Le gouvernement conservateur de David Cameron, reconduit en mai 2015 et « libéré » de son partenaire libéral-démocrate, peut se targuer de résultats économiques flatteurs : une croissance de 2,8% du pib en 2014, un déficit en remarquable résorption, un quasi plein-emploi, des investisseurs et des marchés financiers enthousiastes. Mais dans ce pays symbole de l’austérité consensuelle, la reprise indéniable cache des fondements fragiles et quelques dangers.
« I think you can look at the British economy with confidence », déclarait avec fierté George Osborne, le chancelier de l’Échiquier, à la sortie du vote de la loi de finance rectificative à Westminster le 8 juillet 2015 dernier. Le ministre des Finances britannique venait de faire adopter par le Parlement un budget dit « 100% conservateur », prévoyant 37 milliards de livres d’économies d’ici 2020 dont 12 milliards puisées dans les dépenses sociales (hors assurance maladie, le budget du très symbolique NHS étant « sanctuarisé ») et un salaire minimum de 9 livres brutes de l’heure en contrepartie d’une baisse de l’impôt sur les sociétés de 20 à 18% et d’un plafonnement à 20 000 livres annuelles des prestations sociales par allocataire. Le choix semble clair : respecter le programme de « remise sur les rails » de l’économie britannique promis en 2010, qui prévoyait le retour à l’équilibre budgétaire, le plein emploi, une croissance soutenue, la restauration de la compétitivité de l’industrie et un système social flexible, méritoire et limité aux plus précaires.
Un rebond atypique, combinant austérité budgétaire et relance monétaire
La confiance est en effet de mise chez la plupart des analystes économiques et des investisseurs : la Grande-Bretagne est plus que jamais le premier receveur européen d’investissements directs à l’étranger (IDE, qui correspondent à une prise de participation d’au moins 10% du capital d’une société étrangère), dont la valeur a bondi de 12,5% en 2014, selon le rapport de l’agence UKTI (UK Trade & Investments). Après une récession de 4,8% en 2009, l’activité est repartie à la hausse dès 2010 pour atteindre une croissance de 1,7% en 2013 et de 2,8% en 2014 (le fmi prévoyant un chiffre analogue pour 2015). Le déficit budgétaire, qui représentait près de 10% du PIB en 2010, a été ramené à 4,4% l’an passé. Parallèlement, le taux de chômage a baissé de façon significative pour s’établir en 2014 à 5,6% de la population active (avec la création de 2,5 millions d’emplois dans le secteur privé depuis 2010).
Pour parvenir à ces enviables résultats, le Royaume-Uni a dû consentir à un effort de rééquilibrage de ses comptes publics sans précédent, engageant entre 2010 et 2015 un programme de réductions des dépenses publiques de 100 milliards de livres. Le programme de quantitative easing de la Banque d’Angleterre a permis, dans le même temps, d’atténuer l’impact négatif de l’austérité budgétaire sur l’activité : depuis mars 2009, la BoE (Bank of England) maintient son taux directeur au taux plancher de 0,5% et a acheté pour 375 milliards de livres de bons d’État, soit l’équivalent d’un quart d’une année moyenne de revenu national sur cette période. Ces politiques budgétaires et monétaires inhabituelles ont été accompagnées par des mesures énergiques de flexibilisation du marché du travail, avec le développement des zero-hour contracts et des jobs on call, qui permettent aux entreprises d’embaucher « à l’heure », n’importe quand dans la journée. L’OFS (Office for National Statistics) estime en 2012 que ces contrats à la demande, principalement utilisés dans le secteur tertiaire, affectent 20% des emplois de la restauration, 13% de la santé et 10% de l’éducation.
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La résurrection de certains déséquilibres incite néanmoins à la vigilance
Ces incontestables succès ne sauraient néanmoins dissimuler les fragilités qui, si elles sont ignorées, pourraient hypothéquer la poursuite d’une expansion saine. Malgré une dynamisation du marché du travail qui a permis de rétablir en tendance le plein emploi, la précarisation des plus bas revenus a conduit à une constante baisse des salaires réels entre 2010 et 2014. L’économie britannique, qui préfère non sans raison les working poor à l’effet d’hystérèse du chômage indemnisé de longue durée, a cependant diminué l’amplitude de la reprise de la consommation des ménages.
