« Reprise extraordinaire », « rythme effréné ». A la lecture du rapport de Bain & Company, l’heure est à l’émerveillement pour qualifier le marché du Private Equity sur ce premier semestre. Et pour cause, 2021 promet d’être une année exceptionnelle au vu des résultats du secteur ces six premiers mois. L’incertitude liée au Covid-19 a laissé place à la confiance en l’avenir et l’ambition des investisseurs semble être de retour, portée par la fièvre de la tech et la frénésie des Special Purpose Acquisition Companies, nouvelle alternative aux IPO classiques.
Un premier semestre sans commune mesure
Nombreux sont ceux qui portaient beaucoup d’espoir en l’an 2021 après une année marquée par la crise sanitaire. Pourtant dès début janvier, les tensions sociales héritées de l’année passée ont ressurgi avec l’assaut du Capitole par des partisans de Donald Trump. La vaccination, qui devait incarner la promesse de l’après-covid, a davantage fracturé un climat social déjà morose où les différents variants rythment l’agenda politique. Pourtant en matière d’investissement, la crise sanitaire et la récession liée au Covid-19 semblent être un épisode lointain. En effet, selon une étude menée par Preqin, environ 90 % des Limited Partners (investisseurs dans les fonds de Private Equity) prévoient d’engager le même montant de capital ou plus dans le Private Equity sur les 12 mois à venir.
Montant des opérations d’achat d’entreprises dans le monde (SPACs exclus)
La nouvelle année s’est donc ouverte avec une soif d’investir qui s’est reflétée dans le montant en valeur des transactions du premier semestre. Ce dernier s’élève à 539 milliards de dollars, soit autant que la moyenne annuelle de la période 2016 – 2020 (543 milliards de dollars). Ainsi, une année pleine grimperait à plus de 1 000 milliards, éclipsant le précédent record de 804 milliards, établi en 2006. Le secteur atteignait alors son apogée avant la crise financière mondiale.
Evolution de quatre différents indicateurs de l’activité du Private Equity entre 2011 et 2021
Plus encore, si tout se poursuit au même rythme, la valeur des transactions de Private Equity, celle des sorties et celle des levées de fonds devraient toutes approcher ou dépasser les 1 000 milliards de dollars d’ici la fin de l’année. Dans ce scénario, la taille du secteur aura triplé au cours des dix dernières années en surmontant ce qui s’est avéré être un choc Covid-19 quasi-anecdotique.
Parmi les composantes de cette progression exponentielle, ce n’est pas tant la qualité mais la taille moyenne des transactions qui impressionne, passant de 718 millions à 1,1 milliard de dollars uniquement entre 2020 et 2021. Cela représente une augmentation de 48 % contre une progression de 16 % du volume des deals (entre les premiers semestres 2020 et 2021). Malgré cette augmentation quantitative, le marché risque de ne réaliser que 3 700 opérations, soit moins que la moyenne historique de 4 000 transactions annuelles (2014-2019). Si les montants par deal sont certes en nette progression, les General Partners ou GPs, gérants de fonds de Private Equity, rencontrent des difficultés à conclure les petites transactions, peut-être en raison de l’incertitude des marchés héritée de la pandémie. Quoiqu’il en soit, la popularité des fonds de Private Equity couplée à la concurrence pour racheter des entreprises-cibles de qualité ont donné naissance à des fonds d’envergure de plus en plus grande et réalisant des opérations de plus en plus importantes.
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Un pic de performance pour le secteur de la technologie
Si la hausse du capital investi en Private Equity s’est manifestée dans tous les domaines, le secteur technologique est celui qui a véritablement dominé la partie. Au cours du premier semestre, une opération de rachat sur trois concernait une entreprise technologique. Cette statistique sous-estime probablement l’attrait croissant de ce secteur par les investisseurs puisqu’elle ne tient pas comptes des deals ayant eu lieu dans les autres sous-secteurs tels que les technologies financières, les services technologiques et les technologies de l’information dans le domaine de la santé. Initialement dans son rapport annuel de 2020 sur le Private Equity, Bain remettait en question l’engouement autour des entreprises de la technologie, se demandant s’il s’agissait d’un effet de mode cachant une bulle ou d’un véritable secteur porteur de croissance ? Il semblerait que la crise du Covid-19 ait apporté la réponse à cette interrogation en confirmant la technologie comme secteur phare dans le domaine du Private Equity. Puisque que tech rime avec croissance et que croissance rime avec multiples plus élevés, la tendance à investir dans ces secteurs devrait se poursuivre dans les mois et années à venir.
