ce secteur à laquelle on peut ajouter une demande faible qui limite la croissance d’entreprises juvéniles comme Trafigura alors. Les premières années ne sont pas glorieuses avec des difficultés à générer un résultat net positif puisque les activités sur les métaux par exemple requièrent souvent des contrats à long terme, ce qui est compliqué à avoir avec des fournisseurs qui ont leurs clients traditionnels.
Ainsi, l’eau, jusqu’en 2000, est la principale ressource de Trafigura puis est remplacée par les activités pétrolières et autres matières premières du fait d’un rebond de la demande. Cette dernière est en grande partie permise par le fort dynamisme des pays émergents dont le taux de croissance annuel moyen frôle sur certaines années la barre des 13%. (cf la Chine). Si on additionne la forte hausse de la demande avec une élasticité assez prononcée sur les marchés des matières premières, les entreprises génèrent davantage de profits avec une hausse des prix : pour ordre d’idée, le cuivre passe de 61 cents à 3,80 dollars à partir de 2000. En plus de cela, Trafigura jouit sur le sol domestique de la disparition de ses principales rivales qui se font happées dans des fusions acquisitions de grande envergure comme Elf qui est rachetée par Total alors que la firme française avait la plus grande part de marché sur le continent africain. De facto, le résultat net de Trafigura passe de 25 millions de dollars en 2000 à 500 millions en 2006 tandis que les profits atteignaient 2,2 milliards de dollars en 2013 ; la firme n’a jamais encaissé un recul de l’activité depuis 2013, jamais elle n’a été en déficit. Ces performances ne font pas de l’historique de Trafigura un petit fleuve tranquille, loin de là.
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Malgré les scandales, un fleuron du courtage pétrolier
Effectivement, Trafigura a longtemps été répudiée par l’opinion publique du fait du scandale du Probo Koala de 2006 où un pétrolier de Trafigura qui devait décharger ses déchets de matières premières à Amsterdam s’est vu refuser l’accès à la déchetterie. Suite à cela, le cargo est refusé en Estonie également pour finalement arriver à Abidjan où un opérateur local décharge les détritus un peu partout autour de la ville (18 spots). Par ce geste, toute une partie de la population (95 000 personnes) est touchée par des émanations toxiques et tombent malade, ce qui amène Dauphin à être emprisonné à Abidjan et l’entreprise à verser de lourdes amendes (198 millions de dollars) au gouvernement ivoirien. Jusqu’à sa mort en 2015, le fondateur de Trafigura cherche à redorer l’image de son joyau en luttant avec véhémence contre l’opacité des marchés des matières premières et des contrats officieux qui s’y nouent quotidiennement avec l’objectif de devenir la firme la plus transparente du secteur : Trafigura encourage les lanceurs d’alertes, les enquêtes publiques, a rejoint l’Extractive Industries Transparency –un programme qui lutte contre la corruption-, et a été la première entreprise à révéler un rapport annuel avec toutes les données et les résultats financiers de ses multiples activités. Même après la mort de Dauphin, Trafigura continue d’aller dans ce sens et de garder l’esprit pionnier de la firme bien que des changements ont été orchestrés ces dernières années comme les activités du middle-office qui déménagent à Mumbaï (avant elles se trouvaient à Genève) ou encore de nouvelles parties contractantes comme Citigroup Inc. pour certaines des filiales de Trafigura, ici Impala.
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Toutefois, il est difficile de dire si Trafigura a réussi son pari et effacé les anciens scandales dans lesquels elle était empêtrée. Effectivement, l’entreprise suisse est toujours liée à des scandales de blanchiment d’argent de pots-de-vin avec un cas de ce type en 2016, au Brésil ; ou encore l’appétit que possède la firme envers les activités de marché risquées, celles qui lui ont permis in fine de connaître une croissance aussi rapide et puissante. Ces dernières sont d’autant plus cruciales que le ROE de Trafigura s’érode, passant de 39% en 2009 à 15% aujourd’hui et que le fleuron genevois est bien plus endetté qu’auparavant alors que les objectifs de moyen terme au niveau du résultat net restent les mêmes depuis six ans : un résultat net d’un milliard de dollars par an environ. Mike Wainwright, un membre du conseil d’administration rappelait il y a peu que le scandale de 2006 « avait permis à la firme de passer de l’adolescence à l’âge adulte ». Il ne faudrait donc pas que de nouveaux scandales aussi résonnants mènent Trafigura de l’âge adulte à l’âge grégaire, là où la fin d’activité est reine. Heureusement, la relève, dirigée par Weir, a fait de Trafigura une firme bien plus efficiente qu’auparavant avec une réduction des coûts fixes et une hausse des volumes de transaction de matières premières : deux fois plus de barils sont échangés en 2018 qu’en 2013. Finalement, le géant pétrolier poursuit sa croissance à un rythme plus effréné que celui de croisière.
Ulysse M’Bouti, étudiant à l’EDHEC Business School et contributeur du blog AlumnEye
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