Pour autant, les entreprises britanniques n’ont pas bénéficié autant que prévu des dispositions favorables à l’offre (baisse de l’impôt sur les sociétés et des charges, allègements administratifs et réglementaires) : l’investissement domestique britannique (FBCF, hors logement) marque le pas et demeure 20% inférieur à son niveau de 2007, et le Royaume paie de sa balance du compte courant négative (-120 milliards de livres depuis janvier 2015) son surcroît d’attractivité pour l’épargne étrangère. D’autant que la restauration de la compétitivité des exportations britannique butte toujours sur la faible demande européenne — la zone euro représentant plus de la moitié des débouchés du commerce extérieur du Royaume-Uni — et, facteur aggravant, sur une nette appréciation (+10%) de la livre face à l’euro depuis 5 ans.
Plus inquiétante encore, la forte hausse des prix immobiliers (+8,4% de 2014 à 2015, +12% au dessus du pic de 2008, sachant qu’ils avaient déjà triplé entre la fin des années 1990 et le déclenchement de la crise financière), largement dé-corrélée de l’inflation (0,2% en 2014) comme de la croissance du PIB. Cette reprise de la spéculation immobilière (dont Londres est le centre névralgique) s’allie à la politique d’argent bon marché de la BoE et à la croissance de la dette privée des ménages et du secteur financier. Semble alors se reformer un modèle de croissance qui possède toutes les caractéristiques de celui qui, en 2008, est arrivé à épuisement et a précipité les économies anglo-saxonnes, intensément financiarisées, dans une crise financière. La dette nationale du Royaume-Uni, incluant celle du secteur public, des ménages, du secteur privé « réel » et du secteur financier (qui représente 8% de la valeur ajoutée annuelle), s’élève en 2013 à plus de 500% du PIB, renouant avec ses records d’avant crise. Et il est légitime de craindre que, selon le mot de Adair Turner, ancien directeur du FSA (le gendarme britannique des marchés financiers), « more of the same will just produce more of the same ».
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Des objectifs clairs et prudents
Au reste, les autorités monétaires britanniques ne sont pas dupes, et leur discours tranche nettement avec l’ambiance triomphante de la campagne des élections générales de mai dernier. Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, fidèle à son rôle d’aiguillon des anticipations (forward guidance), a évoqué deux semaines après le scrutin une possible remontée des taux de référence de l’institution dès la fin 2015, aux doubles fins d’atteindre la cible d’inflation de 2% prévue pour 2017 et de « calmer le jeu » du crédit immobilier. Il est vrai qu’en matière monétaire, toute annonce intempestive court le risque d’un retournement brutal des tendances, surtout dans un contexte de reformation d’une bulle immobilière et financière. L’objectif demeure, comme toujours, de freiner une spéculation galopante sans préjudice pour l’activité et le financement de l’investissement.
Du côté de Downing Street, une fois passée l’euphorie de la victoire, le message, coordonné, est le même : il s’agit de poursuivre les efforts engagés depuis 2010 pour recouvrer l’équilibre budgétaire, désendetter et restructurer le secteur public, ainsi que recentrer l’aide sociale sur les plus prioritaires en (sur-)incitant l’emploi dans les secteurs marchands. Et ce tout en restituant, selon des modalités néanmoins surprenantes (une rigidité à la baisse) une partie de la « sueur, du sang et des larmes » que le gouvernement avait exigé des Britanniques lors de la dernière législature sous la forme d’une hausse réelle des (bas) salaires.
Conclusion
Le Royaume-Uni, au pied du mur en 2010, a retrouvé un dynamisme économique que peu de nations continentales peuvent lui contester. Devant le risque d’une accélération déséquilibrée, il lui appartient désormais de ne pas répéter les dérives spéculatives de son récent passé et, selon la métaphore de George Osborne, de « réparer le toit pendant que le soleil brille » à nouveau. Il possède pour cela un atout de taille : la réputation de nation la plus business friendly d’Europe sur la voie de la prospérité retrouvée, élément cardinal de la confiance des investisseurs.
Vincent Ode, étudiant à HEC Paris et Contributeur du blog AlumnEye
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