Valeur des multiples sur les capitaux investis par les fonds de PE (MOIC)
selon les secteurs et pour des deals entièrement réalisées (2010 et 2018)
La crise sanitaire a transformé le besoin croissant de digitalisation des organisations en une nécessité. Autrefois atout de compétitivité des entreprises, cette digitalisation s’avère désormais indispensable, que leurs clients soient des particuliers ou des entreprises, ce qui explique le boom de la demande de développement de logiciels.
En ce sens, le Private Equity s’avère gagnant. Loin des sociétés de high-tech ultra médiatisées qui se destinent davantage aux marchés boursiers, le Private Equity privilégie le secteur des logiciels d’entreprise et les services informatiques (captant 72 % des investissements dans la technologie). Ces entreprises ont tendance à être plus stables en cas de récession. Tandis que les revenus des consommateurs peuvent chuter brusquement lorsque l’économie ralentit, les clients B2B sont moins volages. Développer son portefeuille de clients s’avère être relativement peu coûteux, et comme ces entreprises ont peu d’actifs, elles parviennent facilement à convertir leurs profits en flux de trésorerie. Ces nouvelles liquidités peuvent alors être réemployées afin de soutenir un effet de levier plus important.
Ces facteurs expliquent pourquoi les rendements des transactions technologiques sont supérieurs à la moyenne et pourquoi les acteurs du Private Equity sortent actuellement de leur zone de confort. Traditionnellement, ils misent sur des acteurs historiques couplant croissance moyenne et revenus prévisibles arrivants par flux constants afin de générer de solides rendements. Mais désormais, les fonds cherchent de nouvelles cibles et voient dans le secteur de logiciels d’entreprises l’opportunité de créer de nouveaux groupes technologiques à la rentabilité accrue. Ils se tournent alors vers des entreprises en phase de maturation, peu affectées par les fluctuations économiques et ayant une croissance positive et des flux de trésorerie solides. Une fois la sélection opérée, ceux-ci consolident des sous-secteurs fragmentés et créent des économies d’échelle grâce à cette stratégie de buy-and-build. Enfin, le fonds épaule le nouveau groupe dans sa stratégie marketing et commerciale afin de booster ses revenus. En définitive, le positionnement de la technologie en tant que secteur leader du Private Equity a impulsé une dynamique de remodelage des entreprises de logiciels afin d’en faire des groupes au modèle de croissance agressif.
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L’innovation numérique s’infiltre dans tous les secteurs du marché du Private Equity ce qui oblige les General Partners à se poser une question essentielle : quel rôle la technologie joue-t-elle dans les industries que je choisis et dans quelle mesure cela doit affecter ma stratégie d’investissement ? Ainsi, les fonds devront non seulement gagner en compétence dans l’évaluation de la technologie sous-jacente des actifs qu’ils souhaitent acquérir, mais aussi savoir en extraire toute sa valeur une fois la transaction conclue.
Les SPACs, un phénomène en pleine explosion
Au-delà du triomphe du secteur technologique, ce début d’année a confirmé la soif des marchés financiers pour les introductions en bourse parrainées par des Special Purpose Acquisition Company (SPACs). Ces entreprises, dont les actions sont accessibles à tous, doivent permettre à une autre société de faire son entrée sur les marchés financiers sans passer par l’IPO classique. Même si la surveillance réglementaire accrue a fortement impacté leur croissance exponentielle, on en dénombre déjà 45 % de plus sur le premier semestre 2021 que sur l’année 2020 toute entière (358 contre 247). Avec 207 milliards de dollars de capitaux levées via les SPACs depuis 2019, ce nouvel instrument financier est de plus en plus populaire, en particulier auprès GPs désireux de céder leurs entreprises en portefeuille. En effet, jusqu’au 30 juin, la valeur mondiale des ventes d’entreprises par des fonds de Private Equity est monté à 488 milliards de dollars, soit 10 % de plus que le total de l’année 2020, en partie grâce à 84 milliards de dollars de fusions de SPACs. Si la prévision de 2021 s’avère être juste, le montant total des rachats effectués par des SPACs aura été multiplié par 4 en à peine un an, passant de 40 à 168. Cette tendance s’avère être particulièrement vraie en Amérique du Nord où les transactions SPACs représentent 24 % de la valeur des sorties.
Nombre et valeur (respectivement) des introductions en Bourse via les SPACs
A la date du 30 juin, près de 419 SPACs détenant 133 milliards de dollars sont toujours à la recherche d’entreprises à introduire en bourse. D’une part, cette rapide expansion représente une aubaine pour les General Partners puisqu’elle constitue un nouveau canal de sortie pour ceux cherchant une entrée rapide sur les marchés financiers pour les sociétés qu’ils détiennent. D’autre part, ce montant de capital disponible ne fait qu’attiser la concurrence déjà féroce à laquelle les fonds sont confrontés lorsqu’ils recherchent une cible d’acquisition de qualité parmi une offre limitée.
La rapide expansion des SPACs reste cependant à confirmer dans les mois et années à venir. Une étude menée par des professeurs de Stanford et NYU (Klausnet & Ohlrogge) pourrait venir porter atteinte à l’engouement suscité par les SPACs auprès des particuliers. Les chercheurs pointent du doigt le fait que le système profite largement à un groupe de hedge funds surnommé la mafia des SPACs (Millennium Management, Polar Asset Management, Magnetar Financial, etc.), qui bénéficient de gains sur la période précédant l’acquisition ou la fusion avec la nouvelle société. Même si les performances des SPACs se sont améliorées au cours des deux dernières années, il n’en reste pas moins que les résultats de la recherche montrent que les épargnants de moyen et long terme – souvent des particuliers – s’avèrent être perdants en moyenne.
Valeur des entreprises sorties du portefeuille des fonds via un
SPAC ou une introduction en Bourse classique (respectivement)
Si les SPACs sont souvent présentées comme se faisant aux dépens des introductions en bourse traditionnelles, ces dernières ne sont pas en reste sur le marché du rachat des portefeuilles de Private Equity. Rien que pour le premier semestre, elles représentent 90 milliards de dollars contre 81 pour toute l’année 2020. Cet assentiment autour des marchés financiers a été essentiellement un phénomène nord-américain, poussé par des marchés exceptionnellement robustes aux États-Unis. Si cette ébullition venait à se poursuivre, la valeur mondiale des sorties pourrait dépasser les 1 000 milliards de dollars, le double du précédent pic de 521 milliards atteint en 2014.
Lire aussi : La popularité des SPACs aux Etats-Unis s’étend désormais en France
Un deuxième semestre très prometteur pour le Private Equity
Malgré la forte activité depuis janvier, le marché du Private Equity témoigne de signes de demande refoulée. Le nombre de transactions, contrairement à leur valeur, est inférieur aux niveaux historiques depuis le début de la pandémie. De plus, le montant des réserves de trésoreries disponibles non encore investies a atteint 3 300 milliards de dollars au 30 juin, un record historique. Cette quantité de dry powder indique que de nombreux GPs sont toujours sur le marché à la recherche de cibles ou attendent de conclure des deals. La demande de nouvelles transactions ne fait qu’entamer sa crue.
Les facteurs qui ont alimenté l’activité spectaculaire de ces six premiers mois- une politique monétaire accommodante, une économie relativement forte, des marchés boursiers en pleine expansion et une abondance de dry powder – n’ont pas perdu de leur vigueur, bien au contraire. S’il n’y a aucun moyen de garantir avec certitude l’avenir du second semestre, toutes les conditions sont réunies pour que la dynamique se poursuive. Le rythme de la reprise post-covid a été extraordinaire et, en tous points de vue, 2021 devrait être de loin la meilleure année de l’histoire du secteur.
Anthony SULIO, étudiant à l’Université Paris-Dauphine et responsable éditorial du blog AlumnEye
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